Pour moi, être rabbin, c’est être à la fois trait d’union, point d’interrogation et d’exclamation. Jamais point final.
Trait d’union parce qu’il porte l’idéal monothéiste, de justice et de paix. Il se doit donc d’attacher les âmes les unes aux autres, de les arrimer à Dieu. Trait d’union parce qu’il ne doit pas se substituer aux mots de la Tora mais les relier pour faire sens. Trait d’union parce qu’il doit tenter de ne pas occuper trop de volume mais se loger dans les interstices, combler les vides, créer du lien.
Point d’interrogation parce qu’il n’y a rien de plus morbide et d’ennuyeux que les plates certitudes. La croyance n’est pas crédulité. Le doute est l’aiguillon de la foi. Comme l’écrit Martin Buber dans le Chemin de l’homme, la foi interroge sans cesse l’intelligence et le cœur : « Où es-tu ? » demande Dieu à Adam se cachant. « Où est ton frère » demande-t-Il à Caïn, assassin. Un rabbin interroge et s’interroge. Alors seulement, on l’interroge.
Point d’exclamation, car il ne faut pas se complaire dans la question mais chercher à trouver des réponses (je m’insurge contre l’idée éculée que le judaïsme, c’est surtout ou seulement se poser des questions). Même si les réponses sont parfois vagues. « Il vaut mieux avoir vaguement raison que définitivement tort », disait rabbi Louis Jacobs, avec un point d’exclamation. Point d’exclamation, car sans exaltation, sans débordement de joie, sans la satisfaction de l’effort consenti, le judaïsme est mort.
Le rabbin n’est pas un point final. Il ne doit pas avoir le dernier mot mais le premier. Il doit initier, ouvrir les livres, les cœurs et les esprits. Et enfin, il doit trembler (pas trop mais assez quand même) devant la fin de toute chose, en se rappelant l’enseignement du Talmud : « Si le maître ressemble à une ange de l’Éternel, que la Tora soit recueillie de sa bouche. Sinon, non » (Moèd Katan 17a). Or le rabbin n’est, ni ne sera jamais un ange. Il doit, se dit-il alors, penaud, comme l’enseigne Hillel, « s’efforcer d’être homme là où il n’y en a pas » (Avot 2,6). Mais cela c’est le devoir de tout juif (et au fond de tout homme et de toute femme) : devenir un « Mensch ». Sauf que le rabbin doit en principe l’être un peu plus que les autres pour justifier sa raison d’être. Et son salaire !
Et comment guérit-on de ce métier ? Un brin de sérieux, quelques bonnes pointes d’humour, et dans les recoins du cœur, beaucoup d’autodérision. Car on sait bien qu’être rabbin n’est pas un métier pour un juif. Mais être un juif, pour un rabbin, voilà le défi, le point jamais final.
Rivon Krygier