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Des boîtes dans les boîtes

Construire, lire, réfléchir, être, un commentaire de la paracha Terouma 5785

Par le rabbin Josh Weiner

[En ce début du mois d’Adar, alors que nous essayons d’augmenter la joie, d’une manière ou d’une autre, et de nous préparer à la fête, voici un commentaire que j’ai écrit sur les lois et les coutumes de Pourim. Profitez-en bien !]

Alors que la Torah passe cette semaine d’histoires passionnantes à une longue description de la construction du Tabernacle dans le désert, l’interprétation de ces textes devient alors un défi plus complexe. C’est un bon défi, et j’admire toujours les enfants de bar et de bat mitsva qui le relèvent bien. Jeudi matin, j’ai écouté une jeune bat mitsva relever ce défi, en se concentrant sur un détail spécifique de la construction de l’arche d’alliance. Elle a cité Rachi, qui apporte la précision suivante :

וְעָשׂ֥וּ אֲר֖וֹן עֲצֵ֣י שִׁטִּ֑ים …וְצִפִּיתָ֤ אֹתוֹ֙ זָהָ֣ב טָה֔וֹר מִבַּ֥יִת וּמִח֖וּץ תְּצַפֶּ֑נּוּ : שְׁלֹשָׁה אֲרוֹנוֹת עָשָׂה בְצַלְאֵל, שְׁנַיִם שֶׁל זָהָב וְאֶחָד שֶׁל עֵץ, אַרְבַּע כְּתָלִים וְשׁוּלַיִם לְכָל אֶחָד וּפְתוּחִים מִלְמַעְלָה, נָתַן שֶׁל עֵץ בְּתוֹךְ שֶׁל זָהָב וְשֶׁל זָהָב בְּתוֹךְ שֶׁל עֵץ וְחִפָּה שְׂפָתוֹ הָעֶלְיוֹנָה בְּזָהָב, נִמְצָא מְצֻפֶּה מִבַּיִת וּמִחוּץ

« Tu feras une arche en bois d’acacia… tu la recouvriras d’or pur à l’intérieur et à l’extérieur »- Bezalel a fabriqué trois arches, deux en or et une en bois. Il plaça l’arche de bois dans la plus grande arche d’or et la plus petite arche d’or dans celle de bois. (Rachi sur Exode 25:11, cf. Yoma 72b).

Lily a remarqué ce détail — une boîte en bois entourée de deux boîtes en or — puis a exploré quelques commentaires traditionnels avant de partager sa propre lecture symbolique : elle était comme l’intérieur en bois, qui représentait à la fois la croissance et la fragilité, soutenue par ses parents, qui, comme les boîtes en métal de chaque côté, représentaient la force et la stabilité.

[En écoutant cette réflexion sur la couche de bois, je me suis souvenu d’une dracha sur cette paracha que j’ai entendue il y a vingt ans, lorsque je vivais au kibboutz Ketoura, dans le désert de l’Arava, au sud d’Israël. Dans la petite synagogue, l’un des membres du kibboutz (je ne me souviens plus maintenant si c’était celui qui était chargé de traire les vaches ou celui qui réparait les tracteurs ou quelqu’un d’autre) a cité la question de Rachi sur la liste des matériaux que les gens ont offerts pour la construction : de l’or et de l’argent et du cuivre et de la peau de licorne ou de dauphin [!] et du bois d’acacia et ainsi de suite. Rachi semble surtout troublé par le bois, et demande « Où ont-ils trouvé des arbres dans le désert ? ». Il répond que Jacob a dû planter des arbres sur le chemin de l’Égypte, utilisant ses pouvoirs prophétiques pour savoir que ses descendants utiliseraient le bois des siècles plus tard.

