A la fin des années 60, invité par un journaliste à préciser son identité, Elie Wiesel avait fait cette réponse : [Je suis] « un Juif qui cherche. Qui se cherche. Mais en disant cela, je n’exclus pas les Hommes. C’est en tant que Juif que je me définis par rapport aux autres hommes. Un Juif, ce n’est pas quelqu’un qui cherche une restriction. Au contraire, c’est une porte. Un Juif, c’est une porte sur les Hommes. »
Les temps sombres que nous vivons nous pressent, comme jamais peut-être depuis des décennies, de rester ces « portes » en même temps qu’ils nous rendent, sans doute, la tâche plus difficile.
Chaque année, depuis que je m’adresse à vous en ce temps de Kippour, nous partageons d’abord le constat du fracas terrible du monde, toujours plus violent, toujours plus meurtrier. « Nous sommes, ce jour, écrivait René Char, plus près du sinistre que le tocsin lui-même. » Pourtant nous sommes là, réunis, et ce n’est pas le tocsin que nous allons entendre mais le son du Chofar. Nous sommes là parce que nous sommes les héritiers et les porteurs d’une Tradition qui dit la confiance tellement malmenée et tellement têtue en une Parole capable de résonner pour chacun et pour tous.
Les Pirke Avot rappellent : « Tu n’as pas la responsabilité d’achever le travail mais tu ne peux te soustraire à celle de l’engager ». C’est ce que nous avons fait pour que nos enfants puissent poursuivre notre tâche d’une génération à l’autre… en attendant les suivantes.
Cette Parole nous ne la portons pas qu’en ces jours solennels de Tichri, nous la portons chaque jour de l’année, modestement mais opiniâtrement. C’est tout l’objet de la vie de notre Communauté à laquelle vous apportez toutes et tous votre contribution précieuse, irremplaçable et non hiérarchisable.
Nous avons entamé, vous le savez, la rénovation de nos locaux qui doit se poursuivre sur deux ou trois années. Vous avez déjà pu profiter des bienfaits – encore un peu aléatoires- d’un nouveau système de climatisation tandis que la cuisine qui a fait trop longtemps le désespoir de beaucoup méritera bientôt l’admiration sans réserve de tous. Il ne reste plus que l’ensemble des espaces modulables, le couloir d’entrée et la synagogue à refaire… et nous aurons fini ! Plus sérieusement, vous serez convié, et j’espère nombreux à participer, à une réunion de présentation du projet au début de 2017. A tout point de vue, et comme toujours à Adath Shalom, rien ne se fera, ni ne pourra se faire sans vous.
Il ne s’agit pas, en effet, de construire une somptueuse coquille vide. Il s’agit bien plutôt de rénover un écrin ou d’enluminer un texte.
Beaucoup de ceux, Français ou étrangers, qui assistent pour la première fois à l’un de nos offices sont surpris de la part qu’y prennent les fidèles, de la part que vous y prenez tous. La ferveur sans fanatisme qui anime, au sens le plus fort du terme, notre prière, illustre, auprès de ceux qui découvrent Adath Shalom, le Judaïsme que nous voulons faire vivre, où l’émotion du chant ne contredit pas l’intelligence de l’étude, où le respect de la Tradition s’appuie sur l’élucidation des textes qui la fonde, où la fidélité n’interdit ni le questionnement ni la critique, où la jeunesse à toute sa place, où chacun peut se sentir accueilli et respecté en ce qu’il est.
C’est le sens de notre entreprise, notre ambition commune dont vous êtes garants et responsables.
C’est bien sûr le travail de chaque instant de notre rabbin auquel je veux redire ce soir ma reconnaissance, mon respect et mon amitié. Auquel je veux redire aussi, en espérant même être entendue, de songer à prendre soin de sa santé.
Nos offices sont ce que nous sommes et ces offices de fêtes sont encore magnifiés par la voix de notre hazan, Hugues Krygier, qui nous offre chaque année la bénédiction de son chant pour élever notre prière. J’espère, Hugues, que tu pourras continuer à le faire en dépit des responsabilités qui sont désormais les tiennes à la tête de la Communauté Maale de Bruxelles.
Je veux dire aussi à Elkana Hayoun que nous sommes très heureux qu’il nous ait rejoints, qu’il est pleinement chez lui à Adath Shalom et que nous apprécions tout autant sa voix, que sa gentillesse et son engagement, grâce auquel, entre autres, tous les offices de l’été ont pu, cette année, être assurés.
Aux membres du Conseil d’administration, à tous les bénévoles, je veux exprimer ma profonde reconnaissance pour leur engagement aussi efficace que discret. Je ne doute pas que vous serez rejoints par d’autres et notamment par les plus jeunes sans qui tout ce qui a été accompli, tout ce qui le sera encore ne prendrait pas sens.
