La paracha vayechev ouvre le cycle des 3 parachiot consacrées à la vie de Joseph.
le verset 1 du chapitre 38 débute par ces mots il arriva en ce temps là que Yehouda descendit de chez ses frères, ce récit arrive ici “ comme un cheveu sur le soupe” et vient interrompre subitement l’histoire de Joseph, quel est le sens de cette interuption ? pour quelle raison inclure dans l’histoire de Joseph cet interlude qui dépeint Juda, sous un jour peu reluisant ? Que penser de Tamar, qui induit volontairement son beau-père en erreur, s’agit-il, comme le veulent certains exégetes d’un ajout tardif au cycle de Joseph ou en est-il au contraire une partie intégrante sans laquelle ce cycle ne pourrait se comprendre ? Nous allons donc étudier successivement :
- pourquoi ce récit est placé à cet endroit et voir si il suit ou non la narration concernant la vente de Joseph
- quelle est la place de Tamar dans notre tradition est elle considérée comme “prostituée” ( zona, kedecha) ou au contraire comme une femme vertueuse ?
Pour Rachi, ce récit interrompt la trame de l’histoire de Joseph pour nous enseigner que les frères de Juda lui ont retiré l’autorité qu’ils lui accordaient auparavant. Car lorsqu’ils virent la souffrance de leur père, qu’ils comprirent leur erreur (à défaut de leur faute), ils reprochèrent à Juda, de n’avoir pas su les conseiller. Rachi cite le Midrach Tan’houma: « C’est toi qui nous as dit de le vendre! Si tu nous avais conseillé de le ramener à la maison, nous t’aurions écouté! » Juda s’éloigne alors de ses frères, et commence pour lui une existence solitaire faite d’errements et de retour sur soi.
Pour Ibn Ezra, il s’agit de toute autre chose. Le récit des déboires familiaux de Juda ne fait pas suite à la vente de Joseph. S’il interrompt l’histoire de Joseph, c’est uniquement pour souligner indirectement la grandeur de ce dernier. Le récit de Juda et Tamar prend en effet immédiatement place avant le récit de Joseph et de la femme de Putiphar. Contrairement à Joseph qui fuit les avances de l’épouse de son maître, Juda une fois rendu à sa solitude, va succomber à la tentation lorsque son chemin va croiser celui d’une prostituée, Il menera une négociation surréaliste avec elle, lui laissera 3 gages en paiement de ses services. Peut être la Tora a-t-elle situé ce récit à cet endroit de la trame narrative juste pour souligner la différence entre Juda et Joseph.
1- Quels arguments et quels paralleles peut on trouver entre les personnanges pour justifier l’enchainement de ce récit avec celui de la vente de Joseph par ses frères?
Tromperie, mensonges situations en miroir, tous les événements rapportés dans cette paracha concourent à les relier les uns aux autres, voyons tout d’abord
les personnages qui vivent chacun un deuil interminable :
Tamar nous dit le texte porte toujours ses habits de veuve, grâce auxquels elle est connue, elle est toujours en deuil depuis la mort de son premier mari, ce deuil interminable est sans justificatif apparent et il dépasse largement le temps requis puisque Chela le 3eme fils de Yehuda a eu le temps de devenir un homme. Rachi nous éclaire sur ce point, en disant que tant que Tamar n’aura pas ressuscité le nom et la lignée de son mari Er par une naissance, elle est inconsolable de n’être ni épouse, ni mère, et ne peut donc suspendre son deuil.
Jacob quant à lui dont la mort de son fils n’est pas prouvée « refusa d’être consolé et dit : « Non car je descendrai vers mon fils »endeuillé dans la Tombe.. » (Genèse 37:35),
Deux enfants sont partis et on a peur pour le 3ème :
Séparé de ses frères, Yehouda se marie, a des enfants et perd ses deux garçons Er et Onan en pleine force de l’âge. Il a ensuite peur de perdre un troisième fils, Chéla. Il en est de même pour Ya’akov. Il a déjà perdu Yossef, Chim’on, sera emprisonné en Egypte. Ya’akov lui non plus ayant perdu deux fils, n’acceptera pas de laisser partir Binyamin, de peur de le perdre.
Ce qui est marquant, c’est que ces pertes et ces craintes sont similaires.:
a. Qu’est-ce qui cause la perte de ’Er et de Joseph ? un comportement mauvais
Béréchit 38:7): Er, que l’on peut lire ra ayant déplu au Seigneur, le Seigneur le fit mourir Béréchit 37:2 On retrouve la même terminologie de mal – ra’ – dans ce qui a causé la vente, de Yossef : Yossef débitait sur leur compte des médisances à leur père
b. qu’est-ce qui cause la perte de Onan et de chimon? L’absence de loyauté envers leur frère
chapitre 37 versets 27: Yehouda sauve la vie de Joseph, disant car il est notre frère mais le vend aussitôt à des marchands ambulants pour en retirer un avantage financier avant de tromper son père, de même Onan assume formellement sa responsabilité en « [venant] à la femme de [s]on frère afin de donner une postérité, mais il abuse en vérité son père, corrompant sa semence « lorsqu’il [vient] à la femme de son frère […] afin de ne pas donner de postérité à son frère » pour des considérations également matérielles, en l’occurrence ses droits sur le patrimoine (Genèse 38:8-9)14.
