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Il faut le faire (?)

Commentaire de la paracha Houkat et le mystère de la vache rousse

Par le rabbin Josh Weiner

Il est de tradition de parler de l’incompréhensibilité de la paracha de cette semaine. Si vous n’avez pas compris la paracha d’aujourd’hui, vous êtes en bonne compagnie. La paracha commence par les lois de purification liées au rituel de la vache rousse. Personne ne semble le comprendre. Le roi Salomon a dit qu’il comprenait le sens de chaque commandement de la Torah, à l’exception de celui-ci.

Selon Rachi, Satan se moque du peuple juif pour des commandements comme celui-ci, disant qu’ils n’ont aucun sens. Ce n’est pas seulement qu’il s’agit d’un rituel de purification qui mélange les cendres d’une vache morte à de l’eau vivante pour éliminer les impuretés associées à la mort. Pourquoi pas ? Ce n’est pas non plus le simple fait curieux que la personne qui administre les cendres devient temporairement impure tandis que la personne sur laquelle elles sont aspergées devient pure. C’est tout l’ensemble : presque tous les détails du rituel sont uniques et bizarres. C’est le seul sacrifice qui se déroule en dehors du Temple, à l’est de Jérusalem.

Ces lois sont données, de façon unique, à Elazar, le fils du grand prêtre Aaron. Les commentateurs soulignent que “mitsvata basegan”, le commandement doit être exécuté par le second. Pas le grand prêtre, ni n’importe quel prêtre, mais spécifiquement par le second. Pourquoi ? Et dans la Michna, les détails du rituel deviennent encore plus étranges. Pour éviter toute trace d’impureté, les petits enfants sont élevés dans les grottes autour de Jérusalem afin qu’ils n’entrent jamais en contact avec un cadavre. Ils descendent sur des planches portées par des bœufs jusqu’à la source située dans la vallée à côté du Temple pour y puiser de l’eau pure qu’ils mélangent aux cendres de la vache rousse. Ensuite, un prêtre qui a été séparé de la communauté pendant sept jours pour rester pur reçoit les cendres – et alors, étonnamment, les autres lui font toucher quelque chose d’impur ! Il s’immerge ensuite dans un mikvé pour être à nouveau purifié avant d’accomplir réellement le rituel. Pourquoi ?

Mais en fait, ce n’est pas si extraordinaire d’avoir toutes ces lois et pratiques contradictoires. Ce n’est pas vraiment plus bizarre que d’autoriser la consommation d’un aliment et d’en interdire un autre. Maïmonide semble dire qu’il y a une raison derrière le rituel, mais nous ne la connaissons pas encore. De nombreux commentaires médiévaux ont suggéré des raisons, de même que des chercheurs modernes. Je suis sûr (j’espère du moins) que si j’essayais, je pourrais trouver une explication pour la vache rousse qui serait plus ou moins satisfaisante. J’ai déjà mentionné les débats philosophiques entre ceux (comme Maïmonide) qui pensent que tous les commandements ont un sens, et ceux, comme Yeshayahou Leibowitz, qui pensent que les vrais commandements ne doivent pas être compris.

Personnellement, je me range légèrement du côté de Leibowitz. L’une des raisons pour lesquelles je n’essaie pas de donner une raison aux mitsvot est que si je le faisais, je respecterais les mitsvot parce que je suis d’accord avec elles, enracinant finalement leur valeur en moi. Comme je ne veux pas me vénérer moi-même, et que je ne suggère à personne de le faire, je préfère considérer les mitsvot comme des commandements divins enracinés dans quelque chose d’infini qui dépasse l’entendement humain. Toute explication des commandements peut être agréable ou intéressante, mais finalement secondaire par rapport à la relation que l’on entretient avec eux. La différence entre le code de lois de Hammourabi et la Torah est que je me rapporte au premier en tant qu’observateur de l’extérieur et au second en tant que sujet impliqué. Je peux choisir de respecter les commandements ou de les rejeter ou quelque chose entre les deux, je peux essayer de les comprendre ou les accepter comme irrationnels, mais je ne peux pas choisir de ne pas être adressé par eux.

Dans notre monde moderne qui valorise l’autonomie et la liberté, il est très difficile de parler de la notion de commandement. Je pense qu’instinctivement, nous préférons un modèle différent : comparer et comprendre les différentes options de vie, les évaluer et choisir d’accepter celles que nous préférons le plus. Mais la tradition juive a une approche difficile : “Plus grand est celui qui est commandé et qui agit que celui qui n’est pas commandé et qui agit”. [גדול המצווה ועושה יותר ממי שאינו מצווה ועושה]. D’après cela, quelqu’un qui mange de la nourriture cachère, par exemple, parce qu’il pense que c’est sain ou savoureux n’est pas au même niveau que quelqu’un qui le fait parce qu’il y est obligé. Ou encore, un exemple plus proche de nous à Adath Shalom cette semaine : imaginez un garçon qui a pratiqué les prières, la lecture de la Torah, les tefillin et cetera pendant des semaines et des mois. La différence entre faire toutes ces actions en tant qu’enfant avant la bar mitsva et en tant qu’adulte après la bar mitsva, c’est le sentiment d’obligation. Avant, tu le faisais pour t’amuser, maintenant c’est peut-être encore amusant, mais ta relation à l’action a changé.

