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Michpatim: l’oreille, le sang et l’huile d’onction

La paracha Michpatim 5785 par Hélène Defossez

Je ne vous cache pas que la paracha Michpatim présente toujours un petit challenge pour les tuteurs de préparation Bar Mitsva.

D’abord parce que, comme nous nous en sommes amusés avec Elisa, elle ne contient pas de récit palpitant comme en trouve au début de l’Exode ou dans la Genèse, juste une longue liste de lois (elle compile à elle seule une vingtaines prescriptions positives et une trentaine de prescriptions négatives…) Mais aussi parce que certaines de ces prescriptions choquent, à raison, notre conscience moderne. C’est le cas par exemple des condamnations à mort ou des lois concernant les esclaves.

Et c’est de ces lois sur les esclaves dont j’aimerais vous parler aujourd’hui. Il s’agit des versets qui ouvrent cette paracha Michpatim:

« Voici les jugements que tu leur proposeras. Si tu achète un esclave hébreu, il servira six ans, et au septième il sortira libre, gratuitement. S’il est venu seul (de sa personne), il sortira seul (de sa personne) ; s’il est le mari d’une femme, sa femme sortira avec lui. Si son maître lui donne une femme qui lui ait enfanté des fils ou des filles, la femme avec ses enfants appartiendra à son maître, mais lui il partira seul (de sa personne). Si l’esclave dit : j’aime mon maître, ma femme et mes enfants, je ne veux pas sortir libre ; Son maître le fera approcher des juges et le fera approcher de la porte ou du poteau ; son maître lui percera l’oreille avec un poinçon, et il le servira toujours. » (Ex 21 1-7)

Remarquons que l’esclavage dans la Torah est un état temporaire, un moyen de s’acquitter d’une dette, mais il existe un procédé pour que cet état devienne permanent: l’esclave en question fait sa demande et, en symbole de sa servitude devenue permanente, son maitre lui perce l’oreille.

Intuitivement, ce passage m’a fait penser à d’autres passages que l’on trouve dans l’Exode puis dans le Lévitique, mentionnant un étrange rituel consistant à mettre du sang sur le lobe de l’oreille (ainsi que le pouce et le gros orteil) des Cohanim ou sur une personne devant être purifiée de la lèpre.

Et oui, car quand on perce notre oreille (ou quelque autre endroit du corps!) ça fait mal et ça saigne, c’est ce que je dis à ma fille quand elle me demande quand est ce qu’elle aura le droit de se faire percer les oreilles. (la réponse est « on en reparle quand tu seras Bat Mitsva!)

Le sang… l’image du sang sur le lobe de l’oreille, c’est ce qui a connecté instantanément dans mon esprit ces passages qui n’ont à priori aucun lien, entre eux.

Examinons-les d’un peu plus près en commençant par l’Exode, paracha Tetsavé:
« et tu égorgeras le bélier, et tu prendras de son sang, et tu le mettras sur le lobe de l’oreille droite d’Aaron, et sur le lobe de l’oreille droite de ses fils, et sur le pouce de leur main droite, et sur le gros orteil de leur pied droit; et tu feras aspersion du sang sur l’autel, tout autour. » (Ex. 29-20)

Puis le Lévitique, comme en écho: « et on l’égorgea, et Moïse prit de son sang, et le mit sur le lobe de l’oreille droite d’Aaron, et sur le pouce de sa main droite, et sur le gros orteil de son pied
droit
» (Lev. 8-23)

Et enfin, toujours dans le Lévitique, paracha Metsora où le même rituel est accompli cette fois sur la personne devant être purifiée de la « tsaraat », affection de la peau souvent traduite par « lèpre » mais qui serait en réalité une conséquence du «lachon hara » la médisance. (Lev. 14-25)

La Torah précise à chaque fois qu’il s’agit de l’oreille droite. Or, cela ne semble pas aller dans le sens du parallèle que j’ai établis puisque, dans le cas du poinçonnage de l’oreille de l’esclave, il n’est pas précisé de quelle oreille il s’agit.

Mais c’est là que Rachi vient à mon secours!

Dans son commentaire de ce verset, il utilise le même parallèle entre ces différents passages pour démontrer qu’il s’agit bien ici aussi de l’oreille droite:

ורצע אדניו את אזנו במרצע

ET SON SEIGNEUR PERCERA SON OREILLE AVEC UN POINÇON « Son oreille » signifie son oreille droite. Ou peut-être que ce n’est pas le cas, mais l’Écriture veut dire son oreille gauche ? L’Écriture utilise cependant le terme אזן ici et elle utilise אזן dans un autre passage, suggérant ainsi une analogie basée sur une similitude verbale ; à savoir, il est dit ici « et son seigneur lui percera l’oreille et du lépreux il est dit ( Lévitique 14:25 ) « et le prêtre la ,» )אזנו( mettra sur le bout de l’oreille droite (אזנו הימית) de celui qui doit être purifié ». — Comment cela est-il dans ce dernier passage ? Il s’agit de l’oreille droite ! Ici aussi, il s’agit de l’oreille droite. — Quelle est la raison pour laquelle l’oreille a dû être percée plutôt que n’importe quel autre membre du corps du serviteur ? Rabban Yochanan ben Zakkai a dit : Cette oreille qui a entendu sur le mont Sinaï ( Exode 20, 13 ) : « Tu ne voleras pas » et pourtant son propriétaire est allé voler et a donc été vendu comme esclave, qu’elle soit percée ! Ou, dans le cas de celui qui s’est vendu par indigence, sans avoir commis de vol, la raison est : Cette oreille qui a entendu sur le mont Sinaï ce que j’ai dit ( Lévitique 25, 55 ) : « Car les enfants d’Israël sont mes serviteurs » et pourtant son propriétaire est allé se procurer un autre maître, qu’elle soit percée !

