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Les jeux ou les guerres ?

Quelques réflexions sur les jeux olympiques et Ticha Be'Av

Par le rabbin Josh Weiner

Ces derniers jours, même si j’étais en vacances, j’ai aussi réfléchi à ce dont je pourrais parler à mon retour à Paris. Le problème, c’est que je ne savais pas quel serait le contexte dans lequel je me trouverais, et quelle serait l’atmosphère. La grande histoire serait-elle la fin des Jeux olympiques ou une troisième guerre mondiale ? Je ne sais toujours pas, il y a une anxiété inconfortable qui épuise tout le monde, et comme d’habitude, on ne sait pas à quoi s’attendre ensuite. 

Il y a aussi une ambiguïté dans le calendrier juif cette semaine. La paracha de Devarim est passionnante. Parmi toutes les centaines de versets du livre, le plus intéressant est peut-être celui qui est celui qui n’est pas là. Nous ne trouvons le célèbre verset “Et Dieu parla à Moïse en disant” nulle part au début de ce livre. Quelque chose de puissant se produit dans ce dernier livre, avec le dernier discours de Moïse : la possibilité est ouverte que des paroles humaines puissent également être considérées comme de la Torah divine. 

En même temps, cette paracha est toujours lue avant Ticha Be’av, le jour le plus triste du calendrier juif. Lundi soir et mardi, nous commémorerons la destruction du Temple ainsi qu’une série d’autres tragédies survenues au cours de l’histoire juive. L’idée que la haine, le désespoir et la destruction sont toujours possibles ne nous est pas trop étrangère de nos jours.

Avec ces deux possibilités dans l’air, la célébration ou l’anxiété, la guerre ou les Jeux — j’aimerais néanmoins commencer par dire quelque chose sur les Jeux olympiques, les sports et la Torah. J’ai pensé à cinq ou six exemples de sports dans les sources juives. Permettez-moi de les citer, et nous verrons ce qu’ils nous apprennent. 

Dans le Tanakh, dans l’une des descriptions des guerres entre la maison de David et la maison de Saül, on demande aux jeunes soldats de “jouer”, probablement une sorte d’escrime ou de lutte (ils finissent malheureusement par se tuer !).

Dans les textes rabbiniques, on trouve une description des sacrifices quotidiens. La Michna raconte qu’il y avait autrefois une course entre les prêtres et que le premier à atteindre l’autel serait celui qui ferait le Téroumat Hadéchèn, une partie bien-aimée des préparatifs du sacrifice. Il existe deux versions de l’histoire qui expliquent pourquoi cette course s’est arrêtée. Dans l’une, l’un des prêtres s’est cassé la jambe en courant, et les rabbins se sont rendu compte que cette méthode était dangereuse et ont introduit un système de loterie à la place. Dans une autre version, l’un des prêtres en a poignardé un autre pour gagner la course. Avant qu’il ne meure, son père s’est inquiété de la nécessité de retirer le couteau pour qu’il ne devienne pas impur à la mort de son fils. Cette inversion des valeurs, le fait de se soucier davantage des rituels que de la vie humaine, ainsi que la violence inhérente à la compétition, sont présentés comme l’une des raisons de la destruction du Temple.

On parle également d’assister à un tournoi de gladiateurs (Tosefta AZ 2:2). La plupart des rabbins interdisent même d’entrer dans l’arène pour un tel événement, mais Rabbi Nathan l’autorise parce qu’il est possible de sauver des vies en votant pour que le gladiateur soit épargné. Il semble y avoir une profonde méfiance à l’égard de la culture sportive gréco-romaine, et le simple fait d’y assister suffit à être impliqué dans ce qui s’y passe. 

Mais certains textes halakhiques voient le sport sous un jour plus positif. Le Choulkhan Aroukh (Orach Chayim 301:2), discutant du comportement approprié le chabbat, dit qu’il est interdit de courir ce jour-là, sauf pour se rendre à la synagogue. L’idée est que c’est un jour de repos, pas un jour pour se presser. Mais la halakha se termine par les mots suivants. 

בחורים המתענגים בקפיצתם ומרוצתם מותר וכן לראות כל דבר שמתענגים בו

Les jeunes qui aiment sauter ou courir sont autorisés à le faire, et il en va de même pour sortir voir des choses qui leur plaisent.

Une différence est faite entre le fait de courir pour atteindre quelque chose (que ce soit pour atteindre une destination, ou même pour des raisons de santé), et le plaisir de courir pour lui-même. Le fitness en lui-même n’est qu’une autre tâche banale que l’on peut éviter le chabbat. Dans la littérature ultérieure sur la permissivité du sport le chabbat, cette distinction devient essentielle. Personnellement, on m’a demandé si le yoga était permis le chabbat (probablement oui), le vélo (ça dépend) et le krav maga (probablement non).

