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Six jours de travail

Sanctifier l'espace, le temps et la société

Par le rabbin Josh Weiner

Le chabbat est tellement au cœur de l’expérience juive qu’il est parfois difficile de croire que la plupart de ce que nous en savons est constitué de “montagnes suspendues à un fil” [Haguiga 1:8], des secrets cachés dans les mots de la Torah écrite. Au milieu du long passage qui conclut la construction du Tabernacle, nous avons deux versets et demi qui parlent soudain de chabbat.

וַיַּקְהֵ֣ל מֹשֶׁ֗ה אֶֽת־כׇּל־עֲדַ֛ת בְּנֵ֥י יִשְׂרָאֵ֖ל וַיֹּ֣אמֶר אֲלֵהֶ֑ם אֵ֚לֶּה הַדְּבָרִ֔ים אֲשֶׁר־צִוָּ֥ה יְ—הֹוָ֖ה לַעֲשֹׂ֥ת אֹתָֽם׃ שֵׁ֣שֶׁת יָמִים֮ תֵּעָשֶׂ֣ה מְלָאכָה֒ וּבַיּ֣וֹם הַשְּׁבִיעִ֗י יִהְיֶ֨ה לָכֶ֥ם קֹ֛דֶשׁ שַׁבַּ֥ת שַׁבָּת֖וֹן לַ—יהֹוָ֑ה כׇּל־הָעֹשֶׂ֥ה ב֛וֹ מְלָאכָ֖ה יוּמָֽת׃ לֹא־תְבַעֲר֣וּ אֵ֔שׁ בְּכֹ֖ל מֹשְׁבֹֽתֵיכֶ֑ם בְּי֖וֹם הַשַּׁבָּֽת׃

Moïse convoqua toute la communauté des enfants d’Israël et leur dit: “Voici les choses que l’Éternel a ordonné d’observer. Pendant six jours on travaillera, mais au septième vous aurez une solennité sainte, un chômage absolu en l’honneur de l’Éternel; quiconque travaillera en ce jour sera mis à mort. Vous ne ferez point de feu dans aucune de vos demeures en ce jour de repos.”

C’est la juxtaposition de ce passage aux côtés des détails de la construction du Tabernacle qui le précèdent et le suivent qui donne le sentiment que les deux sont liés. Les travaux de construction, même pour un lieu saint, ne se poursuivent pas le septième jour, et tout ce qui est considéré comme un travail nécessaire pendant la semaine est interdit le chabbat. Il est intéressant que les deux soient liés de cette façon, comme si le jour saint du chabbat était le miroir temporel du lieu saint qu’est le Michkan dans l’espace. Les rabbins ont identifié trente-neuf catégories de travaux effectués pendant la construction du Michkan : écrire, moudre, trier, cuisiner, brûler, tisser et ainsi de suite. Ces catégories sont ensuite subdivisées en centaines de détails qui créent ce que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de chabbat.

Mais on peut aussi considérer l’autre face de la réflexion. Le verset contient deux verbes à l’impératif — pendant six jours, il faut travailler, mais le septième jour, vous aurez un sabbat de repos complet. En effet, il existe une tradition rabbinique selon laquelle le travail est une obligation (Avot d’Rabbi Natan B 21), et même certains qui affirment que c’est un commandement de faire les trente-neuf types de travaux créatifs pendant la semaine (cité au nom du Baal Shem Tov). Ce n’est pas que le Chabbat soit saint et que le travail constructif ne soit qu’une concession, mais que chacun d’entre eux a une façon différente d’atteindre la sainteté. Il y a une sainteté de créer et une sainteté de s’abstenir.

Certains juifs pratiquants peuvent parfois sembler condescendants dans leur fierté de ne pas utiliser leur téléphone ou de ne pas lire leurs courriels pendant une journée — mais bien sûr, à la seconde où le chabbat est terminé, ils y reviennent. En théorie, ce n’est pas un problème, ce n’est pas que les smartphones et la technologie soient mauvais ou impies, ce n’est pas cela le message du chabbat, mais plutôt qu’il y a un temps et une façon d’utiliser chaque chose.

Dans le monde juif, il y a eu différentes façons de comprendre les mots “chabbat chabbaton”, [traduits ci-dessus par une solennité sainte]. L’une des plus extrêmes vient peut-être de l’école du rabbin Abraham Maïmonide (fils de Maïmonide). Il voyait le chabbat idéal comme un jour de méditation, de jeûne et de séparation complète d’avec ce monde.

“Il faut contempler les liens intellectuels et corporels qui nous unissent au Créateur, car c’est là le but du chabbat et la véritable signification du verset “C’est un signe entre moi et les enfants d’Israël.” Il faut réduire tout ce qui affaiblit ces liens, et donc éviter la nourriture et la boisson, ainsi que toute parole inutile… on arrive ainsi à des sentiments de crainte et d’amour si immenses que l’on ne ressent plus la faim” (Hamaspik Le’ovdei Hachem / Kifāyat al-`Ābidīn, p.15 en traduction hébreu).

