La paracha Bechalah 5783 par le rabbin Josh Weiner
Chabbat shalom à tous, félicitations à Eytan pour tes accomplissements aujourd’hui ainsi que jeudi matin.
Tu as lu dans le chant de la mer les belles paroles:
“zé éli ve’anvehou, elohei avi va’aromemenhou” –
Ceci est mon Dieu et je l’exalterai, le Dieu de mon père et je le rendrai grand.
Il y a quelque chose dans la double appellation de Dieu – mon Dieu et le Dieu de mon père, qui me rappelle une Bar Mitsva, où l’enfant affirme, oui, le Dieu de mon père, la religion et les traditions de mon père, ce sont aussi les miennes. Le Talmud dit qu’en prononçant ces mots, Ceci est mon Dieu, ce sont les jeunes enfants et les bébés qui interrompaient leur allaitement, pointaient du doigt et montraient aux adultes comment reconnaître la présence divine. Nous avons les deux directions, les enfants acceptant la tradition religieuse de leurs parents, et aussi les enfants enseignant à leurs parents quelque chose de nouveau.
Ceci est mon Dieu
Même s’il y a mille sujets dans cette paracha très riche, je voudrais en fait explorer le premier mot du verset que je viens de citer. Zé eli, Ceci est mon Dieu. Je pense que nous ne parlons pas assez du mot “Ceci”, c’est un petit mot, modeste, mais important, alors regardons-le aujourd’hui.
Il y a une petite énigme rabbinique donnée dans le Talmud, où l’on demande quel est le sens de cette phrase : ויבוא זה ויביא זאת מזה לזו, “Ceci est venu et a donné cela de ceci à cela.” La réponse est que Moïse est venu et a donné la Torah de Dieu aux Israélites. Tous sont appelés “ceci” et “cela” dans différents versets de la Torah. “Ceci est l’homme Moïse”, ” Cela est la Torah” “Ceci est mon Dieu” – comme dans notre paracha, et “Ceci est le peuple que tu as sauvé”, également dans notre paracha.
Cette utilisation du mot “Ceci” comme surnom de Dieu est régulièrement employée dans des textes mystiques tels que le Zohar. Imaginez un instant que vous lisez la Torah dans cette perspective, que chaque fois que vous lisez les mots “ceci” ou ” ça “, vous comprenez que cela fait référence à Dieu. Pour ne donner qu’un exemple, tiré cette fois de la paracha de la semaine dernière mais également familier de Pessah, on nous dit de répondre à la question des enfants sur l’histoire de Pessah par la réponse :
בעבור זה עשה ה לי בצאתי ממצרים
c’est pour ceci que Dieu a agi pour moi, en me faisant sortir d’Egypte.
Normalement, nous comprenons cela comme signifiant que nous avons quitté l’Égypte dans le but d’avoir, à la fin, un seder de Pessah. Si nous lisons le mot “ceci” comme étant Dieu, alors c’est pour Dieu que Dieu nous a rachetés d’Égypte : Dieu était aussi en exil en Égypte, et il a été plus libre lorsque le peuple a été libéré. Je vous promets que lire la Torah comme ça rend tout beaucoup plus spectaculaire.
Peut on connaitre les intentions de Dieu?
Eytan, jeudi matin, tu nous as fait une lecture intéressante de la paracha, à travers la perspective de la célèbre michna dans Pirkei Avot. Hillel, l’ancien rabbin, voyant un crâne flotter sur la rivière, dit : “Puisque tu as noyé les autres, tu as été noyé. Et ceux qui t’ont noyé seront eux-mêmes noyés à leur tour.” Je ne vais pas répéter toutes tes explications, mais juste mentionner le commentaire du Arizal, Isaac Louria, que tu m’as appris. Louria identifie le crâne comme celui de Pharaon, et dans cette lecture, donne une voix d’espoir pour le peuple juif – ceux qui vous ont noyés seront noyés, ceux qui vous attaquent seront attaqués. Ce souhait de clarté morale est si profond, si évident, qu’il est facile de s’y identifier. Tu as demandé, comme un adulte juif devrait le faire, si le monde tel que nous le connaissons correspond vraiment à cette causalité – que les mauvaises actions entraînent nécessairement de mauvaises conséquences – et tu as parlé des dangers qu’il y a à croire et à ne pas croire à cette causalité.