Il y a un dernier texte halakhique qui me fait rire à chaque fois que je le vois, et qui est en fait géographiquement plus proche des Jeux olympiques de Paris que les autres. Dans un commentaire du Talmud écrit au 13ème siècle par les disciples de Rabbi Samson de Sens ( juste une heure au sud de Paris), il est question des dommages causés dans le cadre de l’accomplissement d’une mitsva. Ils ajoutent:

ויש ללמוד מכאן לאותן בחורים שרוכבים בסוסים לקראת חתן ונלחמים זה עם זה וקורעין בגדו של חבירו או מקלקל לו סוסו שהן פטורין שכך נהגו מחמת שמחת חתן

“Cela ressemble à la coutume des jeunes hommes qui assistent à des mariages et qui montent à cheval devant le marié et font des joutes avec leurs lances, déchirant les robes les uns des autres et blessant leurs chevaux. Ils ne sont pas responsables des dommages, car tout cela est fait pour le plaisir du marié et la joie du mariage [qui est lui-même une mitsva].”

Nous voyons ici quelque chose de la joie du sport, dans l’esprit que les Jeux olympiques prétendent favoriser. Nous sentons aussi le côté sombre des démonstrations de force, avec la possibilité de violence et de dégâts. 

Je ne me sens jamais à l’aise lorsque je parle de sujets sous la forme “Que dit le judaïsme à propos de X” ou “L’attitude juive à l’égard de Y”. Le judaïsme et les juifs sont riches, complexes, anciens et dynamiques, il y a très rarement une réponse simple à une telle question. Au mieux, nous pouvons mettre en évidence une tension présente dans les sources juives, qui se manifeste différemment dans chaque cas. Si je devais dire quelque chose sur les attitudes juives à l’égard du sport, je pense que cela devrait prendre la forme d’une telle tension. D’un côté, il y a l’appréciation du corps humain et de ses capacités. Courir, jouer, concourir ; ils peuvent simplement être amusants, et ils peuvent être une Mitsva, faire partie du commandement de la joie le chabbat ou se réjouir lors d’un mariage. Il existe également une méfiance profonde à l’égard du sport et des démonstrations de force. Ils sont en partie associés à la violence, mais il s’agit aussi d’une hérésie, l’excès de confiance égoïste en ses propres capacités.

Dans la paracha de la semaine prochaine, nous lirons une forte critique de ceux qui entrent sur la terre d’Israël et se sentent puissants et confiants dans leur force physique, fiers de leurs accomplissements au lieu d’être reconnaissants. 

וְאָמַרְתָּ֖ בִּלְבָבֶ֑ךָ כֹּחִי֙ וְעֹ֣צֶם יָדִ֔י עָ֥שָׂה לִ֖י אֶת-הַחַ֥יִל הַזֶּֽה׃

Vous qui vous dites : “Ma propre puissance et la force de ma propre main m’ont permis de gagner cette richesse.” (Deutéronome 8:17)

C’est cette attitude de force comme un aveuglement face aux merveilles et aux jeux du monde qui est critiquée tout au long de la Torah. Lorsque je pense au slogan olympique “Citius, Altius, Fortius” (plus vite, plus haut, plus fort) et que je me demande s’il me semble juif, la réponse est – parfois. En tant qu’aspiration à ressentir la vitalité de l’expérience humaine, oui, bien sûr. En tant que voie d’adoration du corps, elle se rapproche dangereusement de l’idolâtrie. On peut imaginer les bâtisseurs et les architectes de la tour de Babel avec le même slogan. Ou, pour en revenir à ces jours où nous commémorons la destruction du premier et du second Temples de Jérusalem, le premier en punition du sang versé et le second en punition de la haine gratuite, nous pouvons tout à fait imaginer le peuple aspirant à être plus rapide, plus haut, plus fort que ses ennemis supposés. 

Tisha Be’av commence comme un jour de deuil et se termine comme un jour d’espoir. C’est en regard de toute cette histoire de force mal dirigée que les prophètes décrivent le futur Temple. Il ne sera pas le résultat d’une victoire ou d’un accomplissement, mais de la confiance. 

וַיַּ֜עַן וַיֹּ֤אמֶר אֵלַי֙ לֵאמֹ֔ר זֶ֚ה דְּבַר-יְ–הֹוָ֔ה אֶל-זְרֻבָּבֶ֖ל לֵאמֹ֑ר בְחַ֙יִל֙ וְלֹ֣א בְכֹ֔חַ כִּ֣י אִם-בְּרוּחִ֔י אָמַ֖ר יְ–הֹוָ֥ה צְבָאֽוֹת׃

Voici la parole que Dieu adresse à Zorobabel : Ce n’est ni par la force, ni par la puissance, mais par mon esprit – dit DIEU des armées. 

Chabbat chalom !

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