J’ai vu cette citation d’Abraham Maïmonide rapportée dans un petit livre publié récemment par deux remarquables éducateurs à l’intention des soldats israéliens. Ils s’inquiètent des effets de toutes les violences subies et commises cette dernière année sur toute une génération de jeunes Israéliens : d’après eux, leur boussole morale a été bouleversée.

Le livre, intitulé ‘Chemirat Hanéféch‘ (préservation de l’âme), tente de donner des perspectives de Torah sur la vie dans un monde aussi complexe, et de contrer les voix fortes d’aujourd’hui qui donnent des interprétations simplistes et cruelles au nom de la Torah. La citation d’Abraham Maïmonide n’a pas pour but de suggérer que c’est ainsi que les soldats sont censés vivre le chabbat, en jeûnant et en méditant ; même à son époque, cette pratique était controversée et finalement rejetée. Ce que les auteurs remarquent cependant, c’est que le chapitre suivant, qui explique comment atteindre ce niveau de connexion spirituelle avec Dieu, porte sur le développement des qualités de miséricorde, de bonté et de patience. Autrement dit, le chemin pour être seul avec Dieu passe par les relations avec les autres.

Ce n’est pas que la miséricorde et la gentillesse soient juste des choses agréables que les gens gentils devraient avoir, ce sont de véritables défis dans ce monde qui sont indispensables à une vie religieuse authentique. Il est beaucoup plus facile de mettre des tefillin ou d’allumer des bougies de Hanoucca que d’être gentil. Et on n’est pas miséricordieux avec ses amis, ou avec des gens qui ont forcément déjà gagné notre confiance, mais justement envers ceux avec qui c’est plus difficile. C’est là tout le défi, mais les mitsvot sont précisément là pour nous confronter à ces défis. Elles ne sont pas destinées à un monde parfait où il est facile d’être gentil et généreux, confiant et miséricordieux, mais pour ici et maintenant, pour le monde imparfait dans lequel nous nous trouvons.

R. Abraham Maïmonide place ainsi les extases spirituelles du chabbat dans la même dynamique d’engagement au cœur des défis des relations interpersonnelles. Cela reflète la même interaction que nous avons entre les lois du chabbat et les lois de la construction du Tabernacle : les mêmes trente-neuf travaux qui sont nécessaires pour sanctifier l’espace sont aussi ceux qu’il faut éviter pour sanctifier notre temps. Ils semblent être opposés, mais sont en fait deux perspectives sur le même désir humain fondamental. Allumer un feu peut être un commandement un jour et une transgression le lendemain ; l’action elle-même est neutre alors que l’intention qui la sous-tend est la clé qui donne un sens ou non à notre présence dans le monde.

Nous présentons souvent le chabbat et les jours de semaine comme deux expériences distinctes, mais j’essaie de les considérer comme liés, dans les deux sens. Les activités de la semaine peuvent nourrir notre chabbat, et le chabbat peut s’écouler dans la semaine. Par exemple, Betsalel et les bâtisseurs du Michkan sont présentés dans la paracha comme ceux qui ont reçu de Dieu des compétences particulières :

מִלֵּ֨א אֹתָ֜ם חׇכְמַת־לֵ֗ב לַעֲשׂוֹת֮ כׇּל־מְלֶ֣אכֶת חָרָ֣שׁ  וְחֹשֵׁב֒ וְרֹקֵ֞ם בַּתְּכֵ֣לֶת וּבָֽאַרְגָּמָ֗ן בְּתוֹלַ֧עַת הַשָּׁנִ֛י וּבַשֵּׁ֖שׁ וְאֹרֵ֑ג עֹשֵׂי֙ כׇּל־מְלָאכָ֔ה וְחֹשְׁבֵ֖י מַחֲשָׁבֹֽת׃

II les a doués du talent d’exécuter toute œuvre d’artisan, d’artiste, de brodeur sur azur, pourpre, écarlate et fin lin, de tisserand, enfin de tous artisans et artistes ingénieux. (Exode 35:35)

Cette dernière phrase (traduite ici par “artisans et artistes ingénieux“, mais plus littéralement, “faiseurs de tout travail et penseurs de pensées“) est essentielle. Pour moi, elle fait le lien entre la perspective du chabbat et celle de la semaine. Nous sommes toujours des “penseurs de pensées”, ou du moins, nous devrions l’être. Le chabbat, ce sont des pensées d’être, nous nous concentrons sur qui nous sommes ; et pendant la semaine, ce sont des pensées d’agir, nous changeons le monde autour de nous pour le meilleur, en construisant un Michkan partout où nous passons.

Chabbat chalom !

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