Voici deux textes que j’ai lus cette semaine :
“…S’il s’agit d’une décoloration blanche sur la peau du corps qui ne semble pas plus profonde que la peau, le prêtre doit isoler la personne atteinte pendant sept jours. Le septième jour, le prêtre procède à un examen, et si l’affection n’a pas changé de couleur et que la maladie ne s’est pas propagée sur la peau, le prêtre isole cette personne pendant sept jours supplémentaires.” Lévitique 13.3-4
“Si vous avez un schéma vaccinal complet ou si vous avez contracté le Covid-19 il y a moins de 4 mois, vous devez vous isoler strictement immédiatement ;
réaliser un test antigénique le 5e jour après la date du début des symptômes ou la date de prélèvement du test positif si vous n’avez pas de symptômes.
si ce dernier est positif ou si vous n’avez pas réalisé de test, vous devez poursuivre votre isolement jusqu’au 7e jour après la date du début des symptômes ou la date de prélèvement du test positif si vous n’avez pas de symptômes.”
La vérité est que j’avais déjà fait le lien entre ces deux types de textes au moment du confinement d’il y a deux ans, alors que nous commencions tout juste à faire connaissance avec le coronavirus, et que dans notre synagogue de Berlin, nous faisions des blagues nerveuses sur le lavage des mains et la distanciation sociale dans la paracha, et que nous nous demandions s’il fallait fermer la synagogue. Maintenant, après avoir enfin attrapé le virus la semaine dernière, je lis cette paracha de la lèpre et de la guérison adaata denafchei, avec une connaissance qui n’est pas seulement intellectuelle mais ancrée dans mon corps. Par exemple, la michna dit אֵין בֵּין טָהוֹר מִתּוֹךְ הֶסְגֵּר לְטָהוֹר מִתּוֹךְ הֶחְלֵט אֶלָּא תִגְלַחַת וְצִפֳּרִים – la seule différence entre quelqu’un qui a eu la lèpre et qui devient pur après une quarantaine, et celui qui devient pur après avoir été déclaré comme tel par un Cohen, est que ce dernier apporte un sacrifice de remerciement. Le covid n’est pas la lèpre, bien sûr, mais je peux maintenant imaginer la joie, non seulement de terminer les sept jours d’isolement, mais aussi de voir le résultat négatif du test.
Mais la vérité, c’est que ces analogies ne sont pas précises et ne sont pas vraiment utiles. Beaucoup se demandent pourquoi la Torah passe tant de temps sur les lois de la lèpre. La Torah n’est pas un guide médical et les Cohanim ne sont pas des médecins. Un thème central dans la Torah, et plus particulièrement dans le Lévitique, est l’impureté. Pourtant, il est important de comprendre ce que sont la pureté et l’impureté, et ce qu’elles ne sont pas. La confusion entre l’impureté, la maladie et l’immoralité a causé du mal à de nombreuses personnes, notamment aux femmes dans le monde juif traditionnel.
Il est difficile d’en parler en français car le mot “impureté” a déjà de nombreuses connotations négatives. Mais j’aimerais proposer l’idée que la meilleure traduction de tumah est ‘’humanité’’ : c’est un indicateur de la condition humaine. Nous savons que les occasions qui créent la tumah dans la Torah sont parfois liées à la mort et à certaines maladies, mais aussi à la vie et au vivant : l’accouchement, les menstruations, le semence des hommes. La tumah d’une mère après l’accouchement, pendant 40 ou 80 jours, ne revient pas à suggérer que quelque chose soit mauvais en elle, c’est une reconnaissance de l’expérience humaine qu’elle a traversée, de la proximité de la mort et de la vie.
Il y a un autre aspect de la tumah qui est souvent négligé, qui est l’intention humaine. Dans la paracha de la semaine prochaine, nous lisons l’histoire d’une maison qui attend que le Cohen vienne vérifier si elle est pure ou non. La Torah dit explicitement que tous les ustensiles d’argile doivent être retirés de la maison avant que le Cohen n’arrive et ne la déclare tameh. Ce n’est pas une réalité physique qui rendrait ces assiettes et ces cruches impures, mais l’intention et la déclaration du Cohen. Tant qu’ils quittent la maison avant que le Cohen ne parle, ils sont purs. Cet élément d’intention est aussi une manifestation d’humanité.
Nous le voyons dans les lois qui déterminent quels objets peuvent devenir impurs et lesquels ne le peuvent pas. La pierre ne peut jamais devenir impure, mais le métal, le bois et le cuir le peuvent, s’ils ont été transformés en récipients ou en outils, probablement parce que la créativité humaine y est plus présente. Cela signifie que la désignation tameh, impur, d’un objet est la marque d’une chose affectée par l’humain. La section la plus longue de la michna est le traité Kelim, qui énumère les outils qui peuvent devenir impurs. Mais il est faux de penser que tout cela est négatif. Tout ce qui a un nom et une fonction peut devenir tameh, mais ces deux facteurs sont également des indicateurs de l’appartenance d’un objet à la civilisation humaine.
Vous remarquerez peut-être que j’aime ce sujet ! Il est souvent ignoré par les rabbins modernes, parce qu’il n’a pas une grande pertinence pratique, mais pour moi, toute la philosophie de l’humain est dans ces détails de lois. Permettez-moi un dernier exemple, semi-pratique. Nous savons qu’avant les actes liés à la sainteté, il y a la pratique de l’ablution des mains, netilat yadayim. Il ne s’agit pas de nettoyer ou de désinfecter les mains, les mains doivent être propres avant que netilat yadayim puisse commencer, c’est pourquoi chaque main est lavée deux ou trois fois : la première pour la nettoyer, la seconde comme acte de purification. Mais l’eau en elle-même n’affecte pas la pureté ou l’impureté. Il faut que l’eau soit “intentionnelle”, qu’elle soit versée délibérément. Pas par une machine ni par un robinet – et le Talmud discute de la question de savoir si un singe ou un bébé peut faire netilat yadayim pour quelqu’un. De la même manière que l’humanité affecte l’impureté, l’acte de pureté est aussi intrinsèquement lié au fait d’être un humain qui pense.
Être impur, c’est être humain – c’est-à-dire une créature qui pense, agit, crée, tombe malade, meurt, fait l’amour et donne naissance. Il est important de noter qu’il n’y a pas d’interdiction de devenir impur dans la Torah, et qu’il est impossible d’être constamment pur. Mais d’un autre côté, être constamment impur n’est pas non plus l’idéal. Nos vies sont constamment entrelacées avec la mort et la maladie, elles font partie de la condition humaine, mais nous ne voulons pas qu’elles soient au centre de l’attention. L’idée de pouvoir avoir des moments de sainteté où nous transcendons notre humanité est puissante. La dynamique entre ces deux pôles est le moteur de nos vies. Aller honorer un mort dans un cimetière rend impur mais c’est souvent obligatoire. Puis nous nous lavons et purifions nos mains en quittant le cimetière, pour marquer la distinction entre cet aspect de l’humanité et nos aspirations quotidiennes de recherche de sainteté.
La Torah nous ordonne d’être humains. Être juif, c’est être humain – mais pleinement humain – créatif, responsable et conscient. Penser, désirer, faire des distinctions. Être pleinement humain, c’est lire des nouvelles des guerres en Ukraine et en Israël et être touché par la possibilité de la mort. Être pleinement humain, c’est participer aux élections et avoir une opinion sur ce à quoi le monde devrait ressembler. Être pleinement humain, c’est aussi vouloir faire une pause dans sa vie d’humain, vivre des moments de sainteté, puis revenir à la belle fragilité de nos vies. Chabbat shalom.