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Goûter à l’extrêmisme

Les conséquences de Pessah

Par le rabbin Josh Weiner

La paracha qui précède presque toujours Pessah est Tsav, qui parle des sacrifices offerts par les prêtres. Plus précisément, elle parle des sacrifices que les prêtres sont ordonnés d ‘offrir, le mot « tsav », qui signifie « commander », partage la même racine que le mot « mitsva ». Rachi insiste sur ce point :

צו את אהרן. אֵין צַו אֶלָּא לְשׁוֹן זֵרוּז מִיָּד וּלְדוֹרוֹת; אָמַר רַבִּי שִׁמְעוֹן, בְּיוֹתֵר צָרִיךְ הַכָּתוּב לְזָרֵז בְּמָקוֹם שֶׁיֵּשׁ בּוֹ חֶסְרוֹן כִּיס

Ordonne à Aaron – L’expression « Ordonne … ! » implique toujours une exhortation à exécuter un ordre, ce qui signifie qu’il entre immédiatement en vigueur et qu’il s’impose aux générations futures. Rabbi Chimon ajoute que la Torah a particulièrement besoin d’exhorter ici, dans une situation qui implique une perte financière. (Rachi sur Lévitique 6:2)

Il y a donc deux aspects dans le terme « mitsva ». Premièrement, elle s’étend dans le temps et l’espace, touchant les générations passées et futures, contrairement à un ordre normal qu’un individu donne à un autre. Et deuxièmement, il nous « exhorte » à accomplir ce qui est ordonné. Ici, il n’est pas fait mention de récompense et de punition, bien que cela soit présent dans d’autres parties de la Torah. L’exhortation semble être un appel émotionnel basé sur une relation préexistante : c’est important, cela doit être fait — fais-le pour Moi.

À Pessah, nous célébrons la fête de la liberté avec de nombreux commandements. Maïmonide énumère huit mitsvot essentielles liées à cette fête :

  • Ne pas manger de hamets après midi la veille de Pessah.
  • Détruire le hamets avant Pessah
  • Ne pas manger de hamets pendant les sept/huit jours de Pessah
  • Ne pas manger de dérivés de hamets pendant les sept/huit jours de Pessah
  • Ne pas voir de hamets qu’on possède à Pessah
  • Ne pas posséder de hamets à Pessah
  • Manger de la matsa le premier soir de Pessah
  • Raconter l’histoire de la sortie d’Égypte

Habituellement, nous aimons parler de ce dernier commandement qui est l’élément central de la nuit du Seder. Mais si l’on considère les sept premiers, ils semblent obsessionnels, voire psychotiques. Et si on observe la façon dont les gens se comportent avant et pendant cette fête, on peut avoir la même impression. Toutes sortes d’indulgences que l’on trouve dans le discours halakhique habituel sont jetées par la fenêtre. Habituellement, si une goutte de lait tombe dans un plat de viande par accident, on dit après coup que c’est quand même cacher, que si c’est moins d’un soixantième du volume, alors ça ne compte pas. À Pessah, même la plus petite miette semble compter, alors nous faisons des pieds et des mains pour nous assurer qu’il n’y a pas de miettes dans quoi que ce soit. Même lorsque les sources halakhiques semblent offrir la possibilité d’être indulgent à Pessah, la coutume populaire est d’être plus strict que la halakha. Je suis malheureusement l’héritier d’une coutume ashkénaze un peu bizarre qui consiste à faire tremper les verres pendant trois jours avant de les utiliser à Pessah. Chaque fois que je le fais, j’ai l’impression que c’est ridicule, mais je le fais quand même. Je connais des gens qui ne mangent pas cachère pendant l’année, mais qui achètent de la viande cachère uniquement à Pessah. C’est difficile à expliquer rationnellement, mais c’est le sentiment qu’ont les gens, que cette fête nécessite de s’y mettre à fond.

[En fait, tout le nettoyage de Pessah est décrit comme une houmra, une rigueur. Au niveau biblique, il suffit d’annuler verbalement le hamets en récitant la formule.

כל חמירא דאיתיה ברשותי דלא חזיתיה ודלא ביערתיה ליבטיל וליהוי הפקר כעפרא דארעא

Tout levain qui est en ma possession, que je n’ai pas vu et que je n’ai pas enlevé, sera annulé et deviendra comme la poussière de la terre.

Tout ce nettoyage, ces balayages, ces recherches et cette vente que nous faisons tiennent surtout au fait qu’on doute parfois de la sincérité de ceux qui récitent cette annulation, ou bien parce qu’on craint qu’ils mangent du hamets par réflexe, même s’il ne leur appartient plus techniquement (cf. Rachi et Tosafot sur Pessahim 4a)].

Lorsque nous regardons l’histoire de l’Exode elle-même, Pharaon propose alors divers compromis : ne partez que trois jours, peut-être que seuls les hommes peuvent partir, partez avec vos enfants mais pas avec vos animaux. La réponse de Moïse est un refus du compromis : Nous partirons avec tout ce que nous possédons, sans exception; nous ne savons pas ce que Dieu attend de nous mais nous voulons être totalement là. L’extrémisme est intégré à la pratique de cette fête, parfois au point qu’il est en fait impossible à maintenir. Parallèlement au stress positif qui caractérise les préparatifs de Pessah, il y a aussi un sentiment persistant de culpabilité et de doute : est-ce que je le fais bien ?

