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La réception de la Torah, une évolution continuelle

A l'occasion du deuxième jour de Chavouot, le rabbin Josh Weiner nous invite à nous poser la questions: que peut bien signifier "recevoir la Torah" pour nous aujourd'hui?

Dracha prononcée par le rabbin Josh Weiner à l’occasion du deuxième jour de Chavouot 5783

C’est une journée intéressante aujourd’hui. En Israël, c’est un chabbat normal et ils lisent la parachat Nasso, alors qu’ici, c’est le deuxième jour de Chavouot, et nous lirons Nasso la semaine prochaine, et serons un peu détachés du cycle israélien pendant quelques semaines.

Bien que nous ayons généralement la coutume de consacrer la première nuit de Chavouot à l’étude, le grand kabbaliste du 19e siècle, Yossef Haïm de Bagdad, a écrit que la deuxième nuit doit être aussi consacrée à des études, et que le deuxième jour de Chavouot est plus grand que tous les autres deuxièmes jours des autres fêtes. Il n’explique pas pourquoi, mais j’aimerais suggérer trois raisons.

Pourquoi doubler les fêtes?

Premièrement, la raison habituelle d’avoir un deuxième jour de fête dans la diaspora est liée au doute. Autrefois, le premier du mois était décidé par le beit din de Jérusalem, et des messagers étaient envoyés à travers le monde juif pour transmettre la décision. Comme il pouvait y avoir une différence d’un jour entre le calcul théorique du nouveau mois et la décision réelle, dans tout endroit trop éloigné pour que les messagers arrivent avant la fête, ils célébraient deux jours de doute.

À Pessah par exemple, ils se disaient : peut-être qu’aujourd’hui est le 15 de Nissan, peut-être que demain est le 15 de Nissan – alors nous célébrerons les deux, juste pour être sûrs. C’est le cas pour toutes les autres fêtes. La différence ici, c’est que Chavouot n’est pas associée à une date particulière – il faut juste que ce soit cinquante jours après Pessah. Il est certain que jadis, même si les messagers de Jérusalem avaient atteint la diaspora trop tard pour les informer du jour correct de Pessah, la nouvelle serait arrivée à temps pour corriger le compte et faire en sorte que Chavouot ait lieu le bon jour. D’une certaine manière donc, le deuxième jour de Chavouot est plus faible que les autres fêtes. D’un autre côté, le fait que le deuxième jour ait été institué même s’il n’y avait aucun doute renforce la raison de le célébrer.

Comme nous l’avons dit, le texte biblique dit juste de célébrer une fête cinquante jours après Pessah, et donne quelques détails sur les différents sacrifices et pèlerinages au Temple. Mais ce n’est pas comme ça que nous décrivons cette fête aux enfants au Talmud Torah ! Nous disons généralement qu’il s’agit de la célébration du don de la Tora au Sinaï. Comment savons-nous cela ?

Dans mon cours de Talmud de mardi dernier, nous avons examiné les différents midrachim et discussions rabbiniques (Chabbat 86b) qui tentent de donner la date du don de la Torah – qui n’est pas claire du tout d’après le texte biblique. Ils arrivent à deux opinions principales – la majorité des Sages disent qu’elle a été donnée le 6 Sivan, et Rabbi Yosei soutient qu’elle a été donnée le 7. Même si aujourd’hui nous célébrons Chavouot le 6 Sivan, il existe certaines pratiques dans d’autres domaines de la halakha qui semblent se fonder sur les arguments apportés par Rabbi Yosei, et indiquent donc que son opinion est la bonne. Il se pourrait donc que même en Israël, on devrait célébrer la fête aujourd’hui comme hier.

En fait, un commentateur, Menahem Azaria de Fano, explique que la Torah a été donnée intentionnellement le 7 Sivan parce que le mont Sinaï se trouvait en dehors de la terre d’Israël [Asara Maamarot, Hakor Din 2:15]. Nous pouvons ajouter un autre fait à cela : toute l’idée de rester éveillé la nuit de Chavouot et d’étudier a commencé à Salonique en l’an 1533, lorsqu’un groupe de kabbalistes dirigé par Joseph Karo a étudié la Michna et eu des visions mystiques. Nous disposons d’une description de l’événement par Rabbi Shlomo Alkabetz, qui est plus connu comme l’auteur de Lekha Dodi, et qui a participé à l’événement. Il raconte qu’après la nuit d’étude, ils sont restés éveillés et ont prié pendant la journée, et la deuxième nuit, ils ont répété leur étude, et ont à nouveau rencontré la voix divine qui leur parlait.