(Mekhilta ; Kiddushin 22b ).

On pourrait très bien prolonger cette logique en revenant à l’épisode de la purification de la lèpre dans Metsora en disant que l’oreille qui a écouté des paroles qu’elle a ensuite déformé, perverties, par médisance, doit elle aussi faire l’objet d’un rituel particulier.

Dans tous ces cas, le sang sur l’oreille est là pour nous rappeler que nous sommes tous avant tout «esclaves de Dieu » volontaires depuis le mont Sinaï. Que nous avons troqué une servitude négative à un tyran pour une servitude positive envers un Dieu de justice.

Le lien c’est la « volonté », le choix de mettre tout notre être au service de Dieu. Car il s’agit bien d’un choix, cela ne va pas de soi comme ne va pas de soi l’acte de demeurer attaché à un maitre envers qui l’on s’est acquitté. Et le sang, comme pour un pacte scellé, comme celui de la circoncision, nous rappelle l’engagement et la gravité de ce pacte.

Le sang. Mais aussi l’oreille. Comme l’a souligné Elisa dans sa dracha, c’est aussi dans Michpatim que nous trouvons la fameuse formule « naasé ve nichma – nous ferons et nous entendrons » mettant l’accent sur l’importance de l’écoute de la parole de Dieu. Une écoute qui n’est pas passive mais bien engageante envers celle-ci.

Parfois cette parole est un chant, un délice, un poème consolateur… parfois elle est si dure que nos oreilles et nos coeurs saignent. Et la difficulté réside sans doute dans ce choix à refaire encore et encore de continuer à « écouter et entendre/Chema Israel » même quand cela nous blesse ou que ce n’est tout simplement pas ce que l’on a envie d’entendre.

Comme je le dis souvent à mes élèves pour répondre à la question de « pourquoi y a-t-il des choses horribles dans la Torah? », c’est qu’elle n’est pas là pour nous plonger dans le monde des Bisounours, elle est un miroir pour notre humanité avec ce qu’elle contient de pire comme de meilleur. J’ai mis devant toi « la vie et la mort ». Choisis la vie. Fais le bon choix même quand c’est difficile…

(Je précise que cette interprétation que je trouve très convaincante de « j’ai mis devant toi la vie et la mort » comme une image de la réalité mais aussi de la Torah elle-même n’est pas de moi mais que je l’ai empruntée au père de ma fille, Stanislas, merci à lui.)

Il y a des fois où l’on voudrait juste se boucher les oreilles.
J’ai écris cette dracha au moment où l’on apprennait la nouvelle que tout Israël redoutait depuis un an. Il y avait quelque chose d’à la fois consolateur et absurde à me plonger dans ces questions un peu techniques des lois sur l’esclavage et des rituels obscures du Lévitique alors que je ne pouvais m’arrêter de pleurer et sentir une forme de découragement que je sais ne pas être la seule à ressentir dans le peuple, c’est le moins que l’on puisse dire. Il y a des moment où vouloir mettre du sens semble dérisoire. Ou comme dit notre rabbin, des questions pour lesquels il n’y a pas de réponses, seulement des larmes.

Ce chabbat, j’ai le coeur qui saigne pour Shiri, Ariel et Kfir Bibas. Pour Oded Livshitz aussi et tous les autres otages dont les vies ont été arrachées avec barbarie. Mais particulièrement pour eux, les petits. A cause de mon coeur de Maman. J’aimerais tant que les choses soient différentes. Comme vous tous, je sais. Mais on ne peut rien faire si ce n’est continuer à nous efforcer à faire vivre cet idéal de justice dont nous parle la Torah. Malgré le découragement et la tristesse infinie.

Une dernière remarque alors: dans le rituel des cohanim, après le sang sur l’oreille, on applique l’huile d’onction, celle qui rappelle/ appelle le « Machiah »…

Je veux y voir une note d’espoir, celui qu’un jour l’huile parfumée remplacera le sang. Comme un baume guérisseur, comme celui que les mamans mettent sur la peau des bébés quand ils ont des rougeurs, avec tout l’amour qu’il y a dans leurs mains. Je les vois une peu comme des sortes de cohanim qui, elles aussi, chaque jour font ces gestes comme des rituels sacrés qui font descendre dans ce monde un peu l’amour divin.

Que la mémoire de Shiri et ses enfants soit bénie. Que le Machiah vienne et mette de l’huile sacrée sur le sang de nos blessures et nous console enfin.


Chabbat shalom

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