Même le récit de l’histoire possède cette même énergie extrême. Le huitième commandement de la liste consistait à raconter l’histoire, mais comment exactement ? La Haggada explique:

וַאֲפִילוּ כֻּלָּנוּ חֲכָמִים כֻּלָּנוּ נְבוֹנִים כֻּלָּנוּ זְקֵנִים כֻּלָּנוּ יוֹדְעִים אֶת הַתּוֹרָה מִצְוָה עָלֵינוּ לְסַפֵּר בִּיצִיאַת מִצְרָיִם. וְכָל הַמַּרְבֶּה לְסַפֵּר בִּיצִיאַת מִצְרַיִם הֲרֵי זֶה מְשֻׁבָּח

Et même si nous étions tous sages, tous intelligents, tous âgés et tous connaisseurs de la Torah, il nous serait tout de même ordonné de raconter la sortie d’Égypte ; et plus on raconte la sortie d’Égypte, plus c’est admirable.

Kol Hamarbé, plus il y en a, mieux c’est. C’est pourquoi notre seder est si long et si compliqué. L’exigence est de réciter quatre versets qui résument l’exode d’Égypte, mais nous sommes tellement enthousiastes, interrompant chaque mot pour l’interpréter ou trouver une autre référence à ce sujet, au point de perdre complètement le fil. Quelqu’un qui lirait la haggada pour la première fois ne comprendrait pas du tout l’histoire de la sortie d’Égypte – parfois pas non plus après cinquante fois. Les voix des rabbins se font de plus en plus intenses : il y avait dix plaies ! Non, cinquante ! Non, deux cents, deux cent cinquante… !

Qu’est-ce qui se passe ici ? J’ai déjà utilisé le mot psychose, et j’aimerais approfondir ce point. L’un de mes rabbins de Jérusalem avait l’habitude de parler des fêtes comme d’expériences contrôlées d’états mentaux qui seraient autrement dangereux. Par exemple, si je vivais toute ma vie comme je le fais à Yom Kippour, me sentant jugé pour mes actes au point que ma vie et la survie du monde dépendent de mon comportement – je serais considéré comme un fou. Si je vivais ma vie comme à Pourim, en essayant de dépasser les catégories du bien et du mal, je serais considéré comme un fou ou un alcoolique. Et si je vivais ma vie comme je le fais à Pessah, obsédé par ma propre histoire nationale, obsédé par les limites de l’interdit et du permis, cherchant la totalité et rejetant le compromis – je serais considéré comme un fou. Mais Pessah nous permet de toucher ce lieu d’extrémisme en nous, de sentir son potentiel et son pouvoir, puis de le quitter en ayant appris ce que nous devons apprendre de lui.

Oui, avec toutes les peurs légitimes que nous avons de l’extrême gauche, de l’extrême droite et de l’extrême centre, de la religion extrémiste et de la laïcité extrémiste, des sports extrêmes, des conditions météorologiques extrêmes, des tarifs extrêmes – il y a quelque chose de puissant et d’attirant dans l’extrémisme, et la seule façon de le comprendre est d’en faire l’expérience : encore une fois, de façon contrôlée. Il y a aussi quelque chose de rassurant dans le fait de revenir à la normale à la fin de Pessah — cette expérience pourrait être en fait un vaccin contre l’extrémisme. Il y a la tradition nord-africaine de la Mimouna, où les voisins non-juifs sont invités à manger du hamets ensemble, une coutume polonaise sympathique qui consiste à boire de la bière pendant la havdala qui clôt Pessah [Rama OH 296:2], et en général, la vie redevient normale et modérée, comme elle doit l’être.

Et nous retrouvons quelque chose de cela dans le seder lui-même. Au sein de la frénésie de la destruction du hamets et du récit de l’histoire, la coutume depuis mille ans est de faire une pause et de dire Dayenou, c’est assez, c’est bon. (Et voyez ici une perspective intéressante sur le texte de Dayenou en conversation avec l’accusation chrétienne contre les juifs ingrats dans la liturgie catholique de l’Improperia]. Nous chantons cette chanson avec un air enfantin inspiré de Disney, en disant merci pour chaque petite chose (une humilité extrême, peut-être). C’est presque ridicule de la décomposer ainsi, en disant – « Si Tu avais seulement fendu la mer mais ne nous avais pas permis de la traverser, c’est bon, ça aurait été suffisant ». C’est vrai ? Mais cette attitude qui consiste à accepter ce que nous avons maintenant, à être reconnaissants et satisfaits et à ne pas toujours exiger la totalité, c’est aussi une expérience importante que nous devons faire.

Je veux souhaiter à tout le monde de passer un heureux Pessah, qu’il soit juste assez extrême et pas plus, qu’il nous apporte un goût de libération et de rédemption, et plus que tout, de l’inspiration.

Chabbat Hagadol shalom !

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