À en juger par la fréquence et la popularité des horoscopes publiés dans la presse, l’astrologie connaît encore de beaux jours. Qu’en dit la loi juive ? Le Choulhan âroukh stipule que la consultation des astrologues est prohibée (Yoré déa 179:1).
Toutefois, on peut lire dans le commentaire du Sifté cohen que certains décisionnaires ont toléré d’y avoir recours dans des situations graves telles que des maladies mortelles. Ou encore, apprend-on (ibid. 179:2) que l’on ne doit pas entamer de démarche le lundi ou le mercredi et qu’il convient de se marier lors de la pleine lune (ou en phase ascendante). Le Rabbin Mochè Isserles précise que « l’on ne doit rien entreprendre en défiant le Mazal (la conjoncture astrale) car (une telle imprudence) reviendrait à compter sur un miracle. Il convient de ne pas scruter la conjoncture et se contenter de faire confiance à Dieu. »
Ambiguités
Ces exemples trahissent une certaine ambiguïté face au phénomène de l’astrologie. D’un côté, on s’en méfie en réfrénant le plus possible d’y avoir recours, et de l’autre, on reconnaît une réalité à l’influence des astres sur la destinée humaine, et une efficacité à la science astrale pour l’appréhender. Après tout, s’il s’agit bien d’un mode de connaissance fiable, n’est-il pas des plus légitimes de tenter d’en disposer, comme l’on met à profit d’autres sciences prédicatives et préventives telles que la météorologie, mais aussi la médecine, la diététique, etc. ?
C’est très exactement l’argument qu’utilisa Rabbi Abraham bar Hiya, en 1120, dans une épître adressée à Rabbi Yehouda ben Barzilaï de Barcelone qui s’était opposé à la divination astrale : De même qu’on ne saurait considérer comme un péché de repousser un aliment nuisible à la santé, il n’y a aucune faute à préférer agir ou s’abstenir suivant le caractère favorable de l’heure ou du jour. Et si le Talmud (Pessahim 113a) a interdit d’interroger les Chaldéens (astrologues), c’est uniquement en raison du fait qu’ils étaient idolâtres, magiciens et sorciers, et que leur mauvais conseil se mêlait à leur divination.
Il ressort de ces assertions que l’astrologie, contrairement à divers procédés de magie, devait être considérée comme une science dont l’étude et l’usage étaient parfaitement licites. Plus encore, on sait aujourd’hui que le cercle musulman des « Frères purs » qui est à l’origine de la diffusion de l’astrologie hermétique et sabéenne des Arabes aux Juifs vers le xe s., considérait que cette sagesse n’était pas un apanage grec mais juif et que les Grecs s’en étaient appropriés lors de leur domination en terre d’Israël.
Le roi Salomon fut considéré comme l’un de ses principaux détenteurs, conviction dont on trouve également trace dans le midrach (Eccl. R. 7:23 no. 1). Par suite, la plupart des rabbins médiévaux considérèrent que l’astronomie était en soi une sagesse antique intégrée au judaïsme et que ce ne fut qu’incidemment, par « larcin », que d’importants traités furent arrachés à Israël, contraignant les modernes à les rapatrier.
Epoque biblique et époque talmudique
En réalité, on ne trouve guère de référence explicite à l’astrologie dans la Tora et encore moins la trace d’un tel usage par les Hébreux qui eût été licite. En revanche, les devins égyptiens et babyloniens désignés devaient certainement s’y adonner et il est probable que leur science était également visée à travers les condamnations par la Tora des Hébreux ayant recours à la divination (Lv 19,26 ; Dt 18,10, et par suite, Sanhédrin 65b-66a). Isaïe (47,13) et Jérémie (10,2) ne manquent pas d’épingler ceux qui placent leur confiance dans les signes astraux et en redoutent les effets implicites. Ces diatribes se retrouvent encore dans la littérature apocryphe (cf. Enoch 8,3) et Flavius Josèphe relate le recours malheureux aux présages astrologiques par les Juifs révoltés contre les Romains (Guerre des Juifs 6:288ff.).
Le tournant semble s’opérer à l’époque talmudique. La littérature des Sages regorge de dires accréditant l’astrologie populaire très en vogue alors dans l’ensemble du bassin méditerranéen hellénisé. Ainsi prévaut la conception selon laquelle chaque individu a sa propre étoile régissant sa destinée en fonction de la date de conception et de naissance (cf. Chabbat 53b, Baba kama 2b). On trouve même l’assertion selon laquelle « Longévité, fertilité et prospérité ne dépendent pas du mérite mais des astres » (Moéd katan 28a). Cette formule fut abondamment discutée car si l’influence astrale fut considérée comme effective, on retrouve dans l’ensemble des textes rabbiniques la conviction profonde que le déterminisme astral n’est pas inéluctable, et qu’en particulier, le peuple juif avait en la matière un statut d’exception.
