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Ré-enchantement

À la recherche de la recherche de Dieu, Pourim 5785

Par le rabbin Josh Weiner

J’aime la configuration du calendrier cette année, où Pourim, tombant un vendredi, se transforme doucement en Chabbat. À Jérusalem, qui doit toujours être différente, Pourim aurait dû être célébré aujourd’hui, car les fêtes se font un jour après tout le monde. Mais comme il ne peut pas être célébré un Chabbat, nous avons ce que l’on appelle Pourim Mechoulah‘, un triple Pourim. Les dons aux pauvres sont donnés et la Méguila est lue vendredi, tandis que le festin aura lieu dimanche. Pendant le Chabbat intermédiaire, il n’y a pas de mitsva particulière, mais il règne une atmosphère de légèreté et le sentiment qu’un événement important se prépare. Pourtant, Pourim lui-même semble caché ce jour-là.

On a beaucoup commenté le fait que le Nom de Dieu n’apparaît pas explicitement dans la Méguila, et que les miracles que nous y célébrons peuvent être compris en termes de politique, de diplomatie, de hasard et de courage humain. Ce n’est pas seulement le Nom de Dieu qui est absent, mais aussi Sa voix: même des figures comme Mardochée et Esther ne savent pas toujours ce qu’ils doivent faire, ni ce que Dieu attend d’eux. Mardochée refuse de s’incliner devant Haman : était-ce une décision sage ? Était-ce la halakha ? Était-ce ce que Dieu voulait de lui à ce moment-là ? Combien de vies ont été menacées ou perdues à cause de cet acte de défiance ? On ne sait pas.

À la toute fin de la Méguila, le même roi qui voulait détruire les Juifs est toujours sur son trône, il impose de nouveaux impôts, et Mardochée est décrit comme « grand parmi les Juifs et estimé par la plupart de ses frères » (Esther 10:3). La plupart, mais pas tous : certains étaient furieux des choix qu’il avait faits. Si nous avons tendance à comprendre le titre « Méguilat Esther » comme « la révélation du caché », au final, peu de choses sont vraiment dévoilées.

La semaine dernière, mon père était ici à Paris et il a parlé de la lampe perpétuelle dans le Temple, explorant ce que signifie « tamid », éternel. Il a dit que toujours ne veut pas toujours dire toujours, que cela veut parfois dire parfois, et que cela nous permet de traverser les périodes de « Hester Panim », lorsque la présence de Dieu semble cachée. Si mon père a parlé de « Hester Panim », je pense qu’aujourd’hui, je dois parler du concept hassidique de « Hastara Betokh Hastara », la dissimulation de la dissimulation de la présence de Dieu. Deux épisodes de notre paracha illustrent bien la différence entre ces deux idées.

Vers la fin de la paracha, Moïse se tient devant Dieu et formule deux demandes : « Montre-moi Tes voies » et « Montre-moi Ta gloire ». Il reçoit deux réponses, l’une positive, l’autre négative : Dieu lui dit qu’aucun homme ne peut voir Son visage et survivre, mais Il lui révèle en revanche ce qui deviendra les treize attributs divins : la miséricorde, la bienveillance, la vérité, la patience. Ce sont les « voies de Dieu»: chaque fois que nous observons ces qualités dans le monde, nous ressentons Sa présence, et chaque fois qu’elles font défaut, nous ressentons Son absence. Mais Son essence nous demeure cachée. Voilà un exemple de « Hester Panim », et cela cause à Moïse frustration et tristesse.

Un peu plus tôt, nous avons l’épisode du Veau d’Or, également né d’une frustration face à l’absence. Selon le midrach, Moïse avait dit aux Israélites qu’il reviendrait au bout de quarante jours à midi, et lorsqu’il tarda, ils crurent qu’il était mort. Pris de panique, ils construisent une idole en or. Le Talmud explique qu’ils ont mal calculé le temps et l’attendaient plus tôt. Mais dans le texte, c’est Dieu qui dit à Moïse qu’ils ont fabriqué le Veau d’Or et qu’il doit redescendre vers eux : autrement dit, Moïse lui-même ne semble pas avoir ressenti le passage du temps. Ce que nous voyons ici, c’est un peuple perdu, en quête de stabilité. Ils fabriquent une idole et proclament : « Voici le dieu qui nous a fait sortir d’Égypte ». La Torah décrit ce Veau d’Or comme un « Égel Masekha », littéralement un morceau de métal fondu, mais aussi un « masque ». L’idolâtrie, selon la Torah, est une illusion qui empêche de poser les bonnes questions. Nous avons donc deux formes de frustration face à l’absence de Dieu : Pour Moïse, Dieu est caché, et pour le peuple, même le fait que Dieu soit caché leur était caché. Là réside la « Hastara Betokh Hastara ».

