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Dracha de Roch Hachana 5777

Dracha prononcée par Aline Benain le 3 octobre 2016

Pour Léah.

Lorsque j’entends notre prière, pour ces offices de Fêtes comme tout au long de l’année, je m’interroge souvent quant à la nature de cet acte tout à fois intensément collectif  et profondément individuel.

Que faisons-nous tous ensemble ? Que faisons-nous chacune et chacun ?

Nos Maîtres remarquent que, si elle montre tel ou tel de nos ancêtres en train de prier[1], la Torah ne fait nulle part obligation explicite de la prière.

C’est d’un verset du Deutéronome (XI, 13) qu’elle a été déduite : « « D’où apprenons-nous le commandement de la prière ? Car il est dit « d’aimer l’Eternel votre Dieu et de le servir de tout votre cœur. » Quel est le service du cœur ? C’est la prière »[2]

J’aimerais réfléchir avec vous à ce « service du cœur. »

Dans l’un des commentaires qu’il a consacré à Roch haChana[3], Y.Leibowitz rapporte un très bel enseignement du Netziv de Volozhin[4] sur la signification des prières de Roch haChana que celui-ci envisage comme le paradigme général de la prière.

Le Netziv remarque ainsi une apparente incongruité grammaticale dans deux versets du Psaume 102 :

Au verset 18 nous lisons : « Il se tourne vers la prière du pauvre délaissé et Il ne dédaigne pas leur prière. »

Et au verset 21 : « Pour entendre le gémissement du captif, pour défaire les liens de ceux[5] qui sont promis à la mort. »

Pourquoi avoir employé dans la première partie de chaque verset le singulier et le pluriel dans la seconde ?

C’est que « Le poète a vu, inspiré par l’esprit de sainteté, que dans la dernière génération tout Israël priera à Roch haChana pour que la royauté du Ciel soit ramenée à Jérusalem, et que Dieu règne sur le monde entier. Cependant, la raison de cette prière n’est pas la même pour chaque homme. Il y a celui qui aime Dieu de tout son cœur et qui prie pour la gloire de Dieu, béni et grandi soit-Il ; il y a celui qui prie pour qu’Israël retourne sur sa terre, selon, la promesse faite à Abraham, notre père, au moment de l’Alliance de la circoncision, il y a celui, enfin, qui ne ressent pas les souffrances de l’exil. S’il en est  ainsi, cette prière est sans cœur, elle n’est qu’un précepte enseigné aux hommes[6]. »[7]

Le Netziv distingue donc et hiérarchise trois types de prière en fonction de l’intention qui préside à chacune d’entre elles :

            – La prière qui est toute entière approbation de la Royauté divine.     

– La prière de celui qui prie pour les besoins du Peuple.

            – La prière de celui qui prie pour la satisfaction de ses besoins ou de son désir.

Mais, et c’est là l’explication du jeu singulier/pluriel dans les versets du Psaume 102, l’Eternel reçoit toutes les prières selon le verset de Job (XXXV, 5) « « Dieu est puissant et ignore le mépris », et la prière de la communauté [pluriel] s’associe à la prière du pauvre délaissé [singulier] ».[8]

 Cette bienveillance divine, cette ignorance où l’Eternel se trouve du mépris vis-à-vis de la prière de Ses créatures, certains, certaines s’autorisent, au sein de notre Peuple, certes minoritaires mais véhéments et actifs, à ne pas l’avoir en Son Nom. En se réclamant d’une « pureté » dangereuse qui n’est que l’autre nom du fondamentalisme, ils s’arrogent le droit de répudier la prière de qui ne prie pas comme eux.

Au début du mois de juillet dernier, la jeune Hallel Yaffa Ariel (zal), âgée de 13 ans, a été assassinée dans son sommeil, chez elle, à Kiryat Arba par un terroriste palestinien.

Cet acte monstrueux a très légitimement, et indépendamment de toute autre considération, bouleversé et indigné une très large partie du monde juif, en Israël, comme en dehors d’Israël. Les manifestations de solidarité avec la famille endeuillée, les prières pour la jeune victime ont été nombreuses.

Sa mère pourtant n’a eu que quelques mots : elle acceptait pour sa fille « uniquement des prières halakhiques ». Paroles d’une violence inouïe, qui délégitiment la prière de celles et ceux qui ne reconnaissent pas dans l’orthodoxie ultra radicale à laquelle cette femme entend réduire tout le Judaïsme. Paroles terribles qui témoignent d’un dévoiement spirituel majeur et d’un danger pour le Judaïsme tout entier.

Comme un baume sur la blessure de ces paroles de haine, il m’a été donné de lire, peu de temps après, un enseignement du Apter Rav[9] :

 « Le Apter Rav était notamment connu pour un trait de personnalité particulièrement marquant : son amour du prochain.

Il affirmait ainsi que chaque paracha de la Torah, sans exception aucune, contient une allusion à la mitsva d’aimer autrui.

Un jour, ses hassidim le mirent au défi de trouver une telle allusion dans la paracha Balak. Très facile, leur répondit-il : le mot « Balak » est tout simplement l’acronyme de l’expression ואהבת לרעך כמוך (Veahavta Lereakha Kamokha) (« Tu aimeras ton prochain comme toi-même »).

Problème ? Cela ne marche absolument pas : le mot « Balak » commence par un Beth et non un Vav, et se termine par un Kouf et non un Kaf… ce que les hassidim de l’histoire firent derechef observer.

« Mes amis », répliqua le Rav, « si vous êtes aussi stricts que cela, vous ne parviendrez jamais à accomplir la mitsva. Celui qui veut vraiment aimer autrui doit savoir être flexible et ne pas se bloquer sur des peccadilles sans importance ».

Etre capable de cette souplesse n’est-ce pas cela le sens profond de ce que nous disons lorsque nous nous souhaitons d’être « inscrit dans le Livre de la Vie » ?

C’est en tout cas, mes amis, ce que je nous souhaite, à chacun individuellement et à tous collectivement comme lorsque s’élève notre prière.

Nous avons besoin de cette bienveillance, de cette douceur, pour aider à rendre, de manière infime mais, j’en suis convaincue, déterminante, ce monde moins furieux et un peu plus vivable pour tous.

Chana Tova !

Aline Benain.


[1] Ainsi d’Abraham, Moïse, Hanna – nous venons de le lire dans la Haftarah de ce premier jour de Roch haChana – ou encore David.

[2] Taanit, 2b.

[3] Yeshayahou LEIBOWITZ, Les fêtes juives, réflexions sur les solennités du judaïsme, Paris 2011, éditions du Cerf, p.23-26.

[4] Rabbi Nephtali Tsvi Yehouda Berlin, 1817-1893.

[5] C’est moi qui souligne.

[6] « Un précepte enseigné aux hommes », il s’agit d’une expression traditionnelle pour désigner l’application mécanique d’un ordre.

[7] In Y.LEIBOWITZ, op.cit. p. 25.

[8] In Y.LEIBOWITZ, op.cit. p. 25-26.

[9] Je dois cette lecture à Emmanuel Bloch qui anime avec Gabriel Abensour le remarquable blog et forum de discussion Modern Orthodox. La contribution que je cite a été publiée le 9 Av 5776.

Le Apter Rav : Avraham Yehoshua Heshel (1748-1825), fondateur de la dynastie hassidique de Mezhbizh-Zinkov. A ne pas confondre, bien sûr, avec son homonyme l’auteur de Les bâtisseurs du temps.

Aline Benain

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