Par Noa
Le mot “frère” se dit אח en hébreu, un terme simple mais profond, qui désigne aussi l’«âtre » d’une cheminée ; un espace de chaleur et de combustion.
On pourrait penser que comme le feu, la fraternité peut réchauffer, mais aussi détruire. En effet, la fraternité n’est pas toujours un chemin facile, comme le montrent les nombreux conflits entre frères dans la Torah.
Dans la paracha Vayichlah, nous découvrons deux frères qui se retrouvent : Jacob et Ésaü. Jacob décide de retourner dans le pays qu’il avait fui vingt ans auparavant, un pays qu’il avait quitté en raison de la menace de son frère, Ésaü, qui voulait le tuer. Au début de son retour, Jacob cherche à rétablir un lien avec lui. Il envoie d’abord des messagers. Rachi explique qu’il s’agit d’anges, la mission était d’une telle importance que ces messagers pourraient être des anges. Cela montre la gravité et l’importance de la démarche entreprise par Jacob.
Dans ses instructions, Jacob cherche non seulement à transmettre un message, mais aussi à évoquer les deux décennies passées loin de sa famille. Il leur donne ces paroles précises à transmettre à Ésaü :
וַיְצַ֤ו אֹתָם֙ לֵאמֹ֔ר כֹּ֣ה תֹאמְר֔וּן לַֽאדֹנִ֖י לְעֵשָׂ֑ו כֹּ֤ה אָמַר֙ עַבְדְּךָ֣ יַעֲקֹ֔ב עִם־לָבָ֣ן גַּ֔רְתִּי וָאֵחַ֖ר עַד־עָֽתָּה׃
« Vous parlerez ainsi : Ainsi parle ton serviteur Jacob : j’ai séjourné chez Laban, et j’y suis resté jusqu’à présent. »
Rachi explique que le terme « גרתי » (j’ai séjourné) utilisé ici correspond à la valeur numérique de 613, soit le nombre des commandements תַּרְיָ”ג מצוות. Par cette mention, Jacob suggère que bien qu’il ait vécu avec Laban, un homme malfaisant, il a respecté toutes les mitzvot et n’a pas été influencé par les mauvaises voies de Laban.
Il lui fait comprendre qu’il est resté sur le droit chemin malgré les tentations et les épreuves, et invite son frère à envisager la possibilité du pardon.
Je pense que ce message est aussi un appel indirect à Essav, si Jacob a su s’élever malgré les épreuves, peut-être qu’Ésaü, lui aussi, pourrait trouver la voie de la paix et du pardon, et ainsi réparer la relation entre eux.
En effet, après de longues années de séparation, il est toujours possible de réparer des erreurs et de restaurer des liens brisés.
Lorsque Jacob apprend qu’Éssav se dirige vers lui avec une armée de quatre cents hommes, il ressent une peur profonde. La Torah nous dit qu’il était “fort effrayé et plein d’anxiété” (Gen. 32:8)
וַיִּירָ֧א יַעֲקֹ֛ב מְאֹ֖ד וַיֵּ֣צֶר ל֑וֹ
Rachbam commente que cette peur provient de sa conscience de la dette qu’il a envers son frère.
Cependant, au lieu de se résigner à la violence, Jacob adopte une approche réfléchie. Il élabore un plan en trois étapes : il envoie des présents à Éssav pour apaiser sa colère, il prie Dieu, et enfin il se prépare à la bataille en divisant sa famille en deux camps pour maximiser ses chances de survie.
Aussi, Jacob adopte un ton humble en s’adressant à son frère: il utilise des mots tels que ton serviteur –mon seigneur– mon maître… à 8 reprises !
Ce choix a-t-il du sens ?
Nehama Leibowitz cite un commentaire du midrach qui critique cette attitude en soulignant que “celui qui se conduit comme un agneau, les loups le mangent“.
Alors cette humilité, est-elle une faiblesse ?
Loin de se comporter comme un agneau face aux loups, Jacob choisit de reconnaître son passé, il décide ainsi d’appeler Essav « mon maître » à plusieurs reprises. Ainsi l’humilité de Jacob n’est pas une faiblesse, mais un acte de mémoire et de respect envers Ésaü.
Je pense que Jacob n’a pas le choix, pour adoucir son frère il doit le flatter et se présenter humblement. Jacob, en se présentant ainsi, démontre aussi que les conflits peuvent être résolus non pas par la force, mais par le respect et la mémoire des liens.
Cependant, il est important de noter que leur réconciliation ne conduit pas à une unité parfaite. Après leur rencontre, les deux frères se séparent à nouveau, chacun poursuivant sa propre voie. La réconciliation ne signifie pas toujours que la vie sera une toujours une cohabitation heureuse. Parfois, il faut accepter que les relations évoluent et que chacun puisse marcher sur son propre chemin, tout en gardant une place pour l’autre.
Les conflits font toujours partie de nos vies, au sein de nos familles, entre amis, ou même entre peuples. Peut-être que notre Paracha nous offre des clés pour affronter ces différends, pour mieux comprendre l’autre, et pour dépasser nos ressentiments afin de raviver la chaleur des liens qui nous unissent.
Une source d’inspiration dans mon étude de la paracha et dans mon parcours est Rachi, grand commentateur médiéval français dont j’ai eu la chance de visiter la maison reconstituée à Troyes. Comme vous l’avez remarqué, j’ai cité plusieurs de ses commentaires, car ils sont clairs et pertinents. Grâce à ses explications, j’ai pu mieux comprendre le texte et me poser des questions et lire entre les lignes.
Moderne avant l’heure, Rachi, n’a pas seulement éclairé la Torah, mais il a aussi joué un rôle fondamental dans l’éducation de ses filles, Yocheved, Myriam et Rachel. À une époque où les filles n’avaient pas accès à une éducation formelle et étaient souvent laissées dans l’ignorance, Rachi leur a dispensé un enseignement solide, réservé traditionnellement aux garçons. Ses filles sont ainsi devenues célèbres, pour leur éducation de qualité, et pour être un exemple de femmes éduquées dans une époque où cela était révolutionnaire. A leur tour elles ont transmis en donnant naissance à des grands commentateurs comme le Rachbam et le Rabbenou tam.
D’ailleurs mes parents, en me donnant le prénom de « Noa », ont voulu honorer cette figure de la Torah qui incarne l’importance de la femme dans la transmission et la justice au sein du judaïsme. Noa, une des filles de Tselophad, dans le Livre des Nombres, est connue pour avoir revendiqué le droit à l’héritage de son père, une démarche courageuse qui a conduit à un changement significatif dans la loi d’héritage d’Israël.
Pour moi, Rachi est exemplaire, car il montre l’importance de l’éducation et de la transmission des savoirs, non seulement pour les hommes, mais aussi pour les femmes. En tant que Bat Mitzva, je prends à cœur cet héritage de savoir et de responsabilité. Rachi et l’étude de ma paracha m’inspirent à continuer d’apprendre et à m’engager dans notre tradition, tout en restant fidèle aux valeurs de respect, de réconciliation et d’engagement.
Ainsi, je m’efforce de préserver et de renforcer mes liens, que ce soit avec mon frère et ma soeur, ma famille, mes amis, et aussi avec les autres.
Retrouvez ici le commentaire du rabbin Josh Weiner sur cette paracha