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Regardez.

La lâcheté d'arracher une affiche, et le courage de ne pas détourner le regard.

Par le rabbin Josh Weiner

L’un des problèmes de notre cycle de lectures de la Torah est qu’elles semblent souvent déconnectées du cycle des fêtes. Alors que nous passons les deux prochaines semaines à nous préparer à la célébration du plus grand événement de l’histoire juive, la libération de l’esclavage et l’exode d’Égypte, nous lirons à la synagogue divers détails sur les maladies de peau bibliques et leur traitement. C’est toujours un beau défi intellectuel que d’être obligé d’y trouver de la pertinence, et en général, si on y regarde attentivement, on trouve ce qu’il faut trouver. 

J’ai déjà dit que malgré les interprétations plus tardives, lorsque la Torah parle de la lèpre et des autres affections dans la paracha, elle les considère comme un fait de la vie dont les conséquences doivent être traitées, plutôt que de voir la personne malade comme coupable ou immorale ou indésirable. En fait, l’accent n’est pas mis sur les maladies mais sur l’impureté qui leur est associée et sur la façon dont elles interagissent avec les espaces sacrés, mais même cela n’a pas à être négatif, l’impureté est aussi un fait de la vie.

Il est également intéressant de noter que l’impureté n’est pas identique à ces affections de la peau et qu’elle ne se produit pas automatiquement. L’un des verbes répétés dans pratiquement chaque verset est “voir” : le prêtre vient rendre visite à la personne touchée, la voit et l’examine de près, et ce n’est qu’après qu’elle a été déclarée impure qu’elle devient impure. Cela conduit à une échappatoire intéressante : si le prêtre ne les voit pas, ils sont purs et peuvent continuer leur vie rituelle comme avant. 

וְאִם־פָּר֨וֹחַ תִּפְרַ֤ח הַצָּרַ֙עַת֙ בָּע֔וֹר וְכִסְּתָ֣ה הַצָּרַ֗עַת אֵ֚ת כׇּל־ע֣וֹר הַנֶּ֔גַע מֵרֹאשׁ֖וֹ וְעַד־רַגְלָ֑יו לְכׇל־מַרְאֵ֖ה עֵינֵ֥י הַכֹּהֵֽן… וּבְי֨וֹם הֵרָא֥וֹת בּ֛וֹ בָּשָׂ֥ר חַ֖י יִטְמָֽא

רש”י: וביום. מַה תַּ”ל? לְלַמֵּד יֵשׁ יוֹם שֶׁאַתָּה רוֹאֶה בוֹ וְיֵשׁ יוֹם שֶׁאֵין אַתָּה רוֹאֶה בוֹ, מִכָּאן אָמְרוּ: חָתָן נוֹתְנִין לוֹ כָּל שִׁבְעַת יְמֵי הַמִּשְׁתֶּה, לוֹ וְלִכְסוּתוֹ וּלְבֵיתוֹ, וְכֵן בָּרֶגֶל נוֹתְנִין לוֹ כָּל יְמֵי הָרֶגֶל

Mais si la lèpre refleurit dans la peau, et que la lèpre couvre toute la peau de la plaie, de la tête aux pieds, autant que pourront le voir les yeux du cohen…. Mais à partir du jour où il s’y montre de la chair vive, l’homme est impur. (Lévitique 13:12-14).

Rachi commente : Pourquoi dit-on “à partir du jour” ? Pour nous informer qu’il y a des jours où on peut voir une affection et d’autres où on ne la voit pas. Les rabbins ont dit : Un jeune marié bénéficie d’un répit pendant les sept jours des festivités du mariage, et de même lors d’une fête, tout le monde bénéficie d’un répit tous les jours de cette fête – et pendant ces périodes, le prêtre ne peut pas venir l’examiner, ni ses vêtements, ni sa maison (cf. Moed Katan 7b).

Le regard du prêtre ne fait pas que confirmer la réalité de l’impureté, il la crée. C’est le cas dans de nombreux domaines de la vie juive. Par exemple, les mois étaient autrefois annoncés par l’observation de la nouvelle lune, mais si cela entraînait des difficultés de calendrier, comme Yom Kippour un vendredi, le tribunal rabbinique retardait les témoins – ils “voyaient” la lune un jour plus tard – jusqu’à ce qu’il soit commode d’annoncer le début du mois. Dans d’autres cas également, les témoins créent la réalité au lieu de se contenter de l’observer.

