Par Aline Benain
« La lumière pointe à l’horizon du juste
(Profondément enracinée, bien cachée)
Et pour les hommes au cœur droit—
Un vêtement déchiré et une chaise vide. » (1)
Vous avez entendu, bien-sûr, dans cette intention de prière proposée par le Rabbin Maayan Belding-Zidon, l’écho déchiré de ce que notre hazan chantait hier soir pour ouvrir l’office de Kol Nidre tandis que la Torah passait au milieu de nous.
Elle résume justement, je crois, ce que fut l’année que nous venons de traverser et aimerions voir s’achever vraiment « avec ses malédictions », entre désespoir et lumière têtue.
Désespoir devant la pire épreuve imposée à notre Peuple depuis la Shoah, devant la souffrance d’Israël et celle aussi des innocents broyés par la guerre, devant l’antisémitisme qui déferle partout sans épargner la France.
Lumière têtue parce que la Tradition que nous portons et chérissons nous tient droit malgré tout, parce l’effroi n’a pas empêché la mobilisation, parce que quelques voix sincèrement amies, ne les oublions pas, elles furent peu nombreuses, ont brisé une solitude immense.
Si nous ne savons pas de quoi sera faite l’année qui s’ouvre, sinon d’incertitudes, nous savons en revanche ce qu’il nous revient de faire en 5785 comme nous l’avons fait en 5784 : nous battre dans le quotidien des jours, continuer à porter le souci d’Israël et de son peuple sans négliger ce qui tisse la vie ordinaire de notre Communauté, la pérennité du projet que nous portons depuis près de 40 ans au service d’une voix juive singulière, forte sans exclusive ni anathème, exigeante et ouverte, nécessaire.
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5785 sera, vous le savez, l’année de changements importants pour Adath Shalom. Notre très cher Rivon va prendre du recul tandis que Josh deviendra le rabbin en titre de notre Communauté.
Cette transition et cette transmission ont été depuis longtemps préparées. Josh nous a rejoint voici trois ans et chacun depuis lors a pu apprécier ses éminentes qualités humaines et intellectuelles. La profondeur aussi de la relation nouée entre nos deux rabbins. Non celle d’Hillel et Shamaï mais celle d’Hillel et Hillel, chacun à sa manière.
Lors d’un récent office, Josh nous a affirmé souffrir d’un handicap majeur : il n’est pas Rivon. Certes. Mais il pourtant oublié d’ajouter qu’il disposait d’un atoût essentiel : il est Josh. Et c’est pour cela que nous l’avons choisi.
C’est dire que l’histoire d’Adath Shalom se poursuit dans la dynamique d’une continuité vivante.
Une dynamique que dans le domaine de l’interprétation des textes nous appelons Hidouch, respectueuse d’un passé qui reste fécond, vive au présent, ouverte à l’avenir.
Ce Hidouch communautaire, nous allons le porter et le partager tous ensemble jour après jour mais je vous invite d’ores et déjà à noter – dans votre agenda mental il va sans dire – deux dates très importantes que nous vous rappellerons rapidement.
Le Chabbat du 26 octobre prochain, au lendemain de Simhat Torah, sera celui de la transmission. Rivon lui-même, au cours de l’office, intronisera Josh qui deviendra dès lors le nouveau Rabbin d’Adath Shalom. Bien sûr, nous nous retrouverons ensuite autour d’un beau Kiddouch.
Rivon, pourtant, ne sera pas tout à fait en retraite. Il lui reste à prendre l’équivalent de trois mois de congés qui mèneront jusqu’à sa retraite officielle. Elle interviendra au 1er février 2025. Je sais que vous aurez au cœur de respecter cette période de recul et que, même si c’est difficile pour certains, vous lui permettrez autant que possible de bénéficier de ce congé bien mérité.
Les 7 et 8 février 2025, c’est la seconde date importante, le Chabbat Bechallah, Chabbat plein, sera le «Chabbat Rivon ». L’occasion pour nous de lui dire tout notre respect, notre reconnaissance et notre amitié. Nous vous en dévoilerons le programme prochainement.
