Par le rabbin Josh Weiner
C’est un chabbat assez chargé aujourd’hui, alors je vais tenter d’être bref, même si j’aurais tant à dire, à la fois sur la paracha et sur la personne que nous célébrons. Je note simplement que nous voyons au moins trois Moïse différents dans la paracha, suivant le moment : avant, pendant et juste après la traversée de la mer. Le premier est un leader charismatique, celui qui guide le peuple hors d’Égypte lors de cette nuit mêlant confusion et émerveillement, celui que les gens acceptent enfin de suivre après qu’il a gagné leur confiance. Le deuxième apparaît lorsque, les Hébreux traversant la mer, Moïse se met à chanter : on découvre alors son côté artistique, créatif, émotif et spirituel… Lui qui, naguère, protestait qu’il ne savait même pas parler ! Et enfin, juste après la traversée de la mer, nous rencontrons Moshé Rabbeinou, Moïse le maître, l’enseignant, naviguant dans la première crise qui survient, autour des eaux amères de Mara.
Sans entrer dans les détails, notons qu’immédiatement après le miracle de l’adoucissement de l’eau, la Torah dit « שָׁ֣ם שָׂ֥ם ל֛וֹ חֹ֥ק וּמִשְׁפָּ֖ט וְשָׁ֥ם נִסָּֽהוּ », c’est là qu’il a donné une loi et un jugement, c’est là qu’il les a éprouvés (Exode 15:25). C’est très énigmatique [on pourrait faire tout un épisode de Hadech Yamenou sur ce verset], mais on a l’impression qu’il y avait déjà là le don préliminaire d’une sorte de Torah, qui devait être expliquée et enseignée au peuple. Ces trois rôles — dirigeant communautaire, modèle spirituel et enseignant exemplaire — forment les bases de ce que l’on appelle aujourd’hui un rabbin. Et ils nous sont bien connus à travers la personne de notre rabbin fondateur, Rivon Krygier.
Encore une fois, les mots d’hommage et de remerciement qui pourraient être prononcés en une occasion comme celle-ci sont infinis, mais je veux profiter de cette occasion pour lire ensemble un magnifique midrach qui parle de ce qu’est un rabbin. Il commence par interpréter le verset du Cantique des Cantiques (2:2), « comme une rose parmi les épines, telle est mon amie parmi les jeunes filles ».
רַב חָנָן דְּצִפּוֹרִי פָּתַר קְרָיָא בִּגְמִילוּת חֲסָדִים, בְּנֹהַג שֶׁבָּעוֹלָם עֲשָׂרָה בְּנֵי אָדָם נִכְנָסִין לְבֵית הֶאָבֵל וְאֵין אֶחָד מֵהֶם יָכוֹל לִפְתֹּחַ אֶת פִּיו וּלְבָרֵךְ בִּרְכַּת אֲבֵלִים, וְאֶחָד מֵהֶם פּוֹתֵחַ פִּיו וּמְבָרֵךְ, דּוֹמֶה כְּשׁוֹשַׁנָּה בֵּין הַחוֹחִים. בְּנֹהַג שֶׁבָּעוֹלָם עֲשָׂרָה בְּנֵי אָדָם נִכְנָסִין לְבֵית הַכְּנֶסֶת וְאֵין אֶחָד מֵהֶם יָכוֹל לִפְרֹס עַל שְׁמַע וְלַעֲבֹר לִפְנֵי הַתֵּבָה, וְאֶחָד מֵהֶם יוֹדֵעַ, דּוֹמֶה כְּשׁוֹשַׁנָּה בֵּין הַחוֹחִים
Rabbi Hanan de Tsipori a interprété ce verset comme faisant référence à la bonté [gemilout hasadim]. Dans le monde, dix personnes entrent normalement dans la maison d’une personne en deuil et aucune d’entre elles n’est capable d’ouvrir la bouche et de réciter les prières correctes. Quand l’une d’entre elles ouvre la bouche et récite les bénédictions, elles sont comparables à « une rose parmi les épines ». Dans le monde, normalement, dix personnes entrent dans la synagogue et aucune d’entre elles n’est capable de réciter les bénédictions du Chema et de diriger les prières. Quand une d’elles sait, elle est comparable à « une rose parmi les épines ». (Vayikra Rabba 23 / Shir Hashirim Rabba 2:2)
Déjà, il est fascinant de constater que l’incapacité à diriger une communauté dans la prière était, il y a 2000 ans, considérée comme la norme ! Or, la personne qui se charge de cette tâche est décrite non seulement comme exceptionnelle, mais encore comme quelqu’un accomplissant des gemilout hasadim, des actes de bonté. Il y a de la bonté à permettre à la communauté de se réunir et de faciliter ce qu’elle cherche à faire. Le texte du midrach se poursuit avec l’histoire d’un jeune rabbin qui arrive dans une nouvelle communauté.