Cet homme du kibboutz s’étonnait de voir Rachi si surpris, en disant : Nous vivons ici dans le désert, nous sommes allés nous-mêmes dans le désert du Sinaï, et nous savons qu’il y a des arbres ici. Pas beaucoup, mais suffisamment. Je me souviens avoir été très ému par cette déclaration. Rachi le génie de la Torah, qui vivait en France, ne savait pas ce que cet homme qui trayait des vaches dans un kibboutz savait rien qu’en regardant autour de lui].

L’intérêt de Lily pour les trois boîtes a éveillé le mien, et j’ai cherché à savoir ce qui avait été écrit sur ce sujet, ce qui m’a donné une excuse pour ouvrir un livre fascinant que je voulais lire depuis longtemps. Torat Ha’Olah est un ouvrage du XVIe siècle écrit par le rabbin Moshé Isserles de Cracovie, et dans lequel chaque détail du Temple et des sacrifices est expliqué sous forme de symbole à travers les prismes de la philosophie, de la physique, de l’astronomie et de la kabbale.

Il consacre un chapitre entier (Har, 25) à la signification de l’Arche. Il utilise de nombreuses métaphores. À un moment donné, il suggère que les trois boîtes représentent trois dimensions d’une personne : le corps, l’âme et l’esprit ; elles représentent également trois types d’intellect différents : l’actif, le potentiel(¹) et l’acquis ; ou trois niveaux de l’âme, néfech, rouah, néchama. Tout au long du livre, il souligne l’importance du fait que la couche intérieure est la même que la couche extérieure, les deux étant faites d’or, comparant cela à une personne juste qui doit être intègre et ne pas avoir de contradictions entre ce qu’elle est vraiment et la façon dont elle se présente.

Ce que Moshé Isserles fait ici, comme Lily, comme moi très souvent, est basé sur une présomption qu’une réalité est encodée dans une autre. Non seulement que les choses signifient plus qu’il n’y paraît, mais aussi qu’un objet du monde peut nous faire réfléchir à quelque chose de totalement différent. Les matériaux d’une boîte dans une tente dans un livre peuvent faire réfléchir Lily à sa relation avec ses parents, et Moshé Isserles à la construction de l’âme, et vous pourriez associer cela à autre chose. On fait cela très souvent, et dans le judaïsme en particulier, ce besoin de tout comprendre, d’un seul coup, a été élevé au rang de forme d’art.

Il y a quelques années, un professeur de l’université de Princeton a écrit que ses meilleurs élèves étaient ceux et celles qui revenaient d’étudier en yeshiva et en midrasha [des instituts d’études juives intenses]. Juif laïc, il n’était pas impressionné par leur pratique religieuse, mais par leur capacité à maîtriser les textes. Il a lancé un appel à la création de yeshivot laïques pour tous les Américains, afin de les préparer à l’université et à la vie d’adulte. Et il n’est pas le seul à penser que l’étude des textes prépare les gens à la vraie vie. Permettez-moi de citer une personnalité que je mentionne rarement dans mes discours à la synagogue. L’année dernière, le pape François a écrit une lettre publique exhortant les prêtres à lire davantage et à étudier la littérature générale dans le cadre de la formation des prêtres. J’ai été assez frappé par cette demande, d’autant plus que c’est quelque chose que j’exhorte également les rabbins à faire. Il souligne les effets émotionnels, intellectuels et spirituels de la lecture régulière, et dit :

[La littérature] représente donc une sorte de gymnase de discernement qui aiguise les capacités sapientielles d’examen intérieur et extérieur du futur prêtre. Le lieu où s’ouvre cette voie d’accès à sa propre vérité est l’intériorité du lecteur directement impliqué dans le processus de lecture. Voici donc le déploiement du scénario du discernement spirituel personnel où se trouvent les angoisses et même les crises. [Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation, §26]