Le Mouvement auquel nous appartenons, dont les Communautés sont l’âme et la force, assume la possibilité et le choix d’un dialogue fécond entre une Tradition pleinement investie parce que comprise, suffisamment exigeante et suffisamment dynamique, pour pouvoir, sans anathème ni sclérose, envisager les défis de l’avenir tels une promesse, non un danger.
Il peut faire entendre dans le débat public, et dans le strict respect de la laïcité républicaine qui nous protège tous, une voix juive engagée, soucieuse de l’Autre et qui ne vit pas sa spécificité précieuse comme un obstacle à l’universalité de son message.
Notre Rabbin, dans sa dracha du premier soir de Roch haChana, a proposé à celles et ceux qui le souhaitent d’universaliser explicitement le vœu de paix qui clôt notre récitation du Kaddish en ajoutant, comme le font beaucoup d’autres communautés massorti dans le monde, dans sa dernière strophe, après « ve âl kol Israël », « ve âl kol yochvé tévèl » : « Paix sur Israël et sur tous les habitants de la Terre ».
C’est une initiative à laquelle je souscris pleinement, comme, j’en suis certaine, la plupart d’entre vous.
Notre Peuple est Un et divers. C’est sa richesse et c’est sa force. L’une des clefs, sans doute, de sa pérennité. Il a offert et continue d’offrir à l’Humanité toute entière des contributions spirituelles, artistiques et scientifiques majeures.
Cependant, il est aussi, travaillé, en des groupes certes minoritaires mais véhéments et actifs, en Israël comme en Diaspora, par une tentation fondamentaliste. Il serait à la fois absurde, lâche et dangereux de le nier. Ils sont trop nombreux aujourd’hui à confondre unité et uniformité, à désigner le Juif différent comme le « mauvais » juif.
Nous avons attiré votre attention, à plusieurs reprises ces dernières semaines, sur la polémique née du refus de l’application par le Ministre des Affaires religieuses de l’accord majeur, entériné par la Gouvernement israélien en janvier 2016, qui prévoyait la création d’un espace de prière mixte au Kotel, à côté de l’arche de Robinson. Nous n’ignorons pas qu’une grande partie de la solution du problème réside dans celle d’une équation politique israélienne que la proportionnelle absolue rend de plus en plus difficile à résoudre. Il n’en demeure pas moins, qu’il revient à toutes celles et ceux qui sont attachés à maintenir la pluralité des voix juives à Jérusalem comme partout ailleurs de se mobiliser.
Commentant le verset d’Isaïe : « Tous tes enfants seront les étudiants de l’Eternel ; grande sera la concorde de tes enfants » (54,13), le Rav Kook expliquait : « Il y a des gens qui se trompent en pensant que la paix universelle ne peut se construire qu’à travers la mise en place d’un mode de pensée unique et uniforme. Dans cette optique lorsque l’on voit des étudiants de la Torah et des chercheurs en matière de Judaïsme qui ne sont pas d’accord et multiplient les exégèses, on pourrait penser que cela augmente les tensions et mène au contraire de la paix (…) mais la paix véritable ne peut exister qu’à travers la notion de paix multiple (…) La vérité de la lumière universelle se construira à partir de différentes facettes et de différents systèmes car aussi bien celui-ci que celui-là sont les paroles du Dieu vivant (…) La multiplicité des opinions vient du fait que les gens sont différents dans leur âme et leur éducation, cette multiplicité vient justement enrichir la sagesse et l’élargir. Au bout du compte on trouvera que chaque élément était nécessaire et que l’on ne pouvait construire la paix qu’à travers ses différentes influences qui semblaient au départ contradictoires. » (Olat Hareaya, Chapitre 8). [1]
Puisse-t-il être entendu par tous et d’abord par ceux là mêmes qui affirment leur intolérance en osant se réclamer de lui.
Vous me direz peut-être que nous sommes loin de la cuisine toute neuve d’Adath Shalom, de nos problèmes -presque- résolus de climatisation et de la rénovation de nos locaux. Je ne le crois pas. Chaque tâche compte et nous travaillons tous au quotidien, parfois de manière ingrate, au service d’un projet qui pour être plus grand que nous n’en a pas moins absolument besoin de nous. Il s’agit de faire rayonner ce Judaïsme porteur du souci de l’Autre, de tous les autres, porteur d’intelligence, d’émotion vive, porteur de Paix.
« Le pont est étroit, chante Rabbi Nahman, et l’essentiel est de ne pas avoir peur. »
Nous avons beaucoup fait. Vous avez beaucoup fait… et il reste tant à faire !
J’ai confiance que chacun continuera de prendre part à la tâche et que d’autres nous rejoindrons. Et je sais que vous n’aurez pas peur.
Nous serons tous ainsi, mes amis, inscrits dans le Livre de la Vie.
« Ossè Chalom bi-meromav, hou yaâsse chalom aleinou, ve-al kol Israël, ve-al kol yochvé tevel, ve-imerou : Amen. »
Chana tova ou G’mar hatima tova !