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Le puits de Miriam

La paracha Houkat relate la mort de Miriam et la disparition du puits qui l'accompagnait dans le désert. Mais quel est réellement la nature de ce puits?

La paracha Houqat – jointe ce Chabbat à la paracha Balak – commence par expliquer le rite de la purification par les cendres d’une vache rousse, intacte, sans le moindre défaut. Je n’entrerai pas dans le détail de ce rite dans cette dracha, car je veux porter mon attention sur autre chose. Je note cependant que le texte précise que quiconque a eu le moindre contact avec un mort devient impur et le reste pendant sept jours. Il doit alors se purifier afin de retrouver sa place dans la société. La Torah nous
rappelle ici une pensée très importante : l’impureté fondamentale est la mort.


L’impureté n’est ni une notion physique (saleté) ni une notion morale (faute), elle touche en nous le lien entre l’En-Haut et l’En-bas, lien que le prêtre, le Cohen, a précisément pour fonction de maintenir vivant. C’est d’ailleurs pourquoi celui-ci ne peut avoir le moindre contact avec la mort. La mort livre les survivants à la stupéfaction et à l’horreur face à un cadavre qui va se décomposer inéluctablement.

R. Chmuel Bornstein rappelle que l’impureté (touma) dérive d’une racine qui signifie stupidité
(timtoum) et fermeture (atoum), comme dans l’expression « un cœur fermé » (atoum), tel celui du mort absolument insensible aux atteintes.


Quel que soit son degré – il y en a 49 dont on peut sortir, mais au 50é cela devient impossible, selon la Cabbale – l’impureté provient toujours d’une contamination par les forces de la mort et si rien ne l’arrête elle contamine l’âme, elle l’entraîne dans le désespoir par exemple.


Or voilà que dans cette paracha Miriam meurt et est ensevelie à Kadech (Nb 20, 1), le peuple s’arrête donc. Mais, au lieu de nous parler du deuil de ce peuple, du chagrin ressenti à la mort de Miriam, de la distance que doit prendre Aaron, son frère, qui est prêtre d’avec sa sépulture, le texte poursuit en disant aux versets 2 et 3 : « La communauté manqua d’eau, et ils s’ameutèrent contre Moïse et Aaron. Le peuple chercha querelle à Moïse , et ils parlèrent ainsi : ‘Ah ! que ne sommes-nous morts quand sont morts nos frères devant l’Éternel ».


La mort de Miriam se trouve donc liée à la disparition de l’eau et à un sentiment de complet découragement du peuple. Selon Rachi, citant le Talmud (Taanit 9a) c’est parce que, durant toutes ces années de désert, le peuple trouvait de l’eau grâce à Miriam et à son « puits ( באר).

Mais de quel puits s’agit-il donc ? Un puits transportable dans le désert est une étrange chose en effet ! Le Talmud affirme que « l’eau » signifie la Torah, c’est elle qui constitue un puits d’eau vive partout où on se trouve, même dans le désert. Le mot באר ayant la même racine que le mot ביאור. Or l’explication relève de la Torah orale, de la Torah qui est sur la bouche : תורה שבעל פה


Le Maggid de Kozhnitz (1787-1814) dans son livre Sefer Avodat Israel sur notre paracha, dit que le mot « puits » fait ici allusion au secret de cette Torah explicative, or un tel secret dépendait de la présence de Miriam, c’est-à-dire de la présence du féminin aux côtés de Moïse et de Aaron. Cette proposition se base sur un enseignement de la Cabale. Le secret du don de la manne qui tombe du ciel serait dû au mérite de Moïse et celui du puit d’eau vive serait dû au mérite de Miriam. On parle en effet de la manne comme d’un pain tombé des cieux et de la Torah orale, comme d’un renouvellement des significations de cette Torah, renouvellement qui vient d’En bas, de la terre donc.


