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Tout est saint?

La sainteté qui peut être gagnée et perdue, commentaire de la paracha Kedoshim 5784

Par le rabbin Josh Weiner

Je tiens tout d’abord à féliciter Joséphine pour sa Bat Mitsva, et à souhaiter à la famille un grand mazal tov. Surtout, je réfléchis à ta dracha depuis jeudi. Tu as posé la question que j’attendais depuis des années : à quoi ça sert une bat mitsva ? C’est une question légitime et honnête, et tu y as répondu avec sagesse.

Il y a quelques semaines, nous avons parlé des quatre enfants dans la Haggada, et tu y circules entre les quatre archétypes : sage, rebelle, simple et silencieux. Ces quatre archétypes sont nécessaires au peuple juif, et peut-être sont-ils tous nécessaires à chaque individu. Dans ta dracha, tu as manifesté le pouvoir et le courage de l’enfant rebelle, en parlant de ton nom hébreu Tzipora et de ton identification au personnage biblique de ce nom. Tu dis :

Comme Tzipora, je ne me contente pas de suivre aveuglément, je me pose beaucoup de questions sur Dieu, sur la religion, sur des incohérences et des injustices. Je ne crois que ce qui est prouvé et je ne peux donc pas dire que je crois tout ce que nous avons lu ce matin. C’est un questionnement, c’est une curiosité, c’est peut-être aussi une rébellion ; c’est en tout cas l’un des sens de ma présence ici.

(Ceux qui veulent lire le reste de la dracha de Joséphine peuvent le faire ici). Dans la Haggada, l’enfant rebelle reçoit une réponse sévère, même si sa question est parfaitement pertinente. Mais ici, je veux assumer un rôle différent et m’identifier plutôt à l’enfant simple, celui qui demande « Qu’est-ce que c’est ? ». Parce que en fait, je ne comprends pas du tout cette paracha. « Soyez saints, car moi, Dieu, je suis saint. » [Levitique 19:2] Que signifie « saint » ?

Je pose cette question parce que tous les autres dans le monde semblent savoir ce que ce mot signifie, et plus ils sont certains, moins je le suis. En Israël, les politiciens et les manifestants se disputent sur le caractère sacré de la vie, dans le contexte de la libération des otages comme priorité absolue, ou de la réduction des pertes civiles, tandis que d’autres parlent du caractère sacré de la terre, de la conquête et de la recolonisation de la bande de Gaza. On entend des phrases comme « La terre sainte pour un peuple saint ». J’utilise indifféremment les termes sainteté et sacralité, car c’est ainsi qu’ils semblent être utilisés en français et en anglais, et tous deux sont utilisés pour traduire la racine hébraïque « kadosh ». Mais la traduction ne fonctionne pas tout à fait. Je viens d’être invité en Autriche pour parler le mois prochain dans une conférence judéo-chrétienne sur la sainteté, et le verset d’ouverture de notre paracha est cité sur le flyer annonçant l’événement. En regardant les sujets abordés, l’euthanasie et l’avortement, l’identité religieuse et la méditation, on a l’impression que saint signifie tout et rien ; il est devenu un peu comme une autre façon de dire « important ».

Je ne sais pas exactement ce que je vais dire à la conférence, mais je peux ici naviguer un peu cette confusion. Tout d’abord, il est important de noter que l’expression « caractère sacré de la vie » n’existe pas dans les sources ou la pensée juives. La vie est certainement importante, peut-être plus importante que beaucoup d’autres choses sacrées ; la vie humaine est créée à l’image de Dieu, qui est saint. Mais nulle part on ne parle de la vie comme d’une chose sainte en soi. En effet, si c’était le cas, il serait difficile d’ordonner « vous serez saints ». En soi, ce n’est pas le bon cadre pour les discussions sur le début et la fin de la vie. La sainteté est toujours associée à des restrictions, elle est séparée ou intouchable. La vie ne peut pas être séparée d’elle-même et ne peut donc pas être sacrée. En ce qui concerne la sainteté de la terre, il y a cette idée dans la tradition, mais il est important de la placer dans son contexte. La Michna dit :

עֶשֶׂר קְדֻשּׁוֹת הֵן, אֶרֶץ יִשְׂרָאֵל מְקֻדֶּשֶׁת מִכָּל הָאֲרָצוֹת. וּמַה הִיא קְדֻשָּׁתָהּ, שֶׁמְּבִיאִים מִמֶּנָּה הָעֹמֶר וְהַבִּכּוּרִים וּשְׁתֵּי הַלֶּחֶם, מַה שֶּׁאֵין מְבִיאִים כֵּן מִכָּל הָאֲרָצוֹת

La terre d’Israël est plus sainte que toutes les autres terres. Et quelle est la nature de sa sainteté ? C’est que c’est d’elle que sont apportés l’omer, les prémices et les deux pains [présentés à Chavouot], qui ne peuvent être apportés d’aucune des autres terres. (Michna Kelim 1:6).

