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“Que la justice et la vérité rayonnent comme l’étoile du matin”

Qu'aurait fait Moïse ?

Par le rabbin Josh Weiner

Comme je n’ai pas de dracha cette semaine, j’ai pensé partager un texte que j’ai découvert il y a quelques mois, et que je n’ai pas encore trouvé l’occasion d’« utiliser ». Il a été écrit par le rabbin Moshé Kalfon [ou Kalfon Moshé] Hacohen, l’un des dirigeants de la communauté juive de Djerba au début du 20e siècle, et publié dans son commentaire sur la Torah intitulé Darkhei Moshé.

La plupart de ce que je sais de lui, à part ce texte, je l’ai lu sur Wikipédia. Il fait entendre une voix juive de responsabilité et de solidarité universelles qui n’est certainement pas nouvelle, mais qui n’est pas non plus suffisamment entendue aujourd’hui, et qui me semble donc avoir besoin d’être amplifiée. Surtout en ce mois d’Eloul, le mois de la réflexion et de la motivation.

Il commence par une analyse de l’épisode des confrontations de Moïse en Égypte:

וַיְהִ֣י ׀ בַּיָּמִ֣ים הָהֵ֗ם וַיִּגְדַּ֤ל מֹשֶׁה֙ וַיֵּצֵ֣א אֶל־אֶחָ֔יו וַיַּ֖רְא בְּסִבְלֹתָ֑ם וַיַּרְא֙ אִ֣ישׁ מִצְרִ֔י מַכֶּ֥ה אִישׁ־עִבְרִ֖י מֵאֶחָֽיו׃ וַיִּ֤פֶן כֹּה֙ וָכֹ֔ה וַיַּ֖רְא כִּ֣י אֵ֣ין אִ֑ישׁ וַיַּךְ֙ אֶת־הַמִּצְרִ֔י וַֽיִּטְמְנֵ֖הוּ בַּחֽוֹל׃ וַיֵּצֵא֙ בַּיּ֣וֹם הַשֵּׁנִ֔י וְהִנֵּ֛ה שְׁנֵֽי־אֲנָשִׁ֥ים עִבְרִ֖ים נִצִּ֑ים וַיֹּ֙אמֶר֙ לָֽרָשָׁ֔ע לָ֥מָּה תַכֶּ֖ה רֵעֶֽךָ׃ וַ֠יֹּ֠אמֶר מִ֣י שָֽׂמְךָ֞ לְאִ֨ישׁ שַׂ֤ר וְשֹׁפֵט֙ עָלֵ֔ינוּ הַלְהׇרְגֵ֙נִי֙ אַתָּ֣ה אֹמֵ֔ר כַּאֲשֶׁ֥ר הָרַ֖גְתָּ אֶת־הַמִּצְרִ֑י וַיִּירָ֤א מֹשֶׁה֙ וַיֹּאמַ֔ר אָכֵ֖ן נוֹדַ֥ע הַדָּבָֽר׃ וַיִּשְׁמַ֤ע פַּרְעֹה֙ אֶת־הַדָּבָ֣ר הַזֶּ֔ה וַיְבַקֵּ֖שׁ לַהֲרֹ֣ג אֶת־מֹשֶׁ֑ה וַיִּבְרַ֤ח מֹשֶׁה֙ מִפְּנֵ֣י פַרְעֹ֔ה וַיֵּ֥שֶׁב בְּאֶֽרֶץ־מִדְיָ֖ן וַיֵּ֥שֶׁב עַֽל־הַבְּאֵֽר׃ וּלְכֹהֵ֥ן מִדְיָ֖ן שֶׁ֣בַע בָּנ֑וֹת וַתָּבֹ֣אנָה וַתִּדְלֶ֗נָה וַתְּמַלֶּ֙אנָה֙ אֶת־הָ֣רְהָטִ֔ים לְהַשְׁק֖וֹת צֹ֥אן אֲבִיהֶֽן׃ וַיָּבֹ֥אוּ הָרֹעִ֖ים וַיְגָרְשׁ֑וּם וַיָּ֤קׇם מֹשֶׁה֙ וַיּ֣וֹשִׁעָ֔ן וַיַּ֖שְׁקְ אֶת־צֹאנָֽם׃