Reception(s) de la Torah

Tout cela pour dire qu’aujourd’hui est un jour très spécial, et que nous pouvons célébrer sans réserve le don de la Torah. Mais ce qui est peut-être encore plus important, c’est ce qui se passera demain et après-demain, et notre relation avec la Torah à ce moment-là. Que nous célébrions le don de la Torah aujourd’hui ou hier, le plus important est la réception de la Torah, qui doit être un processus continu et non un événement historique à date fixe. [Même dans le texte de la Torah, il y a différents moments de réception – certains commandements ont été donnés en Égypte, d’autres à leur départ, la Torah a été reçue deux fois au Sinaï, et plus tard dans le désert, et encore une fois avant la mort de Moïse…].

La michna d’ouverture des Pirkei Avot développe ce processus de réception :


משֶׁה קִבֵּל תּוֹרָה מִסִּינַי, וּמְסָרָהּ לִיהוֹשֻׁעַ, וִיהוֹשֻׁעַ לִזְקֵנִים, וּזְקֵנִים לִנְבִיאִים, וּנְבִיאִים מְסָרוּהָ לְאַנְשֵׁי כְנֶסֶת הַגְּדוֹלָה


“Moshé a reçu de la Tora (et non “la” Tora) au Sinaï, et l’a transmise à Josué, Josué aux anciens, les anciens aux prophètes, et les prophètes l’ont transmise aux membres de la Grande Assemblée.”

Il est clair que cette Torah qui est reçue et transmise n’est pas une répétition du même texte, puisque chaque génération a quelque chose de nouveau à ajouter, qui devient lui-même Torah. Cette transmission, mesora, est la racine du mouvement Massorti auquel nous sommes affiliés. On le traduit parfois par ” traditionnel “, mais il est beaucoup plus dynamique que cela. Elle se rapporte à une transmission qui considère la réception de la Torah comme une évolution continuelle.

Je définis parfois la Torah comme “notre compréhension de ce que Dieu attend de nous dans ce monde”. Le livre de l’Exode est de la Torah, le Talmud et ses commentaires aussi, mais peut-être qu’un article de Rivon Krygier avec des idées originales mérite aussi d’être appelé Torah.

Jeudi soir, nous avons passé la nuit à apprendre, mais au lieu de ne réciter que des textes, nous avons aussi entendu des médecins et des philosophes parler de l’éthique des choix de fin de vie. Cela repose sur l’idée que la Torah vivante se trouve en dehors des livres. Il y a même un danger avec notre compréhension limitée de la Torah en tant que livre que nous devons valoriser par rapport à tout le reste. Si mon fils veut jouer avec moi ou si j’ai eu un conflit avec un ami, et qu’au lieu de m’occuper de la relation humaine qui s’y trouve, je dis que je dois aller prier arvit, ou que je dois préparer mon cours de Talmud, je ne fais pas forcément ce que Dieu veut de moi dans le monde à ce moment-là. Rien dans le Choulhan Aroukh ou le Talmud babylonien ne me dira comment parler à mon ami à ce moment-là précisément, ou comment donner à mes enfants l’attention dont ils ont besoin.

Mais les réponses à ces défis sont aussi de la Torah. Parfois, nous donnons des conférences sur la préservation du vivant et le judaïsme, ou sur la lutte contre le racisme et le judaïsme, ou sur toutes sortes d’autres causes et le judaïsme, et nous ne nous rendons pas compte qu’il est superflu de simplement citer des textes juifs pour refléter une idée qui existe déjà. Si c’est la bonne chose, si c’est la vérité, c’est déjà de la Torah. C’est seulement lorsque nos traditions écrites élargissent, remettent en question et compliquent ce que nous savons déjà que nous avons besoin de les citer. Mais pour savoir cela, il faut beaucoup étudier…

Nous profiterons donc de cette journée pour célébrer la réception d’une Torah, puis nous reprendrons notre tâche de recevoir pleinement la Torah dont nous avons besoin à notre époque.

Chabbat chalom, hag sameah.

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