Dans le traité de Chabbat (156a-b), les Sages discutent de la possibilité qu’a le peuple d’Israël d’échapper au déterminisme astral. Rabbi Hanina soutient l’idée que ce déterminisme pèse sur Israël, contrairement à Rabbi Yohanan pour qui « ein mazal le-Israël : Israël n’a pas d’étoile (déterminant son sort) », entendant par là que c’est Dieu qui directement préside à sa destinée. De ce débat, il est résulté qu’il existe bien une influence astrale fixant le destin des Juifs qui peut être conjecturée par un devin ou un astrologue. Mais la bonne conduite peut conjurer le sort funeste que réserve la conjoncture, comme le suggère une aggada célèbre : « Abraham a dit au Saint, béni soit-Il : ‘‘Souverain de l’univers, j’ai observé ma constellation, et j’y ai lu que je ne pourrai avoir de fils’’. – ‘‘Sors de tes spéculations astrologiques, car Israël n’est pas sous l’influence des étoiles, lui répondit le Saint, béni soit-Il, qu’est-ce qui te fait penser ainsi ? Si c’est le fait que la planète Jupiter se trouve à l’ouest, Je peux la déplacer à l’est !’’ » (Chabbat 156a). Ce qui est en cause, donc, ce n’est pas la réalité d’un pouvoir surnaturel mais la confiance démesurée et amorale dans ce pouvoir. L’astrologie est perçue comme une fausse croyance, non dans le sens d’une fausse créance mais d’une fausse confiance. Car en se fiant aux astres, on préfère fuir ses responsabilités en se ralliant au diktat de la nature plutôt que de lier son destin à l’accomplissement de la volonté divine dont on nie l’hégémonie et l’exigence.
Le Moyen-Âge et l’époque moderne
Au moyen âge, l’astrologie se confirme presque unanimement en tant que science auprès des intellectuels juifs ou non-juifs, jusqu’à Newton inclus ! Parmi les grandes figures rabbiniques qui ont puissamment contribué l’inclusion de l’astrologie dans l’exégèse, l’explication du sens des mitsvot, la prédiction des temps messianiques, on compte Saadia Gaon, Abraham Ibn Ezra, Rabbi Abraham bar Hiya, et Gersonide dont la pensée théologique elle-même est profondément tributaire. Le grand et presque unique opposant fut Maïmonide.(1) Dans presque tous ses écrits, et en particulier dans sa lettre sur l’astrologie écrite en 1194 (2) aux maîtres de Provence, Maïmonide fulmine contre l’astrologie, la qualifiant d’inepties ressortissant de l’idolâtrie. Il enjoint de ne se pas fier aux passages talmudiques qui semblent l’accréditer car ceux-ci ne sauraient être pris au sens littéral.
Comme l’écrit le Rabbin contemporain Louis Jacobs (What does judaism say about, Jerusalem, Keter, 1988, pp. 48-49), il y a deux raisons fondamentales pour lesquelles, tout esprit raisonnable et instruit se doit de récuser définitivement l’astrologie. La première est qu’elle ne répond pas aux critères de la science moderne, car en dépit de nombreuses allégations, aucune démonstration empirique n’a jamais pu être faite de la réalité de l’influence astrale sur le caractère, l’esprit et le devenir des groupes et des individus. En revanche, les prédictions de prétendus grands astrologues qui se sont avérées erronées sont légion. La seconde est que son expression antique dont les modernes se prévalent est tributaire de la conception caduque d’un système totalement géocentrique.
À mon humble avis, plus que le « problème » du géocentrisme (somme toute, le point d’observation est géocentré, et ladite science se suffit parfaitement, pour son propos, à cette condition), c’est le quasi-fatalisme qui transpire de l’astrologie qui n’est pas crédible. Il y a tant de facteurs naturels à prendre en considération autres que les astres, et tant de contingence ou d’indéterminisme qui s’insinuent dans les phénomènes que la détermination astrale en plus d’être aléatoire apparaît totalement abusive. Si l’on ajoute à cela la supercherie et le charlatanisme – hormis l’escroquerie – à prétendre pénétrer les secrets divins quant à la destinée de tout, auxquels croient volontiers ceux qui – désemparés ou naïfs – consultent les « voyants » qui ne se privent pas de se faire « remercier » en espèces sonnantes et trébuchantes, il ne reste qu’à opposer la sagesse biblique : « L’ignorant accorde sa confiance en toute chose » (Proverbes 14,15). Ce qui doit guider l’homme, ce sont les valeurs qu’ils croient vraies, bonnes et justes. Saisir les opportunités qui se présentent comme des cadeaux du Ciel, avec pour consigne : « Sois intègre dans ta confiance en l’Éternel » (Deutéronome 18,13).
Rivon Krygier
Notes:
(1) Comptons aussi pour ferme opposant R. Yehouda ha-Levi, Kouzari 4:9 et 23.
(2) Cette lettre a été traduite en français et commentée par Michel-Pierre Edmond, dans Les Temps modernes, Paris, N° 390, janvier 1979, pp. 1053-1074.