Il y a une discussion dans le Talmud pour savoir si un aveugle est obligé dans certaines mitsvot positives : la plupart des sages disent que oui, mais Rabbi Yehouda dit que non. L’un des rabbins de Babylone, Rav Yosef, est lui-même aveugle et a choisi de pratiquer les mitsvot.

אָמַר רַב יוֹסֵף : מֵרֵישׁ הֲוָה אָמֵינָא : מַאן דַּהֲוָה אָמַר לִי הֲלָכָה כְּרַבִּי יְהוּדָה דְּאָמַר : סוֹמֵא פָּטוּר מִן הַמִּצְוֹת – עָבֵידְנָא יוֹמָא טָבָא לְרַבָּנַן, דְּהָא לָא מִיפְּקִידְנָא וְהָא עָבֵידְנָא. הַשְׁתָּא דְּשַׁמְעִיתַהּ לְהָא דְּאָמַר רַבִּי חֲנִינָא : גָּדוֹל מְצֻוֶּוה וְעוֹשֶׂה יוֹתֵר מִמִּי שֶׁאֵינוֹ מְצֻוֶּוה וְעוֹשֶׂה, אַדְּרַבָּה : מַאן דְּאָמַר לִי דְּאֵין הֲלָכָה כְּרַבִּי יְהוּדָה עָבֵידְנָא יוֹמָא לְרַבָּנַן

Rav Yosef, qui était aveugle, a dit : Autrefois, je disais : Si quelqu’un me disait que la halakha est conforme à l’opinion de Rabbi Yehouda, qui dit : Un aveugle est dispensé d’accomplir les mitsvot, je ferais un festin, car je ne suis pas commandé et pourtant j’accomplis les mitsvot. Maintenant que j’ai entendu cet enseignement, qui dit : “Plus grand est celui qui est ordonné de faire une mitsva et qui l’accomplit que celui qui n’est pas ordonné et qui l’accomplit”, au contraire : Si quelqu’un me disait que la halakha n’est pas conforme à l’opinion de Rabbi Yehouda, et qu’un aveugle est obligé dans les mitsvot, je célébrerais une fête. (Kiddushin 31a)

Rav Yosef se rend compte qu’il vaut mieux faire les mêmes gestes par obligation, plutôt que par choix. Encore une fois, ce ne sont pas des concepts ou des phrases qui viennent naturellement à notre génération, dans un monde où nous nous battons pour la liberté de conscience et d’action, et je ne veux pas nier cette valeur importante qu’est l’autonomie individuelle. Il y a suffisamment de forces politiques, économiques et technologiques dans notre monde qui tentent de nous priver de ces libertés. Mais je veux montrer un sens de l’humilité qui découle de la reconnaissance qu’il y a quelque chose de plus grand dans le monde que mon choix individuel en ce moment, le pouvoir de toucher un mystère que je n’essaie pas de limiter par ma compréhension.

Samuel nous a offert une magnifique dracha jeudi matin, et a exploré un sujet pour lequel je n’ai jamais entendu un jeune de 13 ans être aussi passionné : l’âme humaine. Il a découvert les cinq différents niveaux de l’âme dans les sources juives, s’est demandé pourquoi le corps a besoin d’une âme et l’âme d’un corps, et a donné son avis sur la réincarnation. Derrière tout cela se cachaient une curiosité féroce et un désir de savoir. C’est un garçon dévoué – surtout pour faire deux heures de route pour se rendre au Talmud Torah chaque semaine, et pour faire en sorte que sa tutrice travaille dur pour trouver des réponses à ses questions. Quelqu’un d’aussi curieux devrait être capable de comprendre les raisons du rituel de la vache rousse, non ? Mais ce que j’ai aussi senti, c’est que tu es content de ne pas chercher à tout maîtriser au point de perdre son mystère, et que tu as su t’accrocher aux deux : le connu et l’inconnu.

Nous avons un enseignement du grand rabbin hassidique Kalonymus Kalman Shapiro, écrit dans le ghetto de Varsovie en 1940, qui a été conservé dans les décombres de la ville détruite et découvert après la guerre. Il écrit quelque chose de surprenant : que le mot “Mitsva“, commandement, est un nom de Dieu. En hébreu, Mitsva s’écrit avec quatre lettres : les deux dernières, vav et hé , sont identiques aux deux dernières lettres du nom de Dieu. Les deux premières lettres semblent être différentes, mais si on utilise la méthode connue sous le nom d’Atbach pour intervertir chaque lettre de l’alphabet hébreu avec la lettre de l’autre côté (la première lettre Alef devient la dernière lettre Tav, et ainsi de suite), alors les deux premières lettres de Mitsva deviennent Youd et , comme les deux premières lettres du nom divin.

Cela peut être un peu compliqué à suivre, surtout pour ceux qui ne sont pas habitués aux jeux de mots kabbalistiques hébraïques, mais l’essentiel est que dans le mot ‘mitsva’, commandement, il y a une partie claire et accessible, et une autre partie cachée et difficile à déchiffrer. Cela correspond aux deux attitudes que nous pouvons avoir à l’égard de la vie religieuse : soit accepter une relation avec des exigences qui nous obligent et dont le mystère nous touche au-delà de notre compréhension intellectuelle (les mém tsadi qui cachent le youd hé) ; soit vivre ses propres choix en s’engageant dans ce que l’on comprend (le vav hé). Une vie juive pleine et riche implique de maîtriser ces deux approches.

Chabbat chalom !

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