Comme beaucoup d’entre vous, j’ai marqué le début du Chabbat en allumant huit bougies. Six bougies pour Hanoucca, deux pour le Chabbat. Mais les bougies sont différentes, même lorsqu’elles sont l’une à côté de l’autre sur le rebord de la fenêtre. Six bougies tournées vers l’extérieur, deux bougies tournées vers l’intérieur. Elles ont des fonctions différentes. Les bougies de Chabbat sont là pour la paix dans la maison, pour que nous puissions nous voir les uns les autres lorsque nous prenons le repas de fête. Les bougies de Hanoucca sont là pour rendre le miracle public, elles sont là pour être vues de l’extérieur, et il est interdit d’utiliser leur lumière pour notre propre intérêt. Le Talmud parle des Tarmudiens, un groupe de Syriens pauvres qui restaient au marché jusqu’à tard pour ramasser de la paille. Selon le Halakha, tant qu’il y a des Tarmudiens sur le marché, les bougies de Hanoucca peuvent être allumées – car les bougies doivent être vues par les autres, à l’extérieur. Les rabbins, qui aiment examiner les cas extrêmes pour en extraire des valeurs, posent la question suivante : si quelqu’un n’a assez d’argent que pour une seule bougie le vendredi soir, celle-ci doit-elle être une bougie de Hanoucca, ou une bougie de Chabbat ? La réponse est : une bougie de Chabbat, car la paix dans la maison est un principe plus important. Mais le plus intéressant, c’est la réponse qui n’est pas donnée. Pourquoi devrions-nous décider ? Pourquoi ne devrions-nous pas utiliser la même bougie pour les deux, en disant la bénédiction lehadlik ner shel shabbat veshel channukah ? Il semble qu’une bougie ne puisse briller que dans une seule direction à la fois.
Les deux groupes de bougies posées sur le rebord de ma fenêtre, les bougies de Chabbat et celles de Hanoucca, me définissent de différentes manières. Nous pouvons parler d’une définition interne et d’une définition externe. Ma vie juive peut être comprise à travers la pièce qui se trouve à l’intérieur de la maison, éclairée pour le Chabbat, avec toutes les choses qui font de moi ce que je suis : mes livres, ma famille, les conversations que j’ai avec les invités etc. Ou bien, elle peut être comprise de l’extérieur, par les gens dans la rue qui regardent ma Hannoukia, les gens qui imaginent ce qu’est mon judaïsme et en quoi je suis différent d’eux. Le mot même de “définition” vient de la racine latine de finir, un “mur” ou une frontière. C’est là que sont placées les bougies, aux limites de mon être. Je suis défini par mon contenu intérieur, et par mes interactions extérieures avec les autres.
La parasha de cette semaine, Miketz, est presque toujours lue le Chabbat de Hanoukka, et les deux histoires fusionnent dans mes pensées. Joseph devient un héros de Hanoucca, un personnage complet, complexe et lumineux. Comme les bougies de Chabbat et de Hanoucca, il est placé à la frontière entre deux mondes. Son nom, Yosef, peut être lu comme un dérivé de Saf, la limite, ou Safa, les lèvres et le langage. Dans les Psaumes, il est décrit comme disant “Sfat Lo yadaati eshmaa”, j’ai entendu la langue que je ne comprenais pas. Mais dans la parasha, il est le maître du langage, traduisant sans effort l’hébreu et l’égyptien, traduisant sans effort les rêves en réalité. Est-il défini de l’intérieur ou de l’extérieur ? Contrairement à de nombreuses autres histoires similaires situées dans des palais royaux étrangers, Joseph ne tente pas de cacher son identité. Il est décrit comme un Hébreu, et parle au nom de son Dieu. Pourtant, il porte des vêtements égyptiens, un nom égyptien, et interagit dans le système politique et aristocratique égyptien. Il ne choisit pas entre ses identités hébraïque et égyptienne, mais vit les deux. Il semble être à la frontière de ces deux mondes, défini à la fois par son propre contenu interne et par la façon dont il est perçu par les autres. Bougies de Chabbat et bougies de Hanoucca.
Je passe maintenant mes journées à apprendre comment être un juif parisien. Comme Joseph, je commence par la langue, puis j’apprends à connaître les systèmes communautaires et politiques, à trouver ma place dans la société. Quelle est la place de mon identité juive dans cette ville ? Je pense que j’apprends comment naviguer dans ces questions grâce aux enfants du Talmud Tora ici à Adath Shalom. Je pense que les enfants juifs parisiens modernes ont quelque chose de l’esprit de Joseph en eux. J’imagine que vous devez souvent décider si vous devez garder votre judaïsme comme une lumière intérieure, comme les bougies de Shabbat qui brillent vers l’intérieur, ou montrer votre identité juive aux autres, et les laisser vous définir, peut-être mal vous définir, comme les bougies de Channukah dans la fenêtre, ouvertes et vulnérables. Mais peut-être, comme Joseph, n’avez-vous pas à choisir entre deux identités, vous pouvez être tout à la fois, brillant vers l’intérieur et vers l’extérieur, Chabbat et Hanoucca.