Or, en ce temps-là, Moïse, ayant grandi, alla parmi ses frères et fut témoin de leurs souffrances. Il aperçut un Égyptien frappant un Hébreu, un de ses frères. Il se tourna de côté et d’autre et ne voyant paraître personne, il frappa l’Égyptien et l’ensevelit dans le sable. Étant sorti le jour suivant, il remarqua deux Hébreux qui se querellaient et il dit au coupable: “Pourquoi frappes-tu ton prochain?” L’autre répondit: “Qui t’a fait notre seigneur et notre juge? Voudrais-tu me tuer, comme tu as tué l’Égyptien?” Moïse prit peur et se dit: “En vérité, la chose est connue!” Pharaon fut instruit de ce fait et voulut faire mourir Moïse. Celui-ci s’enfuit de devant Pharaon et s’arrêta dans le pays de Madian, où il s’assit près d’un puits. Le prêtre de Madian avait sept filles. Elles vinrent puiser là et emplir les auges, pour abreuver les brebis de leur père. Les pâtres survinrent et les repoussèrent. Moïse se leva, prit leur défense et abreuva leur bétail.”

(Exode 2:11-17)

[Je vous présente ici le commentaire de Rabbi Moshé Hacohen dans son intégralité, sans aucun commentaire. Le texte original en hébreu se trouve ici. Merci à Béatrice Pascal pour la traduction française].

“Les quatres actes décrits par ce récit, accomplis par Moché Rabbénou de mémoire bénie —

qui, alors qu’il habitait le palais royal, le quitta afin de constater le sort de ses frères juifs ;

qui frappa l’Egyptien qui battait son prochain, un Hébreu ; 

qui réprimanda l’Hébreu malfaisant qui battait son confrère ; 

et qui sauva les sept filles du prêtre madianite des violents pâtres —

tous ces actes témoignent de la grandeur d’esprit de Moché Rabbénou de mémoire bénie, et de sa pureté. Car il fut béni depuis le temps qu’il était dans le ventre de sa mère, et il développa une âme pure et forte, pleine d’esprit divin, de courage et de noblesse; à tel point qu’il lui était impossible de voir l’injustice et la violence. Il venait donc au secours de quiconque en avait besoin. Il vit que le premier Hébreu était battu à coups mortels par l’Egyptien et considéra ce dernier comme un potentiel assassin (rodef), et il le tua car il n’y avait pas d’autre façon de secourir l’Hébreu.

Par la suite, il réprimanda l’Hébreu qui battait son confrère, en lui demandant pourquoi il faisait cela; il vit que ces coups n’étaient pas aussi mortels que ceux de l’Egyptien et lui fit donc ce reproche en face. Par la suite, lorsqu’il vit les sept filles du prêtre madianite opprimées par les pâtres, il risqua sa vie pour les sauver, et leur accorda un acte de bonté supplémentaire en puisant de l’eau pour leur troupeau, bien qu’elles ne fussent pas du peuple d’Israël. Tout cela eut lieu avant qu’il ne rencontre la présence divine et ne devienne le plus grand des prophètes.

Tout cela doit être une leçon pour quiconque a le cœur pur et l’esprit clair: il doit secourir ses frères de ceux qui oppriment, et utiliser tous les moyens pour porter l’affaire devant les tribunaux du gouvernement légitime. Si cela est impossible, il doit faire appel à un expert et à une autorité fiable, avant qu’il ne soit trop tard pour la victime opprimée. Si cela est aussi impossible, il doit s’interposer et perturber ce qui se passe, à l’aide de tout ce qu’il peut utiliser pour sauver la victime. Cela est particulièrement vrai dans les lieux où nos frères sont opprimés loin d’autres Juifs.