Rivon conservera son bureau à Adath Shalom, il continuera d’être associé à la vie communautaire et à certaines missions et projets qui ne manqueront pas de l’occuper et, sûrement, nous aussi.
La direction rabbinique de notre Communauté sera entre de très bonnes mains. Celles de Josh.
Je ne doute pas qu’il aura toute votre confiance et votre soutien.
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La vie d’Adath Shalom cependant ne dépend pas que de son rabbin, aussi éminent soit-il.
Elle repose sur l’engagement mis en actes de celles et ceux qui adhèrent à son projet et le font vivre, l’animent, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire lui donnent une âme qui est un peu de la leur.
Le quotidien comme la pérennité d’une communauté telle que la nôtre repose d’abord sur ses bénévoles. Ceux d’Adath Shalom sont exceptionnels dans leur disponibilité, leurs talents multiples, leur discrétion.
Je veux les citer, en espérant surtout n’en oublier aucune ou aucun.
Les membres du Conseil d’administration ne reculent devant aucune tâche « modeste » mais indispensable en même temps qu’ils organisent le quotidien et réfléchissent à l’avenir. Pour voir fonctionner beaucoup d’autres instances communautaires, je peux vous assurer que cela ne va pas souvent de soi.
Pierre El Ghouzi, notre très cher Baal Koré, partage avec nous son amour et sa connaissance de la Torah.
Dominique Lejoyeux veille sur nos Sifre Torah, s’assure de l’agenda des drachot, surveille nos réserves de livres et même de kippot.
Georges Gonthier distribue les honneurs et se souvient de qui les a reçus quand les récipiendaires l’ont déjà oublié.
Georges-Albert Kisfaludi et son équipe s’assurent, en ces temps difficiles, que nous soyons toujours, autant que possible en sécurité, sans peur assurément mais pas sans vigilance.
Toutes celles et tous ceux qui donnent chaque fois qu’ils le peuvent un peu ou beaucoup de leur temps comme lorsqu’il s’agit de rejoindre le véritable « groupe de choc » emmené chaque année par Geneviève Barbier pour prendre en charge la logistique de ces fêtes de Tichri.
Celles et ceux encore qui font vivre notre magnifique chorale, l’atelier théâtre ou organisent le désormais traditionnel et toujours remarquable concert de Tou be Chvat.
Depuis tant d’années, nous avons le bonheur de retrouver notre hazan de Tichri, Hugues Krygier qui porte au plus haut nos prières dans la profondeur et la ferveur de sa voix. Merci, cher Hugues, de ce cadeau que tu nous fais et de cette mitsvah que tu accomplis pour nous.
Merci à Hélène et aussi à Eric.
Et merci, bien sûr, à Elkana sans la présence, le talent exceptionnel et la gentillesse duquel nous n’envisageons plus Adath Shalom.
Il repose aussi, ce quotidien, sur des salariés qui s’engagent avec une conviction de bénévoles même si nous les payons un peu.
Isabelle, notre indispensable secrétaire. Stéphane, notre « couteau suisse », capable d’installer un Kiddouch, en même temps qu’il prépare une séance vidéo et répare une porte, Daniel et Moshe qui savent faire du sas de sécurité un espace d’accueil, Marie dont la disponibilité dit le précieux attachement.
Gabriela Golberg a réussi à donner à notre Talmud Torah un nouveau souffle et s’occupe de nos petits bourgeons, les Nitsanim, rendez-vous des jeunes familles le Chabbat matin.
Elias Garzon et sa belle cohorte d’animateurs sont en train de faire de Darkei Noam, le mouvement de jeunesse d’Adath Shalom et de Massorti France, qui a doublé en une année ses effectifs, la pépinière dont nous avions besoin. Ils ont été tout au long de cette année tellement sombre une source précieuse d’espoir et de Simha.