Le sociologue Max Weber parle du processus de désenchantement, où les explications rationnelles remplacent progressivement les croyances traditionnelles dans les sociétés modernes. Pour le dire en termes juifs, cela signifie que les sociétés modernes ressentent l’absence de Dieu différemment. Si, il y a deux cents ans, les Juifs se demandaient pourquoi de mauvaises choses arrivaient aux justes, aujourd’hui, la plupart des gens ne sauraient même pas formuler cette question. Autrefois, après des croisades ou des pogroms, les Juifs se demandaient ce qu’ils avaient fait pour mériter une telle tragédie. Aujourd’hui, nous parlons davantage de responsabilité humaine et de réactions appropriées. Mais dans des situations sans réponse évidente, comme une maladie incurable ou les catastrophes naturelles, nous nous retrouvons souvent désemparés. Nous avons perdu l’habitude de poser les questions de Moïse : pourquoi le monde fonctionne-t-il ainsi ? Pourquoi n’avons-nous pas plus de clarté ? Quel est le sens de cet événement ? Même dans les moments de bonheur, la double Hastara est présente : lorsqu’un événement extraordinaire se produit, il nous est parfois difficile aujourd’hui de le voir comme un miracle. Notre gratitude instinctive n’a plus de direction où s’écouler, et elle reste donc limitée.

Rebbe Nahman de Breslev essaie de nous donner une issue sans pour autant résoudre ces questions :

וּבֶאֱמֶת גַּם בְּתוֹךְ הַהַסְתָּרָה שֶׁבְּתוֹךְ הַהַסְתָּרָה, גַּם שָׁם מְלֻבָּשׁ הַשֵּׁם יִתְבָּרַךְ, דְּהַיְנוּ אוֹתִיּוֹת הַתּוֹרָה, כִּי בִּלְעָדָיו אֵין חִיּוּת לְשׁוּם דָּבָר

En vérité, même dans une dissimulation à l’intérieur de la dissimulation, Dieu – c’est-à-dire les lettres de la Torah – y est enchâssé, car rien n’a de force vitale sans Lui. (Liqoutei Moharan 56)

Que le monde soit enchanté ou désenchanté est une question de notre point de vue, du point de vue de Dieu, c’est du pareil au même. Pour revenir à l’histoire de Pourim, alors qu’Esther doute de devoir risquer sa vie pour tenter de sauver le peuple juif, Mordekhaï dit quelque chose de surprenant :

כִּ֣י אִם-הַחֲרֵ֣שׁ תַּחֲרִ֘ישִׁי֮ בָּעֵ֣ת הַזֹּאת֒ רֶ֣וַח וְהַצָּלָ֞ה יַעֲמ֤וֹד לַיְּהוּדִים֙ מִמָּק֣וֹם. אַחֵ֔ר וְאַ֥תְּ וּבֵית-אָבִ֖יךְ תֹּאבֵ֑דוּ וּמִ֣י יוֹדֵ֔עַ אִם-לְעֵ֣ת כָּזֹ֔את הִגַּ֖עַתְּ לַמַּלְכֽוּת׃

“Ne te berce pas de l’illusion que, seul d’entre les juifs, tu échapperas au danger, grâce au palais du roi ; car si tu persistes à garder le silence à l’heure où nous sommes, la délivrance et le salut surgiront pour les juifs d’autre part, tandis que toi et la maison de ton père vous périrez. Et qui sait si ce n’est pas pour une conjoncture pareille que tu es parvenue à la royauté ?” (Esther 4:14)

Quel est cet « autre part » ? Le texte est merveilleusement vague, et peut être interprété de différentes manières par différentes personnes à différents moments. Pour ceux qui vivent un niveau de Hester, c’est une façon de dire que Dieu est mystérieux, mais qu’il veillera sur nous quoi qu’il arrive. Pour ceux qui vivent dans un monde de Hastara Betokh Hastara, la délivrance viendra sûrement d’un autre endroit à cause du préjugé du survivant, car dès qu’Esther cesse de jouer un rôle actif dans l’histoire, elle n’est plus importante, et rétrospectivement, une autre histoire sera racontée sans elle. À l’inverse, en prenant nos responsabilités, nous devenons le miracle que nous recherchons.

Que nous ressentions la présence ou l’absence de Dieu, que ce Chabbat soit une journée de joie, et que les échos de Pourim continuent de résonner en nous aussi longtemps que possible.

Chabbat Chalom !

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