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Si vous écoutez vous entendrez

Ce que l'on peut entendre dans le deuxième paragraphe du Chema

Par le rabbin Josh Weiner

La paracha de la semaine dernière contenait le texte du premier paragraphe du Chema, et celle d’aujourd’hui, le second. Ensemble, ces passages sont récités quotidiennement par les juifs du monde entier, ils sont écrits et fixés sur le montant de leurs portes, et portés par ceux qui portent des tefillin. Lorsque nous disons que nous sommes liés à ces mots de la Torah, il s’agit non pas d’une expression figurée, mais littérale ; de nombreux Juifs sont littéralement attachés physiquement à ces mots-là spécifiquement.

Le premier de ces paragraphes est peut-être le plus célèbre. Il est connu dans la littérature rabbinique sous le nom d’ « Acceptation du joug du ciel », et contient sept commandements et principes fondamentaux. J’aimerais prendre quelques minutes pour examiner le deuxième paragraphe, qui me semble malheureusement moins discuté. [Maïmonide, dans le Guide des Egarés, dit que le chemin du perfectionnement de l’esprit commence par la concentration non seulement pendant le premier paragraphe du Chema, mais aussi pendant le second]. J’aimerais faire quelques brèves observations sur les interprétations talmudiques du deuxième paragraphe, car je pense qu’elles contiennent des clés pour saisir certaines idées très importantes sur la façon d’être un bon Juif, et un bon humain en général, dans ce monde. (Vous pouvez lire le paragraphe en question ici !).

1. Le cercle vertueux

Le texte commence par Vehaya im chamo’a tichme’ou. Chaque fois qu’un verbe est répété de cette façon, c’est en général pour mettre l’accent dessus, et il faut donc le traduire par « Et il arrivera, si vous entendez/comprenez/écoutez vraiment ». Mais en traduisant chaque verbe séparément, on peut lire quelque chose comme « Si vous avez entendu, vous entendrez », ou même « Si vous écoutez, vous entendrez ». C’est dans ce sens que Rachi, citant le midrach, dit :

והיה אם שמע תשמעו. אִם שָׁמֹעַ בַּיָּשָׁן תִּשְׁמְעוּ בֶּחָדָשׁ, וְכֵן « אִם שָׁכֹחַ תִּשְׁכַּח » (דברים ח’) – אִם הִתְחַלְתָּ לִשְׁכֹּחַ סוֹפְךָ שֶׁתִּשְׁכַּח כֻּלָּהּ, שֶׁכֵּן כְּתִיב בִּמְגִלָּה אִם תַּעַזְבֵנִי יוֹם יוֹמַיִם אֶעֶזְבֶךָּ

‘ET IL S’ENTRAÎNERA SI L’ÉCOUTE VOUS ÉCOUTE’ – Si tu es à l’écoute de l’ancien, tu seras à l’écoute du nouveau. De même, si tu as commencé à oublier, ta fin sera que tu oublieras tout. C’est aussi ce qui est écrit dans un parchemin secret : « Si tu M’oublies un jour, Je t’oublierai deux jours ». 

(Rachi sur Deutéronome 11:13).

Il y a ici une acceptation de l’inertie de la vie – si on s’oriente dans une certaine direction, il devient plus simple de continuer. Si on commence à apprendre, le fait d’apprendre devient plus facile ; si on commence une certaine pratique, elle devient rapidement une habitude confortable et nous donne de l’espace pour grandir davantage. Un bricolage chaotique de choix ne mène pas à la stabilité. Ce modèle peut certainement être plus nuancé que la façon dont il est présenté ici, mais instinctivement, je sens qu’il est souvent vrai. La régularité et l’habitude facilitent certains aspects de la vie et nous invitent à assumer davantage de « nouveautés ».

2. Va travailler !/?

Bien que la structure de ce paragraphe du Chema semble suivre le modèle classique des notions de récompense et de punition, il y a quelques présupposés cachés qui peuvent être explicités, même si le monde n’est évidemment pas aussi mécanique que ce qui est présenté ici. Dans la section «récompense », on promet au peuple que s’il se comporte bien, la pluie tombera au bon moment [le mardi soir et le vendredi soir, selon un avis!] et qu’il pourra travailler la terre et récolter le grain, ve’asafta deganekha. Mais cela implique que les gens travaillent ! En fait, c’est l’une des sources selon laquelle travailler est une mitsva, une obligation biblique. Rabbi Ishmaël apporte ce point de vue dans le Talmud :

תָּנוּ רַבָּנַן : ״וְאָסַפְתָּ דְגָנֶךָ״ מָה תַּלְמוּד לוֹמַר ? – לְפִי שֶׁנֶּאֱמַר : ״לֹא יָמוּשׁ סֵפֶר הַתּוֹרָה הַזֶּה מִפִּיךָ״ – יָכוֹל דְּבָרִים כִּכְתָבָן, תַּלְמוּד לוֹמַר : ״וְאָסַפְתָּ דְגָנֶךָ״ – הַנְהֵג בָּהֶן מִנְהַג דֶּרֶךְ אֶרֶץ, דִּבְרֵי רַבִּי יִשְׁמָעֵאל

Les Sages ont enseigné : Quelle est la signification du verset : « Et vous récolterez votre grain » ? Parce qu’il est dit ailleurs : « Cette Torah ne s’éloignera pas de vos bouches, et vous la contemplerez jour et nuit » (Josué 1:8). Cela peut-il être pris au pied de la lettre ? C’est pourquoi la Torah déclare explicitement : » Et vous récolterez votre grain » – assumer la voie du monde [et pas seulement l’étude de la Tora]. 