Dans les mariages, par exemple, ce n’est pas que les témoins se contentent de voir le couple se marier, ils créent ce statut d’être marié. Et en général, voir quelque chose ou quelqu’un est crucial pour comprendre plus profondément sa situation. Cela peut paraître banal, mais voir est plus puissant que savoir. Je pense à l’histoire que j’ai entendue [mais que je n’ai pas pu vérifier] de Rav Amital, un rabbin éminent en Israël, qui a été approché le chabbat pour demander comment soigner un animal qui mettait bas et présentait des complications médicales qui nécessitaient de transgresser le chabbat pour lui sauver la vie. Rav Amital a marché plusieurs kilomètres jusqu’à la ferme où se trouvait l’animal pour prendre sa décision. Il a déclaré par la suite que la halakha ne se décide pas à partir de faits abstraits, mais en voyant de ses propres yeux, en entendant l’animal pleurer, puis en comprenant la réalité. 

L’un des premiers actes rituels que nous accomplissons pour nous préparer à Pessah est la nuit précédant la fête, lorsque nous recherchons le hamèts dans la maison. Dans de nombreuses familles, c’est devenu un jeu amusant pour les enfants, quelque chose comme la chasse aux œufs de Pâques, mais en réalité, on est censé passer en revue chaque pièce de la maison et vérifier qu’aucun hamèts n’y a été oublié. Surtout, il faut le faire à la lumière d’une bougie. Et pas n’importe quelle bougie : les règles stipulent qu’elle ne doit pas être trop forte ni avoir une flamme vacillante. Les lampes de poche sont autorisées en remplacement d’une bougie, et de nombreux rabbins encouragent les gens à laisser les lumières électriques allumées pour mieux voir, mais même si on le fait, il faut utiliser une bougie. Pourquoi ? 

Le Talmud utilise souvent une méthode herméneutique appelée “gezera chava” pour apprendre une loi à partir de deux versets qui partagent un mot similaire. L’idée est que la Torah utilise intentionnellement le même mot afin d’appliquer quelque chose d’écrit explicitement dans un verset à la situation du second verset. Mais pour Pessah, nous avons un jeu textuel très complexe, une super-gezera chava, afin d’enseigner qu’il faut chercher le hamèts avec une bougie. Cela ressemble plus à un poème mystique qu’à une interprétation juridique.

לְאוֹר הַנֵּר וְכוּ׳. מְנָא הָנֵי מִילֵּי ? אָמַר רַב חִסְדָּא : לָמַדְנוּ מְצִיאָה מִמְּצִיאָה, וּמְצִיאָה מֵחִיפּוּשׂ, וְחִיפּוּשׂ מֵחִיפּוּשׂ, וְחִיפּוּשׂ מִנֵּרוֹת, וְנֵרוֹת מִנֵּר

Rav Hisda dit : Comment savons-nous cela ? Nous apprenons Trouver à partir de trouver, Trouver à partir de chercher, Chercher à partir de chercher, Chercher à partir de bougies, et Bougies à partir d’une bougie. (Pessahim 7b)

En effet, Rav Hisda relie quatre versets différents, le premier parle du hamets et le dernier parle de la recherche à l’aide d’une bougie.

שִׁבְעַ֣ת יָמִ֔ים שְׂאֹ֕ר לֹ֥א יִמָּצֵ֖א בְּבָתֵּיכֶ֑ם כִּ֣י ׀ כׇּל-אֹכֵ֣ל מַחְמֶ֗צֶת וְנִכְרְתָ֞ה הַנֶּ֤פֶשׁ מֵעֲדַ֣ת יִשְׂרָאֵ֔ל בַּגֵּ֖ר וּבְאֶזְרַ֥ח הָאָֽרֶץ׃

Durant sept jours, qu’il ne soit point trouvé de levain dans vos maisons (Exode 12:19).

