La paracha Vayehi par Anaëlle R. à l’occasion de sa Bat Mitsva
Notre Paracha conclut le livre de la Genèse. A la fin de ses jours, Jacob bénit Ephraïm et Menassé, ses petits-enfants.
Jacob bénit aussi chacun de ses enfants. Cependant, aucune de ces bénédictions n’est transmise aujourd’hui aux enfants juifs, mais plutôt, et c’est curieux, nous héritons de la bénédiction que Jacob a dédiée à ses petits-enfants.
Ainsi, le vendredi soir, les parents bénissent leurs fils en disant :
“ישימך אלהים כאפרים וכמנשה”
Je me demande : Quel est le secret de cette bénédiction ? Comment cette bénédiction a-t-elle pu traverser tant d’années pour arriver jusqu’à nous ?!
Pour mieux comprendre, j’ai retracé l’histoire des frères dans la Genèse.
Heureusement, je suis née FILLE, et fille unique ! Car dans la Genèse les histoires des frères finissent mal…
Parmi les frères règnent la rivalité, souvent la haine, et parfois même il y a un meurtre !
Ephraïm et Menassé ne se détestent pas, on peut dire que ce sont les premiers frères un peu normaux !
Mais qu’ont ces deux frères de si spécial ?
Menassé et Ephraim, sont les deux fils de Joseph, nés en Egypte d’une mère Egyptienne : Asnath fille de Potiphera. Ils représentent la première génération née à l’étranger.
Dans notre Paracha nous lisons :
וְעַתָּה שְׁנֵי-בָנֶיךָ הַנּוֹלָדִים לְךָ בְּאֶרֶץ מִצְרַיִם, עַד-בֹּאִי אֵלֶיךָ מִצְרַיְמָה–לִי-הֵםוְ
“Tes deux fils, qui te sont nés au pays d’Égypte avant que je vienne auprès de toi en Égypte, deviennent les miens…”(Genèse 48:5)
Jacob déclare que les deux fils de Joseph sont considérés comme ses propres fils, il adopte ses petits-enfants, alors que leur père est bien vivant : ça m’a interpellée !
Ephraïm et Menassé sont les enfants que Joseph a eus depuis qu’il a été séparé de Jacob : ils représentent pour Jacob les années de séparation.
En les adoptant, Jacob veut probablement rattraper le temps perdu. Il ne s’attendait pas à revoir Joseph, et donc il ne pensait pas non plus avoir la chance de connaître ses deux petits-fils. (Sforno)
Rachi explique qu’Ephraïm et Menassé seront comptés parmi les autres enfants de Jacob pour recevoir leurs propres territoires comme chacun de ses autres fils.
Dans le partage de la Terre d’Israël il y aura deux parts de terrain : une pour Ephraïm et une pour Menassé.
Jacob fait honneur à Joseph en lui énonçant qu’il compte désormais pour deux à ses yeux. Il donne à Joseph un rang presque égal au sien, il le fait père de deux tribus d’Israël.
Ainsi, lorsque Jacob déclare qu’Ephraïm et Menassé seront comme ses fils, il parle d’héritage.
Mais quel est vraiment cet héritage ?
Certes, on parle de la Terre, mais il y a également un autre héritage.
En arrivant en Egypte, un pays polythéiste, Joseph fut d’abord retenu en captivité, puis il connut une extraordinaire success story puisqu’il devint vice-roi d’Egypte. Et malgré tout, il conserva sa foi.
Au fond, Joseph peut être vu comme le premier juif en diaspora.
Ephraïm et Menasse ont reçu la même éducation que les enfants de Jacob, malgré le fait qu’ils soient nés en Egypte ; aucun n’est devenu polythéiste.
Ainsi, Joseph est resté fidèle à sa famille. Entre le riche et puissant Pharaon, d’une part, et Jacob et ses frères, d’autre part, Joseph affirme que sa famille est toujours SA famille.
Jacob intègre ses petits-enfants dans sa descendance comme s’ils étaient ses propres enfants.
Je pense que si Jacob voit ses petits-enfants comme ses propres fils, c’est sûrement parce que Joseph a tellement bien suivi les pas de son père, dans la transmission et l’éducation de ses fils, qu’ils sont aussi pieux que leur grand-père.
Le fait de changer de génération et de changer de pays n’a pas altéré la transmission. Joseph a su transmettre l’héritage de Jacob, des patriarches et des matriarches.
En tant que Bat Mitsva je me demande : qu’est-ce que j’ai hérité de mes ancêtres et comment je pourrai faire avancer leurs valeurs ?
Dans le judaïsme, l’identité juive est souvent rattachée aux grands-parents. Nous disons “est Juif celui dont les petits-enfants sont juifs”. Jacob, en découvrant ses petits-enfants, retrouve en eux sa foi, ses valeurs. Tout comme Ephraïm et Menassé, j’ai reçu cet héritage de mes grands-parents et de ma mère.
Mon grand-père a été le garant de la mémoire familiale, témoin survivant d’un traumatisme singulier qui m’a été transmis. Mon grand-père devait faire sa Bar Mitsva le 13 décembre 1941. La veille au matin, la Gestapo est venue arrêter mon arrière-grand-père ; c’était une des premières rafles.
Avant de partir il transmet une injonction à son fils :
“Tu feras quand même ta Bar Mistva demain !”. Et mon grand-père a fait sa Bar Mitsva.
Il a réussi à transmettre le judaïsme malgré le poids de son histoire. Et j’ai hérité de son judaïsme ouvert, avec sa culture, l’importance de l’éducation, l’envie de débattre, l’échange intellectuel, l’irrépressible besoin de poser des questions, de discuter sur le monde, sur la vie, sur Dieu… et aussi son sens de l’humour !
C’est lui avec ma grand-mère qui ont transmis à ma mère, puis à moi la base de mon identité, pour que je sache d’où je viens et qui je suis.
Quand Jacob décide de faire siens, d’adopter ses petits-enfants, ce n’est pas dans l’ordre naturel. Il fait ce choix pour qu’ils transmettent à leur tour ses valeurs.
Certes, j’ai reçu ma judéité de manière naturelle, des personnes qui m’ont précédée, mais c’est mon choix aujourd’hui, jour de ma Bat Mistva, d’adopter, de faire miennes les valeurs du judaïsme.
Mon héritage n’est pas simplement un souvenir, mais plutôt une impulsion à l’action, à vivre et à transmettre, à mon tour, à ceux qui viendront.
Retrouvez ici la dracha du rabbin Josh Weiner sur Vayehi 5783