La vérité est que nous n’en savons tout simplement pas assez. À moins de tomber dans les pièges des simplifications, nous n’avons aucune clarté morale absolue, nous ne savons pas qui est bon, qui est mauvais, qui mérite ce qu’il reçoit, quelle est la conséquence de chaque action. Avec tout le respect dû à nos smartphones et aux algorithmes d’intelligence artificielle, le sentiment fondamental de notre époque est la confusion, le doute et le fait de ne pas en savoir assez.
Moshé est considéré comme le plus grand des prophètes, et l’une des façons dont cela est décrit par le Talmud est l’hypothèse que tous les prophètes verraient le message de Dieu à travers un verre obscur, alors que Moshé seul verrait ce message à travers un verre clair et brillant. Nous pouvons voir cela dans le texte de notre Paracha. Pour revenir à mon mot préféré de la semaine, lorsque Moshé parle, il dit :
זה הדבר אשר ציווה ה, “Ceci est la parole de Dieu”, alors que tous les autres prophètes de la Bible introduisent leurs prophéties par les mots כה אמר השם “Ainsi a parlé Dieu”, ou “Dieu a parlé comme ça”. Moshé est absolu, il sait exactement ce que Dieu veut et il peut le dire, il connaît les conséquences des actes et ce que chaque personne mérite. Le Talmud dit que lorsque Moshé jugeait, il recherchait la vérité absolue et la justice absolue. Sa devise était ”yikov hadin et hahar” – que la justice se fracasse sur la montagne. Dans un conflit, une personne a raison et l’autre a tort, c’est un jeu à somme nulle. Aaron, son frère, mettait la justice de côté et trouvait des compromis entre les gens, préférant la paix à la vérité.
Faire confiance à notre intuition
La certitude de Moshé est rare, il y a une raison pour laquelle personne d’autre n’a atteint son niveau de prophétie. Très peu de gens autour de nous peuvent honnêtement dire Zé Hadavar, “C’est exactement comme ça” ou Zé Eli, “Ceci est mon Dieu” – et ceux qui le font, nous devrions être très méfiants à leur égard. Nous connaissons les rabbins qui disent que telle ou telle tragédie est le résultat du fait que les femmes ne sont pas assez modestes, ou que le fait d’allumer les bougies du chabbat et de mettre les tefillin amènera le Messie. Je ne fais pas confiance à ces rabbins comme s’ils étaient des prophètes au niveau de Moshé, qui peut parler de causalité avec une telle assurance.
Le même rabbin, Hillel, qui a dit que le crâne dans la rivière avait noyé d’autres personnes et qu’il était ensuite noyé comme punition, a aussi regardé le peuple juif en disant: “Ce ne sont pas des prophètes, mais ce sont les enfants de prophètes. J’ai oublié la loi exacte, mais suivons leur intuition.”
Nous sommes aussi des enfants de prophètes. C’est une autre façon de comprendre ce que signifie être un bar mitsva, un enfant des mitsvot. C’est se rapprocher le plus possible de la certitude dans notre monde incertain. Faire confiance à notre intuition de ce qu’il faut faire, ne pas être figé par le relativisme, espérer la causalité et la clarté morale sans en être certain, dire ” Ainsi parlait Dieu “, utiliser les mots “Je pense ” et ” Peut-être ” et surtout ” Je ne sais pas “. Cet équilibre précaire des perspectives est ta tâche maintenant, Eytan, et celle de tout le monde ici. Ce n’est pas simple, mais c’est comme ça !
Chabbat shalom !