Cela peut sembler surprenant d’étudier ces passages étranges de la Torah qui ressemblent parfois à des instructions Ikea, mais en fait, c’est souvent juste un plaisir à lire. Chaque année, je trouve quelque chose de nouveau que je n’avais jamais remarqué auparavant, parce que je suis une personne différente. Et ce changement est sans doute le fruit de toutes mes lectures. Ces « gymnases du discernement » s’enrichissent mutuellement : lire des romans et lire la science et lire les journaux et lire la Torah et le Talmud entraînent tous les mêmes muscles mentaux. Discerner si quelque chose est cachère ou non, ou si un acte est éthique ou non, est aussi une application de ces mêmes muscles. Ressentir la tragédie de quelqu’un d’autre, pleurer deux garçons aux cheveux roux que nous n’avons rencontrés qu’aux nouvelles, c’est aussi une triste application de cette même faculté de faire le lien entre nos mondes internes et externes. Toutefois, se limiter à l’étude de la Torah, sans explorer d’autres horizons, ou sans savoir lire le monde lui-même, c’est vivre une vie dangereusement déséquilibrée.

Pour en revenir aux trois boîtes, le passage talmudique qui en traite reprend également le thème que R. Moshé Isserles a utilisé, à savoir qu’il nous rappelle que le soi interne et le soi externe des gens doivent être les mêmes.

״מִבַּיִת וּמִחוּץ תְּצַפֶּנּוּ״. אָמַר רָבָא: כׇּל תַּלְמִיד חָכָם שֶׁאֵין תּוֹכוֹ כְּבָרוֹ — אֵינוֹ תַּלְמִיד חָכָם… אָמַר רַבִּי שְׁמוּאֵל בַּר נַחְמָנִי אָמַר רַבִּי יוֹנָתָן, מַאי דִּכְתִיב: ״לָמָּה זֶּה מְחִיר בְּיַד כְּסִיל לִקְנוֹת חׇכְמָה וְלֶב אָיִן״ — אוֹי לָהֶם לְשׂוֹנְאֵיהֶן שֶׁל תַּלְמִידֵי חֲכָמִים, שֶׁעוֹסְקִין בַּתּוֹרָה וְאֵין בָּהֶן יִרְאַת שָׁמַיִם. מַכְרִיז רַבִּי יַנַּאי: חֲבָל עַל דְּלֵית לֵיהּ דָּרְתָּא, וְתַרְעָא לְדָרְתֵּיהּ עָבֵיד

Le verset dit à propos de l’Arche : « De l’intérieur et de l’extérieur, tu la couvriras » (Exode 25:11). Rava a dit : Tout sage de la Torah dont l’intérieur n’est pas comme son extérieur n’est pas un sage de la Torah. Rabbi Yonatan a dit : Malheur à ceux qui se plongent dans la Torah et qui n’ont pas la crainte du Ciel. Rabbi Yannaï a déclaré : Pitié pour celui qui n’a pas de cour mais qui fait une porte pour sa cour. (Yoma 72b).

Lily, tu t’es comparée à la boîte en bois, la vivante et la plus fragile des trois. Tu as un monde intérieur riche et profond, tu es intelligente et tu sais réfléchir et faire les liens entre une chose et une autre. Ton monde extérieur est tout aussi riche, soutenu par l’amour de ta famille et de tes amis. Au fur et à mesure que tu avanceras dans la vie, maintenant que tu es une adulte juive, tu continueras à te plaquer d’or, à l’intérieur comme à l’extérieur. Que tu continues à lire avec passion, à réfléchir en profondeur et à partager ton savoir, aider ceux qui ont besoin de toi et continuer à être un modèle pour ceux qui t’entourent.

Et que ce soit aussi le modèle de toute notre communauté.

Chabbat chalom, et hodech tov !

Notes

(1)Je ne suis pas philosophe, et j’ai parfois du mal à suivre les définitions des différents intellects chez différents auteurs, mais il y a ici une jolie coïncidence : l’intellect potentiel (ou matériel), qui est ici mis en correspondance avec la couche de bois de l’Arche, est nommé par les philosophes juifs ha-Sekhel ha-Hiyuli, en utilisant une version arabe d’un mot grec ὕλη, hyle, qui signifie à l’origine « bois ».

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