Le discours du rabbin Josh Weiner
Chana tova ! Traditionnellement, cette dracha de Roch Hachana est l’occasion de réfléchir aux leçons de l’année écoulée et de formuler des vœux pour celle à venir. Permettez-moi de commencer par une litote : l’année a été très difficile. Elle a commencé par le massacre de soldats et de civils, d’adolescents qui dansaient et de grands-mères dans leur cuisine. Les visages et les noms des personnes kidnapées sont gravés dans nos mémoires. L’année s’est poursuivie avec une guerre qui a coûté la vie à des milliers d’autres innocents et qui a placé Israël dans une situation difficilement imaginable il y a un an, se battant sur sept fronts simultanément.
L’année a été difficile, car les effets de cette guerre se sont répandus dans le monde entier et sont arrivés jusqu’ici, provoquant une plus grande acceptation des actes et des discours antisémites, ainsi qu’un isolement accru. Les enfants juifs ont changé d’école, les gens qui n’étaient pas venus à la synagogue depuis vingt ans ont recommencé à y aller, à la recherche d’un espace sûr. Des amitiés et des alliances ont été mises à l’épreuve ou déchirées, soit à cause de disputes, soit à cause du silence.
L’année a été difficile – à plus petite échelle, depuis octobre, j’ai surtout réagi à court terme, ayant du mal à planifier quoi que ce soit dans un avenir lointain. Comme beaucoup de gens, j’ai eu de plus en plus de mal à me concentrer, regardant parfois les nouvelles 150 fois par jour. Avec tout cela en toile de fond, qu’est-ce que je peux nous souhaiter pour l’année à venir, qui ne promet pas d’être plus facile ?
Je souhaite que nous soyons libres.
Il y a un célèbre débat talmudique sur l’ordre de certains événements bibliques. Je veux le citer dans son intégralité, car il est plus complexe que la façon dont il est parfois présenté.
תַּנְיָא, רַבִּי אֱלִיעֶזֶר אוֹמֵר : בְּתִשְׁרִי נִבְרָא הָעוֹלָם, בְּתִשְׁרִי נוֹלְדוּ אָבוֹת, בְּתִשְׁרִי מֵתוּ אָבוֹת, בַּפֶּסַח נוֹלַד יִצְחָק, בְּרֹאשׁ הַשָּׁנָה נִפְקְדָה שָׂרָה רָחֵל וְחַנָּה, בְּרֹאשׁ הַשָּׁנָה יָצָא יוֹסֵף מִבֵּית הָאֲסוּרִין. בְּרֹאשׁ הַשָּׁנָה בָּטְלָה עֲבוֹדָה מֵאֲבוֹתֵינוּ בְּמִצְרַיִם, בְּנִיסָן נִגְאֲלוּ, בְּתִשְׁרִי עֲתִידִין לִיגָּאֵל. רַבִּי יְהוֹשֻׁעַ אוֹמֵר : בְּנִיסָן נִבְרָא הָעוֹלָם, בְּנִיסָן נוֹלְדוּ אָבוֹת, בְּנִיסָן מֵתוּ אָבוֹת, בְּפֶסַח נוֹלַד יִצְחָק, בְּרֹאשׁ הַשָּׁנָה נִפְקְדָה שָׂרָה רָחֵל וְחַנָּה, בְּרֹאשׁ הַשָּׁנָה יָצָא יוֹסֵף מִבֵּית הָאֲסוּרִין, בְּרֹאשׁ הַשָּׁנָה בָּטְלָה עֲבוֹדָה מֵאֲבוֹתֵינוּ בְּמִצְרַיִם, בְּנִיסָן נִגְאֲלוּ בְּנִיסָן עֲתִידִין לִיגָּאֵל
Rabbi Eliezer dit : en Tichri, le monde a été créé ; en Tichri, les patriarches sont nés ; en Tichri, les patriarches sont morts ; à Pessah, Isaac est né ; à Roch Hachana, Dieu s’est souvenu de Sara, Rachel et Hanna et elles ont conçu ; à Roch Hachana, Joseph est sorti de prison ; à Roch Hachana, l’esclavage de nos ancêtres en Égypte a cessé ; en Nissan, le peuple juif a été libéré de l’Égypte ; et à Tichri, à l’avenir, le peuple juif sera libéré.
Rabbi Yehoshua n’est pas d’accord et dit : En Nissan, le monde a été créé ; en Nissan, les Patriarches sont nés ; en Nissan, les Patriarches sont morts ; à Pessah, Isaac est né ; à Roch Hachana, Dieu s’est souvenu de Sara, Rachel et Hanna et elles ont conçu ; à Roch Hachana, Joseph est sorti de prison ; à Roch Hachana, l’esclavage de nos ancêtres en Égypte a cessé ; en Nissan, le peuple juif a été libéré de l’Égypte ; et à Nissan, dans l’avenir, le peuple juif sera libéré.
Très souvent, ce texte est utilisé pour dire quelque chose sur la nature de Roch Hachana en tant qu’anniversaire de la création du monde. (Nous voyons déjà que nous ne sommes pas censés prendre ces faits sur la création au pied de la lettre, sinon il n’y aurait pas de débat). Selon une opinion, la création ressemble davantage à Nissan, le printemps. Les arbres commencent à fleurir, les fleurs s’ouvrent, nous ressentons un sentiment de commencement. L’autre opinion, et celle qui a été acceptée, est que le type de création dont nous parlons est celui de l’automne, où les fruits sur les arbres et les récoltes dans les champs représentent l’achèvement de la création. Tout comme l’histoire de la création présente Adam comme pleinement formé, et prêt à réaliser son potentiel pour développer (ou détruire) le monde, le temps des fruits pleinement formés en automne est la saison appropriée pour situer cette histoire. Et c’est l’opinion qui semble avoir été acceptée dans notre liturgie de Roch Hachana.