La sainteté est ici exprimée par, ou causée par, des restrictions : des mitsvot spécifiques peuvent être accomplies sur la terre d’Israël et nulle part ailleurs. Ça, c’est la sainteté de la terre d’Israël, fonctionnelle et non métaphysique. Mais nous sommes toujours confrontés à la question suivante : que signifie devenir saint, comme nous y sommes appelés à le faire dans cette paracha ?

Une façon de réduire la confusion de ce mot est de faire la distinction entre la sainteté attribuée et la sainteté obtenue¹. Selon cette typologie, Dieu est le Saint béni soit-il, et toutes ses « choses » sont de facto saintes. Par exemple, le temple est un lieu saint parce qu’il est la maison de Dieu. Les fêtes sont des jours saints parce que ce sont des jours de Dieu. Dieu, en quelque sorte, « rayonne » la sainteté sur toutes ces choses. Ce sont des exemples de l’idée de sainteté attribuée, une sainteté qui découle du fait d’être choisi par Dieu ou d’être lié à lui. Il existe cependant d’autres sens à la sainteté des personnes, des lieux et des époques, par le rapprochement avec Dieu ou par l’accomplissement d’actions en accord avec le désir présumé de Dieu. Une vache, en soi, n’est pas sainte. Lorsqu’elle est dédiée en sacrifice, elle devient un « saint des saints » par cet acte de dédicace. De la même façon, un nazir devient saint en se consacrant à Dieu en faisant certaines actions. C’est un exemple de sainteté accomplie.

Il existe peut-être un troisième sens du terme : la sainteté, vue comme la présence de Dieu, et tout lieu ou objet fortement associé à cette présence, est souvent considérée comme dangereuse. Nadav et Avihou meurent en s’approchant de la présence sainte, et les lois ultérieures sur les sacrifices obligatoires sont considérées comme la prescription d’un moyen sûr de se préparer à entrer en contact avec la sainteté. La présence de Dieu sur le Sinaï est dangereuse, et le peuple se prépare par certains comportements à la rencontre. Cette préparation utilise également le langage du « kadosh », une sorte de super-pureté nécessaire pour les situations sacrées. Du fait de l’utilisation de la même racine, ce chemin vers la sainteté est compris comme étant une sorte de sainteté en soi, une sainteté acquise.

Différentes parties de la Torah et d’autres textes saints (!) utilisent le même mot dans ces différents sens, ce qui ajoute quelque peu à la confusion. Notre paracha énumère une cinquantaine de façons de devenir saint. Certaines passent par des pratiques rituelles : éviter de mélanger différentes sortes de graines dans un champ, éviter les fruits d’un arbre pendant les trois premières années, et certaines coupes de cheveux interdites. Certaines passent par une conduite respectueuse envers les autres : honorer les parents, laisser de la nourriture et de l’argent de côté pour les pauvres, ne pas se taire lorsque des gens sont tués, ne pas se venger, juger avec justice, et le célèbre et énigmatique « aime ton prochain comme toi-même ». Qu’est-ce que cela ajoute de dire qu’il s’agit là d’aspects de la sainteté, et pas simplement de choses importantes ? Peut-être que, mêlé aux commandements rituels, ce cadrage fait de cette attention portée aux autres non pas une simple chose agréable à faire, mais un partenariat avec Dieu – le Saint béni soit-il. Plus nous agissons avec justice, plus Dieu et la sainteté se manifestent dans le monde. La sainteté n’est pas seulement importante dans le temple ou la synagogue, mais dans chaque conversation à la maison, au travail, avec les amis et les ennemis.

Tout cela place la sainteté sur un continuum. On peut devenir plus ou moins saint, selon le moment, le lieu et la réponse à la situation à laquelle on est confronté. Plutôt que d’être placés dans une dichotomie entre saints et profanes, la plupart des gens sont un peu saints, mais pas assez. Les exigences de cette paracha sont élevées, peut-être impossibles à satisfaire, mais les refuser, c’est refuser notre potentiel.

Cela ressemble peut-être à la situation dans laquelle tu te trouves, Joséphine. Ta bat mitsva t’arrive que tu la souhaites ou non, une fois que tu as douze ans et un jour, tu es une adulte juive. On ne t’a pas demandé si tu voulais naître ou non, mais maintenant tu existes ; on ne t’a pas demandé si tu voulais le nom de Tsipora, mais maintenant tu l’as. La vraie célébration ici, c’est que tu as choisi de le faire tien, de réaliser ce potentiel en devenant une adulte juive selon tes propres termes, en posant les bonnes questions, en réfléchissant, en choisissant ce qu’il faut partager et ce qu’il faut garder pour soi . En apprenant quelles qualités de ton nom hébraïque représentent les espoirs et les rêves de ta mère et de ton père, et quelles qualités reflètent qui tu veux toi-même devenir. Savoir que tu es une personne un peu sainte et que tu peux le devenir davantage grâce aux choix que tu fais. La responsabilité est énorme, tout comme la confiance que nous avons en toi.

Chabbat chalom !

Notes:

(1)Tout ceci est tiré de Naomi Koltun-Fromm, Hermeneutics of Holiness : Ancient Jewish and Christian Notions of Sexuality and Religious Community. New York : Oxford University Press, 2010.

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