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Droite et gauche

Les disputes sont essentielles pour le monde, et peuvent aussi le détruire. La paracha Korah 5784.

Par le rabbin Josh Weiner

Nous sommes au milieu d’une campagne électorale très lourde et destructrice en France, la semaine dernière et cette semaine, et probablement les élections présidentielles dans deux ans aussi. Bien que je n’ai personnellement pas le droit de vote en France, et que je n’ai donc pas de dilemme, j’en ressentirai les conséquences comme tout le monde. Non seulement dans le discours de plus en plus hostile et suspicieux à l’égard des Juifs, de la part des deux partis de manière différente ; et non seulement dans le prix de la nourriture cachère qui augmentera dès qu’il faudra l’importer. Il y a aussi des conséquences sur notre communauté.

J’imagine que beaucoup de gens voteront pour des partis qu’ils ne soutiennent pas entièrement, et que certains s’abstiendront ou voteront blanc ; et quel que soit le vainqueur demain, j’imagine que certains seront satisfaits des résultats et que la majorité sera dépitée. Ce n’est pas une bonne base spirituelle pour une communauté. Comme dans la pyramide de Maslow, nous avons besoin de stabilité sociale et politique pour pouvoir nous concentrer sur des choses importantes comme l’étude de la Torah et la prière. L’autre direction – apprendre la Torah et prier afin de nous donner une stabilité politique et sociale – est beaucoup plus difficile.

Je veux lire un commentaire sur notre paracha qui aborde la situation dans laquelle nous nous trouvons, sans donner de réponses claires. De toute évidence, l’histoire de Korah, avec sa rhétorique populiste, sa rivalité amère, ses combats internes et sa fin destructrice, semble avoir quelque chose en commun avec notre situation politique. Mais il y a une nuance. En lisant attentivement la paracha, nous voyons plusieurs conflits se chevaucher en même temps. Datan et Aviram, par exemple, semblent aimer le conflit pour lui-même – dans l’imaginaire rabbinique, partout où il y a une dispute, ils en sont les instigateurs. Lorsque Moïse trouve deux Hébreux en train de se battre en Égypte et qu’il tente de les apaiser, selon le midrach, les deux personnes sont Datan et Aviram. Il n’est donc pas surprenant qu’ils participent à la rébellion de Korah. Korah lui-même, cependant, est plus difficile à analyser. Il semble y avoir quelque chose de pertinent dans son argumentation, même en mettant de côté la démagogie, et la réponse de Moïse à son égard n’est donc pas en colère, mais déçue.

J’ai relu cette semaine l’histoire de Korah telle qu’elle apparaît dans le livre mystique du Zohar. (J’avoue que je l’ai lu à minuit à la lumière d’une bougie.) Le Zohar a une attitude complexe à l’égard de Korah qui le considère comme la continuation d’un développement cosmique qui a commencé le deuxième jour de la création, avec la division des eaux en mer et en ciel. Cette première division a introduit la mahloket, la dispute qui divise, dans le monde.

וַיֹּאמֶר אֱ-לֹהִים יְהִי רָקִיעַ בְּתוֹךְ הַמָּיִם וְגו’, הָכָא בִּפְרַט רָזָא לְאַפְרָשָׁא בין מַיִין עִלָאִין לְתַתָּאֵין בְּרָזָא דִשְׂמָאלָא. ואתברי הָכָא מַחְלוֹקֶת בְּרָזָא דִשְׂמָאלָא. דְעַד הָכָא רָזָא דְּיָמִינָא הוּא, וְהָכָא הוּא רָזָא דִשְׂמָאלָא, וּבְגִין כָּךְ אַסְגִיאוּ מַחְלוֹקֶת בין בְּגִין דָּא לְיָמִינָא. יָמִינָא אִיהוּ שְׁלֵימָא דְכֹלָּא, וּבְגִין כָּךְ בְּיָמִינָא כְּתִיב כֹּלָּא דְּהָא בֵּיהּ תַּלְיָיא כָּל שְׁלִימוּ. כַּד אִתְעַר שְׂמָאלָא אִתְעַר מַחְלוֹקֶת. וּבְהַהוּא מַחְלוֹקֶת אִתְתַּקַּף אֶשָׁא דְרוּגְזָא וְנָפִיק מִנֵּיהּ מֵהַהוּא מַחְלוֹקֶת גֵּיהִנֹּם. וְגֵיהִנֹּם בִּשְׂמָאלָא אִתְעַר וְאִתְדָּבַּק

“Et Dieu dit : qu’il y ait un firmament au milieu des eaux”. C’est le mystère de la division entre les eaux supérieures et les eaux inférieures, et c’est le mystère du côté gauche. La machloket, la dispute, a été créée, car la droite se battait maintenant avec la gauche, et il y avait une division entre elles. Lorsque la gauche est apparue, la dispute est apparue elle aussi. De là est né le feu de la colère, qui est devenu la géhenne, l’enfer… (Zohar Béréchit 17a).