Aussi en vertu du principe de midda kenegged midda (« mesure pour mesure »). Yehouda qui a endeuillé Jacob par la perte d’un fils connaît lui la douleur de perdre femme et enfants . On peut s’étonner de l’attitude de Yehuda qui après la perte de ses fils aurait pu assumer sa responsabilité dans la vente de son frère en allant trouver son père pour lui dire “Joseph est vivant” il n’en est rien et Yehouda reste silencieux
C’est exactement pareil pour Chim’on, Pourquoi est-ce lui que Yossef a emprisonné en Egypte ? Le texte nous dit que Yossef a entendu ses frères parler en Hébreu, Réouven dit à ses frères : « Pourquoi ne m’avez-vous pas écouté ? Voilà que maintenant nous payons pour le mal que nous avons causé à Yossef ! ». Yossef comprend de là que Réouven n’est pas responsable de ce qui lui est arrivé, il prend donc le deuxième plus grand de la fratrie, c’est-à-dire Chim’on.
c la crainte du mal qui pourrait survenir au 3 eme fils -Yehouda et Yaakov s’expriment de la même manière Yéhouda ne souhaite pas mettre en danger son fils Chéla, il dit (Béréchit 38:11) : « de peur qu’il ne meure comme ses frères ». Ya’akov dit en parlant de Binyamin (Béréchit 42:4) : – « Il pourrait lui arriver malheur ».
Le Vêtement et les gages
Vêtement identificateur, vêtement libérateur ou vêtement accusateur nous trouvons dans la paracha 3 épisodes miroirs les uns des autres concernant le vêtement . Reprenons les
1- Chapitre 37 verset 31 et 32
Ils prirent la robe de Yossef, égorgèrent un chevreau et trempèrent la robe dans le sang,
ils envoyèrent cette robe à leur père en disant “Reconnais s’il te plait’ si c’est la robe de ton fils ou non” Haker na ha kotonet
– Chapitre 38 verset 25
comme on l’emmenait elle envoya dire à son beau-père , je suis enceinte du fait de l’homme à qui ces choses appartiennent, “reconnais je te prie” à qui appartiennent ce sceau, ce vêtement et ce bâton. Haker na lemi ha- hotémét, ve ha petilim ve ha mate. Nos maîtres font remarquer que “ha petilim” peut devenir “ha tephilin” les phylactères, le bâton est celui avec lequel Moïse frappera les eaux du Nil et produira des miracles.Tamar dans un éclair de prophétie avait demandé trois objets qui devinrent les insignes de ses descendants: le sceau de la royauté, la robe du juge au futur sanhedrin, et le sceptre du Messie.
Le Midrach rabba berechit 84.19 fait remarquer que il n’y a dans toute la torah que 2 occurences de ces deux mots, ce qui ne peut que accréditer le lien entre ces 2 narrations. dans les 2 cas la demande est faite à un père ou un beau-père , dans les deux cas le vêtement est envoyé et non apporté, et dans les 2 cas il doit reconnu.
Tamar disposait donc de toutes les preuves, pour identifier le père de l’enfant. Elle aurait pu, se protéger et prouver que l’ homme dont elle était enceinte n’était autre que Yehouda, son beau père, le juge qui venait de la condamner à mort.Tamar qui risque sa vie, ne se défend pas, n’accuse personne, elle se tait elle aussi.
Le Midrash nous amène a comprendre que la relation entre Yehouda et Tamar est directement liée à la relation entre Yehouda et son père. En effet, Pour leurrer Juda, qui a trompé son père en envoyant la tunique de Joseph barbouillée du sang d’un bélier, Tamar demande à se faire envoyer un chevreau en salaire et lorsque Tamar dit les mots « reconnais s’il te plaît à qui appartiennent ce sceau, ce bâton et ce manteau », Yehouda – enfin – entend l’écho de ses propres paroles, bien des années auparavant, quand il a regardé son père et l’ a brisé en lui disant « Reconnais s’il te plaît, est-ce le manteau de ton fils? »La faute de Yehouda est ainsi réhabilitée par Tamar. Tamar n’est pas sauvée pour autant, car rien n’empêche maintenant le Juge Yehouda, de faire disparaître ces preuves compromettantes. Il a même tout intérêt à les escamoter sans quoi c’est lui qui sera couvert de honte en plein tribunal. C’est lui ou elle. Yehouda, ne jouera pas à être un « cynique sans scrupules ». Il ne fera pas disparaître les objets qui servent à identifier le père. Bien au contraire, il aura l’immense courage de reconnaître publiquement : « C’est elle qui a raison et non pas moi »« Yehouda » c’est celui qui est « Modé », celui qui « reconnaît » ses torts.(Yehouda vient de la racine H-D-H : reconnaître, remercier) Ne se souciant ni du « qu’en dira t’on », ni du respect de la chose jugée, Yehouda reconnaît la vérité.