C’est un débat intéressant, mais pour moi, il y a un autre détail important dans le texte, sur lequel les deux rabbins sont étonnamment d’accord : à Roch Hachana, Joseph a été libéré de prison, et à Roch Hachana, l’esclavage en Égypte a cessé. Ces deux points font l’unanimité, mais ne sont pas si connus. Nous associons généralement la libération de l’Égypte à la fête de Pessah, mais nous voyons ici que la liberté et la libération ne sont pas identiques. Pendant les six mois qui ont précédé leur départ d’Égypte, ils n’étaient plus esclaves. Qu’ont-ils fait pendant ces six mois ? Je ne connais pas de sources traditionnelles qui décrivent leur expérience pendant cette période agitée, mais en suivant la tradition des maîtres hassidiques, tels que Rebbe Kalonymous Kalman Shapiro, qui mettait l’accent sur l’imagination et la visualisation des scènes bibliques, j’imagine le peuple évoluant entre la peur et le soulagement, entouré de plaies mais pas encore en mesure de célébrer, et incertain de ce que l’avenir lui réservait.
Lorsque j’imagine Joseph sorti de sa prison le jour de Roch Hachana, je ne vois pas un jour de fête, mais aussi de la terreur alors qu’il est amené devant un dictateur psychopathe, ne sachant pas s’il finira la journée mort ou vif. La libération mérite d’être célébrée, c’est certain, mais la liberté est plus complexe. La libération est une action, et la liberté est un potentiel. Si vous voulez une métaphore visuelle pour cela, rappelons-nous que la plupart des fêtes, y compris Pessah, se déroulent au milieu du mois, lorsque la lune est pleine. Roch Hachana est la seule fête où la lune est cachée, békésé leyom hageinou [Psaumes 81:4], et où sa présence n’est qu’une promesse, pas encore visible. La liberté peut résider dans l’obscurité. Si je pense à la libération en termes de musique, je pense peut-être au jazz, ou aux chants désordonnés autour de la table du Seder, un mélange de mélodies et d’histoires. Comparez cela avec la musique de Roch Hachana, le chofar, un instrument capable de produire qu’une seule note de pur potentiel. C’est ainsi que j’imagine la différence entre la libération et la liberté.
L’idée clé de Roch Hachana est celle de la téchouva, généralement traduite par repentir, mais c’est bien plus que demander pardon. Au fond, il s’agit d’accepter la possibilité que je puisse changer, que la personne que je suis aujourd’hui ne soit pas prisonnière de la personne que j’étais hier. Peut-être que la métaphore d’un tribunal divin qui décide qui vivra et qui mourra, qui par la guerre et qui par le feu – cette confrontation avec notre mortalité, sans nos illusions confortables habituelles – tout cela sert à renforcer la vérité inconfortable que nous ne savons pas ce qui va se passer avec nos vies. Nous ne savons pas si demain sera comme hier. Il y a quelque chose de merveilleux dans cette vérité, le potentiel de changement, et il est vrai que nous abordons ce jour de jugement avec confiance, en le célébrant par de bons repas et des sonneries du chofar.
Mais il y a aussi quelque chose de terrifiant, si nous prenons au sérieux les mots que nous lisons. Nous ne savons pas comment cette histoire va se dérouler. Tout peut arriver, en matière de téchouva. C’est ça la liberté ! Rabbi Nahman dit [Likutei Moharan 6] que le processus de téchouva est lié au nom le plus grand de Dieu, Ehyeh asher Ehyeh, Je-serai-ce-que-je-serai. Il dit qu’en cette période de l’année, nous sommes tous des reflets de ce nom divin qui indique la liberté et le changement, et il cite les mots énigmatiques du Zohar – Ana Zamin Lemahevei – « Je suis prêt à devenir ». Devenir quoi ? On ne sait pas.
Lorsque je suis arrivée à Adath Shalom, il y a un peu plus de trois ans, juste avant Roch Hachana, j’étais à la fois impatient et inquiet, et je me préparais à « devenir », sans savoir exactement à quoi m’attendre. C’était vers la fin de la période difficile du Covid, et la question était de savoir si et comment ramener les gens à la synagogue. Globalement, ce n’est plus notre question. La communauté a survécu, s’est rétablie et est devenue plus forte, même si nous portons certaines cicatrices de cette période. Cela ne fait que trois ans, mais il s’est passé beaucoup de choses. Certaines personnes ne sont plus parmi nous. Ma fille est née, la fille d’Elkana est née, il y a des activités non-stop à la synagogue et des courriels non-stop qui vous sont envoyés pour vous rappeler des événements exceptionnels. Et en même temps, un sentiment de crise prolongé. La guerre aux frontières de l’Europe, la guerre au Moyen-Orient, des choix électoraux difficiles en France, et chaque été est le plus chaud jamais enregistré – nous essayons de trouver des moyens de réagir à tout cela, et il est difficile de savoir à quoi ressemblera demain, et encore plus d’imaginer avec clarté nos vies dans cinq ou dix ans.
Mon rêve est d’être le rabbin d’une communauté ennuyeuse à une époque ennuyeuse, mais le monde ne le permet pas. Rivon prend sa retraite cette année, et je ne suis pas Rivon, et je ne le serai jamais. Et pourtant, malgré tout cela, je suis très confiant. Confiant dans les personnes qui m’entourent, les personnes présentes ici aujourd’hui, confiant dans l’avenir, confiant dans notre potentiel. Je ne sais pas à quoi ressemblera l’année à venir, mais Ana Zamin Lemahevei, je suis prêt à devenir. C’est cette liberté que nous célébrons à Roch Hachana.