Je ne veux pas trop m’attarder sur les termes ‘gauche’ et ‘droite’ ici, qui correspondent aux attributs de la bonté et du pouvoir dans le système kabbalistique, et je ne veux pas faire une équivalence simpliste entre la gauche et la droite dans notre système politique d’aujourd’hui. Tous les deux seraient considérés comme étant de gauche ou de droite par rapport à l’autre parti, parce que ce qui est important, c’est que dès le deuxième jour, il y a une dualité dans le monde. Cette dualité a le potentiel de devenir un combat, et lorsque la relation entre les deux est une relation de colère, les deux brûlent. Qu’est-ce qui résout la dispute, dans cette lecture mythologique ? Le troisième jour. Le troisième jour, la terre et la végétation sont créées, et soudain, un sens est donné à la division. La mer et le ciel sont tous deux en relation avec la terre, et un équilibre est atteint.

חָכְמְתָא דְמשֶׁה בְּהָא אִסְתַּכַּל וּבְעוֹבָדָא דִּבְרֵאשִׁית אַשְׁגַּח. בְּעוֹבָדָא דִּבְרִאשִׁית הֲוָה מַחְלוֹקֶת שְׂמָאלָא בְּיָמִינָא, וּבְהַהוּא מַחְלוֹקֶת דְּאִתְעַר בֵּיהּ שְׂמָאלָא נָפַק בֵּיהּ גֵּיהִנֹּם וְאִתְדְּבַק בֵּיהּ. עַמּוּדָא דְאֶמְצָעִיתָא דְאִיהוּ יוֹם תְּלִיתָאי עָאל בֵּינַיְיהוּ וְאַפְרִישׁ מַחְלוֹקֶת וְאַסְכִּים לִתְרֵין סִטְרִין. וְגֵיהִנֹּם נָחִית לְתַתָּא. וּשְׂמָאלָא אִתְכְּלִיל בְּיָמִינָא וְהֲוָה שְׁלָמָא בְּכֹלָּא

Dans sa sagesse, Moïse s’est penché sur ce sujet et a étudié l’œuvre de la Création. Dans l’œuvre de la Création, il y eut un conflit entre la gauche et la droite, et l’Enfer fut créé…. Le pilier central est entré entre eux le troisième jour, mettant fin au différend et amenant les deux parties à se mettre d’accord. Alors Gehenom se retira de la gauche et descendit en dessous. La gauche s’est jointe à la droite, et la paix s’est installée partout.

Ce n’est pas qu’un côté vainc l’autre, mais que leur différend est harmonieux et finalement constructif. La dispute se poursuit, mais sans le feu de la colère. Moïse est vu ici comme le sage qui regarde la façon dont le monde est créé et apprend à l’appliquer aux situations qui l’entourent. Les conflits peuvent être bons, lorsqu’ils sont équilibrés. Quiconque croit vraiment au système démocratique sait qu’il n’y a pas de gagnant et qu’il n’y en aura jamais. Dans mille ans, disent certains, il y aura toujours des républicains et des socialistes, il y aura toujours la gauche et la droite, et il devrait en être ainsi. Certains arguments ne sont pas faits pour être résolus. Alors quand Korah commence sa rébellion, au départ, Moïse est optimiste.

כְּגַוְונָא דָא מַחְלוֹקֶת קֹרַח בְּאַהֲרֹן שְׂמָאלָא בְּיָמִינָא. אִסְתַּכַּל משֶׁה בְּעוֹבָדָא דִבְרֵאשִׁית. אָמַר לִי אִתְחַזֵּי לְאַפְרָשָׁא מַחְלוֹקֶת בֵּין יָמִינָא לִשְׂמָאלָא. אִשְׁתַּדַּל לְאַסְכָּמָא בֵּינַיְיהוּ. וְלָא בָּעֵי שְׂמָאלָא וְאַתְקַף קֹרַח בְּתוּקְפֵיהּ

Une dispute similaire a eu lieu entre Korah et Aaron, la gauche contre la droite. Moïse étudia la Création et déclara : “Je suis capable d’éliminer le conflit entre la droite et la gauche. Moïse a fait de son mieux pour les réconcilier, mais la gauche n’a pas voulu se réconcilier, et Korah est devenu puissant.

Korah, de la tribu de Lévi, représente le pouvoir et Aaron le prêtre représente la bonté. Ces deux-là ont tendance à s’opposer, mais il est aussi possible qu’ils existent en harmonie et se renforcent l’un l’autre. Moïse appartient à la tribu de Lévi, mais il a aussi fonctionné comme prêtre pendant la construction du Tabernacle, et il pensait donc qu’il pouvait servir de médiateur entre eux. Mais il s’est avéré que Korah ne voulait pas que l’argumentation soit harmonieuse, il ne voulait pas jouer le jeu de l’équilibre et du dialogue. (“Je ne gouvernerai que si j’ai la majorité absolue.”) La différence et la division auraient pu être un catalyseur pour le développement spirituel, mais nous savons tous à quel point c’est difficile. Il a donc choisi l’option facile, être Contre, quoi qu’il arrive. La fin de cette histoire est que Korah descend dans l’enfer de feu qu’il a lui-même mis au monde. [וַדַּאי יֵחוֹת לְתַתָּא בְּתוּקְפָא דְרוּגְזָא דִילֵיהּ]. Mais le Zohar, s’appuyant sur les Pirkei Avot, nous donne un autre modèle positif : les désaccords des rabbins, qui sont au cœur du peuple juif.