רַבִּי אֶלְעָזָר אָזַל לְחַד אֲתַר אָמְרוּ לֵיהּ פְּרֹס עַל שְׁמַע, אָמַר לָהֶן לֵינָא חָכֵם עֲבֹר לִפְנֵי הַתֵּבָה. אָמַר לָהֶן לֵינָא חָכֵם, אָמְרִין דֵּין הוּא רַבִּי אֶלְעָזָר, דֵּין הוּא דְּאַתּוּן מִתְגַּלְגְּלִין בֵּיהּ, עַל מַגָּן צָוְוחִין לֵיהּ רַבִּי
Un jour, Rabbi Elazar arriva quelque part, et on lui demanda : “Dirigez-nous dans le Chema !” Il leur répondit : “Je ne sais pas le faire.” Ils lui demandèrent : “Dirigez-nous dans les prières du matin !” Il leur répondit : “Je ne sais pas le faire”.
Il y a un décalage entre ce que le rabbin est capable de faire et les besoins de la communauté. Il a peut-être étudié les textes et les lois, mais les gens ont besoin d’autre chose. Si le rabbin est un leader, c’est un leader très sensible qui écoute ce qu’on lui demande de faire. Cela me rappelle une anecdote que Rivon m’a racontée sur ses débuts à Adath Shalom : alors que tout le monde se levait pour réciter le Chema, lui leur a dit de s’asseoir. J’imagine que leur réaction a été semblable à celle qu’on trouve dans ce midrach : ce type se dit rabbin ?? Mais avec le temps, ils ont commencé à s’écouter les uns les autres. Le midrach continue:
נִתְכַּרְכְּמוּ פָנָיו וְהָלַךְ לוֹ אֵצֶל רַבִּי עֲקִיבָא רַבּוֹ, אָמַר לֵיהּ לָמָּה פָנֶיךָ חוֹלָנִיּוֹת, תָּנֵי לֵיהּ עוֹבָדָא. אֲמַר לֵיהּ צָבֵי מָרִי דְּיֵלִיף, אֲמַר לֵיהּ אִין, אִלְפֵיהּ. לְבָתַר יוֹמִין אָזַל לְהַהוּא אַתְרָא, אָמְרוּ לֵיהּ פְּרֹס עַל שְׁמַע, פָּרַס. עֲבֹר לִפְנֵי הַתֵּבָה, עָבַר. אָמְרִין אִתְחַסַּם רַבִּי אֶלְעָזָר, וְקוֹרִין לֵיהּ רַבִּי אֶלְעָזָר חִסְמָא
Le visage de Rabbi Elazar pâlit et il alla trouver son maître Rabbi Akiva. Il lui dit : “Pourquoi ton visage montre-t-il de l’abattement?” et il lui raconta ce qui s’était passé. Il lui dit : “Mon maître acceptera-t-il d’apprendre de moi ?”. Il lui répondit : “Oui”, et il lui enseigna. Quelque temps plus tard, Rabbi Elazar revint dans la même communauté. Ils lui dirent : “Dirigez-nous dans le Chema”, et il les dirigea. Ils lui dirent : “Dirigez-nous dans les prières du matin”, et il les dirigea. Et ils dirent : “Rabbi Elazar est devenu fort”, et ils l’appelèrent “Rabbi Elazar le fort”.
Rabbi Akiva est ici un modèle d’enseignant. Tout d’abord, il remarque ce que ressent Rabbi Elazar rien qu’en regardant son visage. Lorsqu’il parle, il n’est pas condescendant et ne porte pas de jugement. Il a des connaissances à partager, si elles sont acceptées. Il appelle son élève “mon maître”, ce qui redonne confiance à ce dernier. Et il lui enseigne les compétences nécessaires pour accomplir ces actes de bonté et permettre à la communauté de s’exprimer dans la prière.
Je pense que chacun ici se souvient d’un moment où Rivon a été son rabbin – quand il écoutait, disait ce qu’il fallait au bon moment, donnait des enseignements, des encouragements, était source d’inspiration, élevait nos esprits. La tradition hassidique veut qu’il y ait un Moïse dans chaque génération (cf. Likkutei Moharan II:7 ; Tanya 42), un Moïse dans les trois sens du terme : un leader, une source d’inspiration et un enseignant. Je pense que nous pouvons remercier Rivon d’avoir été le Moïse d’Adath Shalom au cours des trente dernières années.
Chabbat chalom !