Même lorsque c’est l’un de nos frères juifs qui oppresse un autre de nos frères juifs, nous ne pouvons tourner le dos et il est juste d’aider et de secourir l’opprimé. Cela vaut aussi lorsque l’opprimé n’est pas l’un de nos frères, lorsqu’il n’est pas juif, et que son oppresseur n’est pas non plus des nôtres, il faut faire tout ce qui est possible afin de porter l’affaire devant nos dirigeants, afin de secourir la victime.

C’est ainsi même lorsque l’oppresseur serait l’un de nos frères juifs et l’opprimé ne le serait pas, même dans un tel cas (bien que ce soit très loin de notre réalité), il faudrait se tenir du côté de l’opprimé. Car Dieu a horreur de tous ceux qui commettent l’injustice (Deut. 25:16), et le monde repose entièrement sur l’intégrité et la droiture. Nos yeux voient et nos oreilles entendent que dans tout lieu où la violence et l’oppression se multiplient, c’est toute la société qui recule au lieu d’avancer; alors que dans tout lieu où règnent l’intégrité et la droiture, la société avance au lieu de reculer. La quantité de droiture ou de son contraire détermine la vitesse à laquelle une société se développe ou se détériore. Une société bâtie sur la violence et l’oppression est condamnée à sombrer toujours plus bas, que ce soit à cause de la nature humaine ou de l’intervention divine qui habite le monde entier. L’histoire de Sodome en est la preuve.

De tout cela, on peut apprendre que même lorsque l’on est en sécurité, et tranquille chez soi, entouré de bonheur et de richesses, et bien reçu par le gouvernement – on ne doit pas penser dans son cœur “Voyez, je suis en paix dans ma tente, qu’ai-je à faire de mes frères ou du reste du monde?”. On ne doit pas non plus penser dans son cœur “Si je devais me préoccuper des problèmes des autres, je pourrais tomber et mon argent ou même mon corps pourraient en souffrir, ou peut-être ne serais-je plus respecté par le gouvernement, et si je dois choisir entre mes biens et ceux des autres, les miens ont priorité”. Seul celui qui a une âme impure parlerait de la sorte.

Premièrement, si tu n’agis pas pour secourir le pauvre et le démuni, demain ou le jour suivant d’autres despotes viendront t’oppresser à ton tour, par conséquent la question touche aussi à ta chair et à tes os. Deuxièmement, pour des questions telles que celles-ci qui sont le fondement de toute société politique, chaque individu est tenu à une obligation de se manifester, afin d’honorer le commandement biblique (Deut. 17:7): “Tu extirperas ainsi le mal du milieu de toi”. Troisièmement, sera sûrement puni par Dieu celui qui vit son frère opprimé et le laissa sans secours.

On peut apprendre tout cela d’Abraham notre père, de mémoire bénie, qui, lorsqu’il vit son neveu capturé, risqua sa vie et réunit sa maison pour poursuivre des rois vainqueurs au combat, et finalement libéra et sauva tous ceux qui étaient retenus prisonniers. Si notre puissant aïeul Abraham et le maître des prophètes, Moïse notre maître de mémoire bénie, firent preuve d’une telle persévérance avant qu’ils fussent commandés et avant que la Torah ne leur fût donnée, combien est-il impératif de faire de même pour nous, la maison d’Israël, qui avons reçu la Torah et ses lois de droiture et de justice? Bien que toutes les époques ne soient pas égales, et qu’il soit impossible de nos jours de faire ce qu’ils firent, il est toujours correct, juste, obligatoire et une mitsva de soutenir les opprimés avec tout ce dont ils manquent, de se tenir à leurs côtés, et de porter leur cas devant les institutions du pouvoir, jusqu’à ce que la justice et la vérité rayonnent comme l’étoile du matin.”

[Amen. Chabbat chalom !]

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