Chelah Lekha 5783 par le rabbin Josh Weiner
Le commandement des tsitsits
À la fin de la paracha d’aujourd’hui, dans le maftir, nous avons lu un paragraphe qui nous a semblé très familier et décalé à la fois. La plupart d’entre vous le connaissent comme le troisième paragraphe du Chema, celui qui traite du commandement des tsitsits. Mais que fait-il exactement dans notre parasha ?
Différents commentateurs et traditions midrashiques tentent de répondre à cette question, en le reliant soit en arrière, soit en avant, aux deux histoires entre lesquelles il se trouve. Le paragraphe sur les tsitsits nous dit “lo tatourou”, ” ne vous égarez pas dans les fantaisies de votre cœur et de vos yeux “.
Comme on me l’a appris cette semaine, le même mot est utilisé neuf fois dans la paracha pour décrire les douze explorateurs qui ont été envoyés “latour et haarets”, pour “errer” ou “explorer” la terre d’Israël. Ce paragraphe des tsitsits est donc une réponse à ce qu’ils ont fait de mal, en explorant la terre comme on le leur avait demandé, mais avec une mauvaise perspective.
Ou bien, des liens sont créés avec l’histoire de Korah, dans la paracha de la semaine prochaine. Une légende est créée selon laquelle il se serait moqué de Moïse en portant un tallit de la couleur tekhelet et en lui demandant s’il avait vraiment besoin d’une corde supplémentaire de tsitsit tekhelet. Ou encore, un lien est établi avec les mots “vehiyitem kedochim”, vous serez saints, ce qui est similaire mais sensiblement différent de l’affirmation de Korah, qui a dit “nous sommes tous saints”, maintenant, déjà.
Nous disons ce paragraphe si souvent que nous ne prêtons peut-être pas toujours attention à ce qu’il dit. C’est un peu gênant, car le message central de ce texte est de faire attention aux choses – ‘lemaan tizkerou’ vous vous en souviendrez. Je développerai ce thème dans un instant, mais je dirais déjà qu’il m’a toujours semblé ironique que le processus exact de fabrication de la couleur bleue du tekhelet prescrit par la Torah ait été oublié par le peuple juif, alors que toute l’idée des tsitsits est associée à la mémoire.
Le fil d’azur
Au cours des dernières décennies, deux tentatives ont été faites pour redécouvrir le tekhelet, l’une avec un poisson et l’autre avec un coquillage, chacune affirmant que l’autre est fausse. Vous pourrez constater que j’ai fait mon choix car je suis assez convaincu par leurs preuves, et je vois que d’autres ici utilisent aussi cette couleur. Mais je ne suis pas convaincu au point de penser qu’il serait obligatoire d’utiliser cette couleur, et toute personne qui n’a que des fils blancs dans son tallit devrait aussi se sentir à l’aise, en acceptant que certaines parties de notre histoire ont été oubliées et en ne se stressant pas pour recréer un passé perdu.
Il n’est même pas tout à fait clair en quoi exactement consiste la mitsva des tsitsits . D’après le langage de ces versets de la Torah, elle semble conditionnelle : si nous avons un vêtement avec des coins, il nous est ordonné d’y attacher ces cordes. Si ce n’est pas le cas, alors non. Cependant, ce n’est pas la pratique – depuis l’époque talmudique jusqu’à aujourd’hui, les gens font tout pour porter un vêtement à quatre coins, comme le tallit, afin d’avoir la chance de pouvoir porter des tsitsits. L’accent est donc passé de la fabrication des tsitsits au fait de les porter. En fait, dans le texte, il y a une autre action possible qui pourrait être le commandement principal : “oureitem oto” – et vous les regarderez. Le fait de regarder les tsitsits est explicitement requis, et certains commentateurs le comptent comme l’une des 613 mitsvot. Mais pourquoi devrait-il en être ainsi ?
Si vous lisez les versets, la formule semble être la suivante : portez un vêtement étrange, un vêtement avec des cordons étranges teintés d’une couleur royale. Lorsque vous le remarquerez, vous penserez à tous les commandements, et lorsque vous penserez aux commandements, vous les pratiquerez en réalité, et lorsque vous les pratiquerez, vous deviendrez plus saint.
Importance des symboles et mise en garde contre les fétiches
En bref : voir, penser, agir, devenir. C’est la formule utilisée pour de nombreux rituels juifs. La mezzouza sur la porte est là pour être remarquée, et pour provoquer une réaction. Pas pour l’embrasser, mais pour nous rappeler du type de personne que nous voulons devenir. Les tefillins ont la même fonction, ils sont un signe sur le bras et entre les yeux signifiant quelque chose, pas un porte-bonheur.
Les prières quotidiennes ne sont pas simplement un texte à marmonner, nous sommes censés penser ce que nous disons. Nous avons la même formule pour Chabbat : il nous est ordonné de “nous souvenir du jour de Chabbat” – et nous le faisons en buvant du vin et en récitant le kiddouch. La sensation, ici le fait de goûter plutôt que de voir, provoque une réflexion sur le chabbat, qui nous rappelle de nous comporter d’une certaine manière, ce qui crée la sainteté dans le moment auquel nous y aspirons. Une grande préoccupation de la Torah semble être d’essayer de nous réveiller e nous faire prendre conscience de là où nous sommes.
Mais avec le temps, nous nous habituons à ces objets étranges, les mezzouzot et les tsitsits – comme si nous collions une note sur la porte pour nous souvenir de ce qu’il faut faire avant de quitter le bâtiment – après quelques fois, nous arrêtons de lire la note et nous oublions ce dont nous voulions nous rappeler. Ou encore, nous pouvons réellement croire à la profondeur de la crise climatique, mais l’oublier lorsque nous décidons où prendre nos vacances d’été et comment y arriver. Nous pouvons croire qu’il faut mener une vie saine, mais cesser de remarquer les avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ou les étiquettes nutritionnelles sur les aliments au supermarché. La nature humaine ne voit plus ces rappels. C’est vraiment difficile.
La Torah ne donne pas de solutions magiques pour veiller à ce que nous voulons devenir. Mais elle ne nous permet pas non plus de renoncer à essayer, contrairement à Korah et aux douze explorateurs qui nient toute forme de processus de transformation lente.
Maïmonide classe les lois des tsitsits dans le Livre de l’amour, avec les lois de la prière, des tefillins et de la mezzouza. Pourquoi ces lois sont-elles spécifiquement liées à l’amour ? Peut-être justement à cause de cette difficulté à se concentrer qui survient dans toute relation sérieuse. Il y a toujours des moments de passion, où l’on est absolument là, amoureux, incapable de penser à autre chose, impossible de se laisser distraire par quoi que ce soit car rien d’autre n’existe. Mais avec le temps, le quotidien prend le dessus, et nous avons besoin de rappels pour exprimer l’amour qui est déjà là – anniversaires, cadeaux, événements spéciaux.
Et avec le temps, même ceux-ci deviennent routiniers, et si nous sommes sérieux, nous essayons de créer de nouveaux signes, ou de revigorer les anciens. Il serait stupide de fétichiser les signes eux-mêmes, de penser que les tsitsits sont sacrés ou qu’un anniversaire est en soi un jour spécial. Mais abandonner les symboles et croire que nous nous souviendrons toujours de l’amour ou de notre quête de sainteté comme d’objectifs abstraits – ce n’est pas la voie juive. Nous continuons donc avec notre formule : voir, penser, agir, devenir.
Chabbat shalom.