מַחְלוֹקֶת דְּאִתְתָּקַּן כְּגַוְונָא דִלְעֵילָא וְסָלִיק וְלָא נָחִית וְאִתְקְיַּים בְּאֹרַח מֵישָׁר, דָּא מַחְלוֹקֶת דְּשַּׁמַּאי וְהִלֵּל. וְקוּדְשָׁא בְּרִיךְ הוּא אַפְרִישׁ בֵּינַיְיהוּ וְאַסְכִּים לוֹן. וְדָא הֲוָה מַחְלוֹקֶת לְשֵׁם שָׁמַיִם. וְשָׁמַיִם אַפְרִישׁ מַחְלוֹקֶת. וְעַל דָּא אִתְקְיַּים עלמא. וְדָא הֲוָה כְּגַוְונָא דְּעוֹבָדָא דִבְרֵאשִׁית. וְקֹרַח בְּעוֹבָדָא דִבְרֵאשִׁית אַכְּחִישׁ בְּכֹלָּא. וּפְלוּגְתָּא דְּשָׁמַיִם הֲוָה. וּבְעָא לְאַכְּחָשָׁא מִלֵּי דְאוֹרַיְיתָא. וַדַּאי בְּאִתְדַּבְּקוּתָא דְּגִיהִנֹּם הֲוָה. וְעַל דָּא אִתְדָּבַּק בַּהֲדֵיהּ… קֹרַח הֲוָה שֵׁירוּתָא דְמַחְלוֹקֶת כְּפוּם רוּגְזָא וְתוּקְפָּא וְאִתְדָּבַּק בַּגֵּיהִנָּם. שַׁמַּאי סוֹפָא דְמַחְלוֹקֶת כַּד רוּגְזָא בִּנְיָיחָא אִצְטְרִיךְ לְאַתְעָרָא מַחְלוֹקֶת דִּרְחִימוּ וּלְאַסְכָּמָא עַל יְדָא דְשָׁמַיִם

Une autre dispute a été réglée comme les disputes dans les cieux. Un différend qui s’est élevé et n’est pas redescendu et qui était basé sur la décence était celui entre Chammaï et Hillel. Chammaï était l’aspect de la Gauche en haut, tandis que Hillel était l’aspect de la Droite. Le Saint, béni soit-il, intervint entre eux et les approuva. Il s’agissait d’une dispute pour le bien du ciel, et grâce à cela, leurs illuminations continuent d’exister. Cette dispute est comme l’œuvre de la Création… Chammaï était aussi l’aspect de la gauche, mais à la fin de la dispute entre la droite et la gauche, la colère a été oubliée et la dispute de l’amour a été mise en marche afin de recevoir l’approbation des cieux.

Notre tradition rapporte des centaines de disputes entre l’école de Chammaï et l’école de Hillel. L’une des choses qui a rendu le judaïsme rabbinique différent de toutes les autres sectes juives à la fin de l’ère du Temple est l’inclusion d’opinions multiples et l’encouragement au débat. Nous glorifions parfois trop cela, ces débats n’ont pas toujours été beaux et polis, mais c’est peut-être cette culture du conflit constructif qui a permis au peuple juif de survivre jusqu’ici. Mahloket lechem chamayim, argumenter pour le bien du Ciel ; dans la lecture du Zohar, c’est littéralement pour le bien du Ciel car cela permet au monde de continuer. Il y a une différence entre les arguments qui sont ancrés dans la colère, qui sont l’enfer, et ce que le Zohar appelle mahloket dir’himou, des arguments ancrés dans l’amour et le respect.

Je dis tout cela non pas parce que je pense que les politiciens français écoutent ma dracha ou lisent le livre saint du Zohar (bien que certains d’entre eux devraient le faire) ! Je ne voterai pas demain, et mathématiquement l’influence d’un seul vote est plus symbolique qu’autre chose. Je me soucie de notre communauté dans les semaines, les mois et les années à venir.

Si, à l’extérieur, l’atmosphère est aux débats destructeurs, à l’intérieur, nous devons donner la priorité à un autre modèle juif. Un modèle qui encourage la liberté de pensée, les discussions intenses, le respect profond et le souci d’un avenir commun. Je sais que sur presque toutes les questions essentielles, nous avons une communauté qui se soucie de ces valeurs, et que cela sera essentiel pour les mois et les années difficiles à venir. C’est pourquoi il est si important d’avoir des espaces pour se sentir en sécurité, comme notre synagogue, et des moments sacrés, comme ce chabbat, pour renforcer notre belle et unique communauté.

Chabbat chalom.

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