Tamar a certes piégé Yehouda mais c’est grâce à elle que s’interrompt la chaine de tromperie de génération en génération Juda ayant abusé son père qui avait lui-même abusé le sien21.
Par ailleurs, face à Joseph qui a reproduit les conditions de sa vente en faisant accuser Benjamin de vol et en donnant la possibilité à ses frères de s’en retourner en “vendant” leur frère, Juda qui a compris le lien entre ses fautes et la perte de ses fils et le message de Tamar sur l’importance des gages, se proposera comme garant de Benjamin. à son père
– Chapitre 39
Joseph abandonne son vêtement entre les mains de la femme de Potiphar, le vêtement n’est plus libérateur, mais objet d’accusation. Contrairement à l’ attitude de Tamar qui ne compromet que elle même, la femme de Potiphar nuit par ses agissements à Joseph , les preuves produites par Tamar rétablissent la vérité tandis celles de la femme de Potiphar accréditent ses mensonges et Joseph finit une nouvelle fois en prison
Ces quelques exemples nous permette d’affirmer que ce récit est non seulement à sa juste place, mais qu’il relie parfaitement l’histoire de Joseph à celle de Yehouda.
Quelques mots maintenant sur l’attitude de Tamar, prostituée ou femme vertueuse ?
Juda fils de Joseph pouvait il aller voir une prostituée? le Midrach rabba 85 nous rapporte que Juda n’avait pas l’intention d’aller vers cette femme placéee sur son chemin; mais Dieu dépécha un ange préposé à la concupiscence qui lui dit: où vas tu Juda ? d’où viendront donc les rois et d’où viendront les libérateurs? Pour Rachi c’est parce qu’elle vivait vertueuse dans la maison de son beau père que D. a décidé qu’elle donnerait naissance à des rois et que la lignée royale en Israël sortirait de la tribu de Juda
Pourquoi Rachi nous fait il cette présentation vertueuse de Tamar? reprenons le verset 14 : elle quitta ses vêtements de veuve, prit un voile et s’en couvrit, ce verset nous renvoie à une autre femme Rebecca qui s’est elle aussi enveloppée d’un voile lors de sa rencontre avec Isaac.”elle prit son voile et s’encouvrit” chapitre 25 verset 65 , Le texte poursuit verset 67 “ Isaac la conduit dans la tente de Sarah, il prit Rivka pour femme et il l’aima “.nous avons ici explicitement expliqué le rituel des noces où la fiancée se voile devant son promis. On peut penser que pour Tamar se voiler était la métaphore de ses fiancailles et de son mariage léviratique avec Juda; Tamar se transforme donc en fiancée et fait de Juda son mari.
Deux femmes par pudeur se voilent et ces deux femmes vont accoucher de jumeaux Yaakov et Essav pour Rivka ; Pérets et Zéra’h, pour Tamar. Alors que certaines similitudes marquent les deux naissances, certaines différences les opposent également,
Yits’hak et Rivkah furent mariés pendant vingt ans sans avoir d’enfants. Ils prièrent, chacun évoquant l’intégrité de l’autre dans leur requête à D.ieu. Leur union produisit deux fils bien différents : Yaakov et Essav
Les jumeaux de Tamar furent conçus dans des circonstances bien moins nobles, puisque c’est déguisée en prostituée qu’elle séduit Yéhouda son beau père . Et pourtant, contrairement aux fils de Yits’hak et de Rivkah, les jumeaux nés de cette union moralement douteuse furent tous deux des hommes justes. En fait, tous les rois d’Israël, depuis David jusqu’à Machia’h sont issus de ces jumeaux.
Nos Sages, soulignant la phraséologie différente concernant les deux grossesses , expliquent que Rivkah eut une grossesse “remplie” de neuf mois entiers alors que Tamar donna le jour après une grossesse “non remplie” de sept mois. Ils relèvent également que le mot “jumeaux”, Teomim, est différemment orthographié dans les deux récits. Dans celui de la naissance de Pérets et Zéra’h, le mot Teomim apparaît dans son orthographe complète, mais dans celui de la naissance de Yaakov et Essav, il apparaît dans sa forme déficiente, y manquant les lettres Aleph et Youd. Les commentateurs expliquent que cela fait allusion au fait que les jumeaux de Tamar “étaient tous deux justes, alors que dans le cas (de Rivkah), l’un était juste et l’autre impie”.
.La Méguila de Ruth se termine par l’anonce de la descendance de Perets “ Boaz engendra Oved, Oved engendra Yichaï et Yichaï engendra David, et par une bénédiction adressée au couple léviratique formé par Ruth la Moabite et Booz
« Que ta maison soit comme la maison de Perets, que Tamar a enfanté à Juda, grâce aux enfants que l’Eternel te fera naître de cette femme» – Ruth 4:12
Chabbat shalom