Je salue également les animateurs et les jeunes de Noam EI depuis longtemps attachés à Adath Shalom.
Et je n’oublie pas, Clara Hayoun, Elkana encore, ainsi qu’Hélène. Ils nous ont donné sur les réseaux sociaux et internet une visibilité qui participe aussi de notre rayonnement.
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Nos bénévoles, donc, sont exceptionnels, ils ont cependant un défaut et je suis certaine que vous voyez où je veux en venir. Ils ne sont pas assez nombreux. Le psaume 98 nous enjoint de « Chanter à l’Eternel un chant nouveau » et moi, chaque année, je vous dis la même chose.
Nous avons besoin de vous !
Du point de vue financier bien-sûr, Jacques vous en parlera tout à l’heure mais pas seulement.
Il arrive que l’engagement épuise et que l’énergie dépensée à chercher du soutien suscite, non pas de l’amertume, mais une forme d’étonnement.
Du présent comme de l’avenir d’Adath Shalom nous sommes tous responsables et il revient aussi aux jeunes adultes de cette Communauté, à celles et ceux qui ont grandi ici, pour lesquels tout a été construit, à celles et ceux qui ont fait le choix de nous rejoindre, d’assurer progressivement mais réellement la relève. Je vous le dis avec amitié et tendresse et je veux croire que vous l’entendrez. Vous êtes les prochains maillons d’une chaine qui ne doit pas se rompre même si les modalités d’engagement changent, même si tout va très vite, même s’il arrive que la vie soit un peu compliquée.
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Mes amis, je suis convaincue que ce qui s’est produit le 7 octobre 2023 fait « événement » et «génération ».
« Evénement » parce qu’il marque une rupture dans notre histoire et distingue un « avant » et un «après ».
« Génération » parce que l’«événement » nous est immédiatement devenu un lien puissant, lien de douleur et de combat, que nous partageons tous et participe désormais de ce que nous sommes.
Ce qui s’est passé nous oblige.
Nous oblige à plus encore d’engagement, de pertinence, d’efficacité, au service de ce que nous savons juste pour nous et pour tous. Nous oblige à être plus et mieux vivants.
J’aimerais partager avec vous pour finir un histoire hassidique que j’ai reçue il y a peu.(2) La scène se déroule à Roch haChana mais vous allez comprendre que sa mécanique spirituelle vaut tout autant pour Kippour.
On raconte que Rabbi Levi Itshak de Berditchev (1740-1809), une année où Roch haChana tombait Chabbat interpella ainsi l’Eternel:
“Maître du Monde, aujourd’hui les Livres de la Vie et de la Mort sont ouverts devant toi. Mais aujourd’hui, Maître du Monde, c’est aussi Chabbat. Et tu sais qu’il est interdit d’écrire le Chabbat. La seule chose qui nous autorise à transgresser cet interdit c’est le Pikouah Nefesh, l’impératif de sauver une vie. Alors, Maître du Monde, tu n’as pas le choix, si Tu veux respecter Tes propres statuts, tu dois inscrire tout Israël dans le Livre la Vie“.
Puisse, mes amis, la houtspah de Rabbi Levi Itshak, être reçue favorablement dans les cieux.
Puissent les familles endeuillées par les massacres et la guerre trouver de l’apaisement, puissent les otages revenir enfin, puisse Israël connaitre la Paix et puissions-nous toutes et tous, juifs et non-juifs, qui voulons construire la Fraternité et la Paix, être inscrits dans le Livre de la Vie.
Chana Tova ou Gmar Hatima Tova.
Aline Benain.
Notes:
(1) Rabbi Maayan BELDING-ZIDON, « A Kavanah for Kol Nidrei 5785 », in Ayelet Escojido et Rabbi David Golinkin, « Rejoice with Trembling » (Psalm, 2 :11), Prayers and Thoughts for High Holidays, Sukkot and Simhat Torah 5785 In the Shadow of October War, The Schechter Institutes, Jérusalem, 2024.
(2) Merci à Emmanuel Bloch.