וַיְחַפֵּ֕שׂ בַּגָּד֣וֹל הֵחֵ֔ל וּבַקָּטֹ֖ן כִּלָּ֑ה וַיִּמָּצֵא֙ הַגָּבִ֔יעַ בְּאַמְתַּ֖חַת בִּנְיָמִֽן׃

Et il chercha, commençant par le plus âgé, finissant par le plus jeune. La coupe fut trouvée dans le sac de Benjamin.(Genèse 44:12).

בָּעֵת הַהִיא אֲחַפֵּשׂ אֶת יְרוּשָׁלִַים בַּנֵּרוֹת

À ce temps-là, je chercherai Jérusalem avec des bougies (Sophonie 1:12).

נֵ֣ר יְ֭-הֹוָה נִשְׁמַ֣ת אָדָ֑ם חֹ֝פֵ֗שׂ כׇּל-חַדְרֵי-בָֽטֶן

L’âme de l’homme est la bougie de Dieu, cherchant [ou : ‘révélant’] l’intérieur. (Proverbes 20:27)

Il semble y avoir un message spirituel ici, utilisant la métaphore de Dieu fouillant l’humanité avec la bougie qu’est l’âme de l’homme. Mais même sans examiner les implications de cette métaphore pour le rituel, je note l’insistance sur la recherche et la découverte. La bougie est utilisée, plutôt qu’une torche enflammée ou la lumière du soleil, parce qu’elle nous oblige à nous déplacer lentement et à nous concentrer sur un seul endroit à la fois. Il est important de noter que même une personne qui vient de passer deux semaines à nettoyer la maison, et qui sait qu’il n’y a pas de hamèts à trouver, est obligée de chercher du hamèts à l’aide d’une bougie la nuit précédant Pessah. Savoir quelque chose n’est pas pareil que le voir. 

J’y pense aussi dans d’autres contextes. Juste à côté de la synagogue, à l’extérieur de la station de métro Dupleix, il y avait des affiches d’enfants israéliens kidnappés par le Hamas. Un jour après avoir été posées, elles ont été arrachées, comme beaucoup d’autres autour de Paris. J’essaie d’imaginer l’esprit de la personne lâche qui arrache ces affiches, qui ne supporte pas de voir un récit qui contredit le sien, qui est incapable de tenir une quelconque complexité. Être forcé de voir de ses propres yeux une réalité que l’on ne connaît pas déjà est difficile et crucial – ces affiches sont devenues un champ de bataille et ne devraient pas être abandonnées maintenant.

Et bien sûr, je dirais la même chose de l’autre côté (bien qu’il n’y ait pas nécessairement que deux côtés à cette question) : les défenseurs d’Israël doivent trouver l’honnêteté et le courage de regarder la tragédie humaine à Gaza, et ne pas détourner le regard de la faim et de la souffrance qui y existent. Avant d’interpréter, avant de blâmer, nous ne pouvons pas fermer les yeux, ou avoir le même état d’esprit que ceux qui arrachent les affiches des otages israéliens. Notre tradition nous oblige à aller regarder de près, et nous enseigne que regarder a des conséquences. Pas toujours, pas tout le temps : le prêtre pouvait regarder ailleurs pendant les sept jours de la célébration du mariage, ou pendant les fêtes, parce que la vie doit continuer. Mais le prêtre ne pouvait pas regarder ailleurs pour toujours. 

Peut-être qu’une dernière implication de cette insistance à sortir pour voir de nos propres yeux se trouve dans une autre exigence de l’expérience de Pessah, le récit de l’histoire de l’Exode. Chaque juif est tenu, selon la halakha, de se voir comme s’il quittait personnellement l’Égypte. (חַיָּב אָדָם לִרְאוֹת אֶת עַצְמוֹ כְּאִילּוּ הוּא יָצָא מִמִּצְרָיִם) Après l’exigence d’aller voir le monde tel qu’il est et de créer le monde qui doit être vu, on nous rappelle de tourner notre regard vers l’intérieur. Se voir comme si nous quittions l’Égypte n’est pas seulement un jeu de fantaisie imaginaire, nous devons regarder vers l’intérieur et comprendre qui nous sommes, quelles parties de nous-mêmes sont en esclavage et lesquelles se sentent libérées. Nous devons faire preuve du même courage et de la même honnêteté pour nous voir nous-mêmes que pour voir le monde qui nous entoure.

Chabbat chalom !

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