(Berakhot 35b)

Il existe une autre opinion dans le Talmud qui dit le contraire, à savoir qu’il vaut mieux étudier que travailler, et il y a bien sûr des groupes marginaux dans le judaïsme qui adoptent ce mode de vie. Mais considérons un instant la position la plus courante, selon laquelle aller travailler, « assumer la voie du monde », est une mitsva, un commandement divin. Selon cette approche, il y a une valeur spirituelle à travailler et à gagner de l’argent, à affronter les défis et les frustrations de n’importe quel emploi (et peut-être même que toucher sa retraite est « la voie du monde » aujourd’hui). Si cela vous semble superficiel et ressemble un peu à l’éthique protestante américaine du travail, rappelez-vous la deuxième opinion du Talmud, selon laquelle le travail est une perte de temps qui pourrait être consacré à des choses plus importantes. C’est la tension entre ces deux idéologies, plutôt que chacune des idéologies, en elles-mêmes simplistes, qui est le moteur d’une approche juive du monde.

3. La vie juive est-elle centrée sur Sion ?

Le texte continue avec la contrepartie du modèle de récompense et de punition. Si le peuple ne se comporte pas de la bonne façon, la pluie cessera de tomber, les récoltes seront mauvaises et ils seront bannis de la terre d’Israël. Puis le texte saute pour parler des commandements des Tefillin et de la Mezouza. Lorsque nous lisons ce texte dans les prières, même de manière automatique, en général nous ne remarquons pas à quel point cette transition est étrange, entre l’exil et les Tefillin. Mais là encore, les lectures rabbiniques sensibles rendent cela explicite :

ואבדתם מהרה, ושמתם את דברי אלה וגו’. אמר להם הקב”ה לישראל, אע“פ שאני מגלה אתכם מן הארץ לחו”ל אף על פי כן היו מצויינים במצות, כדי שכשאתם חוזרים לא יהיו לכם כחדשים

« Vous serez entièrement détruits… mettez ces paroles sur vos cœurs » – Le Saint béni soit-Il a dit au peuple d’Israël : même si je vous expulse de votre terre vers des lieux étrangers, marquez-vous néanmoins ces commandements afin que, lorsque vous reviendrez enfin, ils ne soient pas nouveaux pour vous. 

[Sifrei Devarim 34]

Selon cette conception, les mitsvot n’ont pas de sens dans la diaspora, si ce n’est qu’elles servent de repère pour un éventuel retour sur la terre où elles reprendront tout leur sens. Pour ceux d’entre nous qui font partie de la diaspora juive, non pas exilés mais par choix et avec la conviction que la vie juive a un sens dans n’importe quel endroit du monde, un tel texte est chamboulant. Mais il contient aussi une certaine vérité sur la continuité juive – « qu’ils ne soient pas nouveaux pour vous ». Nous ne cherchons pas à réinventer les mitsvot chaque jour, à décider chaque jour quoi porter pendant la prière, ou quel jour de la semaine doit être le jour de repos cette fois-ci, ou de quel instrument jouer pour marquer la nouvelle année. Il y a quelque chose de vrai dans le fait que tout au long de deux millénaires d’existence en diaspora, l’ancrage des anciens rituels a donné au peuple juif un sentiment de stabilité qui nous a permis de survivre sans État. Si ce texte anti-diasporique vous gêne encore, alors je terminerai par une interprétation du dernier verset de ce paragraphe du Chema, qui parle de la promesse d’une longue vie pour ceux qui respectent les commandements.

אֲמַרוּ לֵיהּ לְרַבִּי יוֹחָנָן : אִיכָּא סָבֵי בְּבָבֶל. תְּמַהּ וַאֲמַר : ״לְמַעַן יִרְבּוּ יְמֵיכֶם וִימֵי בְנֵיכֶם עַל הָאֲדָמָה״ כְּתִיב, אֲבָל בְּחוּצָה לָאָרֶץ – לָא ? כֵּיוָן דְאָמְרִי לֵיהּ מְקַדְּמִי וּמְחַשְּׁכִי לְבֵי כְנִישְׁתָּא, אֲמַר : הַיְינוּ דְּאַהֲנִי לְהוּ

Lorsque les Sages ont dit à Rabbi Yoḥanan qu’il y a des vieillards en Babylonie, il a été déconcerté et a dit : Mais il est écrit : » Afin que vos jours se prolongent et ceux de vos enfants sur la terre [d’Israël] » (Deutéronome 11.21) – et non pas en dehors de la Terre ! Quand ils lui ont dit qu’en Babylonie, les gens vont tôt le matin et tard le soir à la synagogue, il a dit : C’est sûrement ça la raison. 

(Berakhot 8a)

La vieille question de la centralité de la terre d’Israël pour le peuple juif reste ouverte, et ces deux textes préservent bien cette tension. D’une part, la poursuite de la pratique juive en diaspora est considérée comme moins authentique que la même pratique en Israël. D’autre part, il y a des hommes et des femmes âgés à Babylone et à Paris qui y ont mené une vie juive riche et épanouie. Cet épanouissement est dû en partie à la lecture et à la réinterprétation répétées de textes comme le Chema, et c’est ce que nous continuons à faire aujourd’hui.

Chabbat chalom.

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