Après la révolte de Korah, Moïse cessa d’enseigner la Torah, la prophétie le quitta pendant 38 ans, écrit Ibn Ezra (Nb 20, 1) : Moïse ne prophétisa que pendant la première année et durant la 40e année, assure-t-il. Mais Miriam enseigna la Torah orale pendant les 38 années de traversée du désert : elle expliquait cette Torah et elle aidait à la comprendre. C’est cette explication ( ביאור) qui manque soudain aux
Hébreux quand elle meurt. Ils réclament alors un puits ( באר) , c’est-à-dire une explication de la Torah qui vienne de la terre, qui soit issue des questions que l’on pose sur cette terre. Une Torah directement descendue du ciel grâce au mérite de Moïse leur reste peu compréhensible. Mais, une fois Miriam disparue, ils manquent de cette eau-là. Une eau indispensable pour traverser les déserts que chacun affronte au cours de sa vie.


Cette réflexion sur le mot puits et sur son lien à Miriam que j’emprunte au livre de Michel Revel sur la Torah : פנים אל פנים me semble très stimulante. Certes il faut de l’eau au sens concret du terme pour survivre 38 ans dans le désert, mais il faut aussi de l’eau pour son âme, de l’eau qui donne le courage d’avancer malgré tous les obstacles, les angoisses, les détresses et les violences.

Cette eau-là dépend de la Torah, mais de la Torah qui est sur une bouche vivante qui la transmet et l’explique. Or voici que dans les commentaires des sages que j’ai cités, c’est Miriam, une femme,
la sœur de Moïse, celle qui a veillé sur lui jadis, qui assume cette tâche.
Ces mêmes sages qui ont proposé cette magnifique interprétation ne devraient-ils pas alors se demander pourquoi la Torah orale a été ensuite confisquée par les hommes pendant tant et tant d’années ? Leur Torah orale à eux ne manque-t-elle pas de l’apport des nombreuses Miriam qui ont existé et continuent d’exister? Donner un peu à boire à qui désire s’abreuver sur la terre ne passe-t-il pas par elles aussi ?


Pour en revenir à la paracha, il semble que Moïse lui-même ait eu du mal à faire sienne la manière de Miriam d’expliquer la Torah à partir de la terre, à partir des questions que les humains se posent sur cette terre, de leurs inquiétudes, de leurs colères et de leurs misères, de leurs joies aussi. En effet, lorsque le peuple lui réclame de l’eau, au lieu de parler au rocher pour en faire sortir de l’eau, comme l’Éternel lui demande (Nb 20, 8), Moïse lève la main et le frappe deux fois avec son bâton, il le frappe de haut comme si c’était ainsi seulement que de l’eau puisse en sortir!

Ce geste est symbolique et ressemble à Moïse. Moïse veut en effet faire descendre directement la Torah qui vient du ciel pour la remettre aux Hébreux et pour qu’ils lui obéissent, même s’ils ne la comprennent pas bien. Moïse frappe le rocher avec sévérité (din) sans énoncer la moindre parole. Cela ressemble à sa façon d’agir avec les Hébreux : il ne leur fait pas de concessions et ne discute pas du bien-fondé de leurs questions, et cela même s’il plaide ensuite leur cause auprès du Créateur.

Moïse n’agit ni comme Aaron – qui plaide la cause de la conciliation – ni comme Miriam qui, selon
l’enseignement que j’ai cité, reste à l’écoute de ceux qui sont sur terre et leur donne des explications qui les aident à comprendre ce que la Torah leur signifie. Mais Miriam n’est plus là.


La conclusion est sévère : Il paraît alors impossible que Moïse et Aaron entrent en terre promise, c’est ce qu’annonce l’Éternel (Nb 20, 12). Pour y entrer et pour vivre sur cette terre il faut des explications, non pas celles qui sont données directement parle Ciel mais, des explications qui viennent de la terre. Il aurait fallu que Miriam continue d’aider Moïse et Aaron par sa Torah orale.
Entend-on bien aujourd’hui, sur la terre promise, les explications de la Torah orale par les femmes qui ressemblent à Miriam ?

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