Joie et jugement
Nous avons commencé cette semaine à nous mettre dans l’esprit d’Eloul, le mois de préparation de la nouvelle année. Cette préparation nous en dit beaucoup sur la façon dont nous considérons la célébration du nouvel an. Nous pouvons faire une comparaison avec la dernière semaine de décembre, où les préparatifs, s’il y en a, consistent à acheter de la bière, des apéritifs et des feux d’artifice.
C’est vrai, nous avons aussi une liste de courses pour les repas de Roch Hachana, je ne veux pas insinuer qu’il y a un rejet du plaisir matériel, et au contraire, c’est un Yom Tov, un grand jour de joie. Et le paradoxe réside dans le fait que c’est à la fois un jour de fête et un jour de jugement, en même temps. Mais en dehors de tout achat, les préparatifs consistent surtout à régler les problèmes interpersonnels, en plus de quelques petits rituels.
La récitation du Psaume 27
Je parlerai une autre fois de l’énorme courage qu’il faut avoir pour demander pardon. Je voudrais aussi parler une autre fois, be’ezrat Hachem, du son quotidien du chofar pendant le mois d’Eloul, de son pouvoir de nous réveiller de notre existence somnolente, et explorer des alternatives pour ceux qui n’ont pas de chofar à la maison.
Mais ce soir, je veux aborder le rituel d’Eloul peut-être le moins spectaculaire, la récitation du psaume 27 le matin et le soir. Cette pratique n’est pas ancienne : elle n’est ni mentionnée dans le Talmud, ni par Maïmonide, ni dans le Choulkhan Aroukh. Elle semble avoir commencé à Achkenaz au 17e siècle, mais ses origines ne sont pas claires.
Certains chercheurs modernes proposent un lien avec les disciples de Chabbetaï Tsvi, le faux Messie qui a secoué le monde juif à cette époque, mais même cela n’est pas clair. Mais nous faisons confiance au peuple. Il existe un principe selon lequel le peuple juif est enfant de prophètes, et toutes les coutumes qu’il adopte ont de la valeur.
Paradoxes du psaume 27
Alors regardons ce psaume 27. Il n’a apparemment rien à voir avec Roch Hachana, le langage militant semble parler de quelqu’un sur le point de partir à la guerre, ou de revenir à la guerre, en prononçant sa foi en Dieu. Mais je veux examiner ici trois versets qui me semblent pertinents pour cette période.
Premièrement, une description intéressante de la difficulté de vivre dans un monde compliqué. Lisons le quatrième verset: Je ne demande qu’une chose à Dieu, c’est ce que je désire.
Puis il énumère trois demandes : Que je sois assis dans la maison de Dieu tous les jours de ma vie, que je voie la tranquillité de Dieu, et que je visite son palais.
Il y a une tension entre s’asseoir éternellement dans la maison de Dieu et la visiter occasionnellement, et David semble vouloir les deux. J’ai la même relation ambiguë avec une synagogue. Parfois, après un chabbat ou un yom kippour puissant, je me sens très touché par l’expérience, je veux qu’elle continue. Mais il y a de la valeur dans la dynamique que nous avons plus souvent, celle de partir puis de revenir, d’avoir des journées de travail au bureau qui ne sont pas spirituelles ou spéciales, puis de revenir dans la conscience du chabbat. Bien sûr, à un niveau plus profond, si nous croyons que Dieu est partout, alors le bureau du mardi après-midi est aussi sacré qu’une synagogue le jour de Yom Kippour. C’est le paradoxe introduit par la demande de David de visiter la maison de Dieu, et d’y être toujours présent.
Un processus intérieur complexe
L’un de mes versets préférés dans tout le Tanakh se trouve ici. Si vous pouvez le comprendre, vous pouvez comprendre tout le concept de la révélation divine dans notre monde.
לְךָ֤ אָמַ֣ר לִ֭בִּי בַּקְּשׁ֣ו פָנָ֑י אֶת-פָּנֶ֖יךָ ה אֲבַקֵּֽשׁ׃
Que signifie le mot לְךָ֤ ici ?
Nous devons le traduire par quelque chose comme “En ton nom, mon cœur dit : Cherchez mon visage. Oui, je cherche ton visage, Dieu !”
La façon d’entendre la voix de Dieu n’est pas de chercher des prophètes, des livres saints ou des rabbins. Si je veux entendre le message de Dieu, je dois écouter mon cœur.
Maïmonide énumère douze niveaux de prophétie, et le premier pourrait être décrit comme le fait de suivre ses intuitions. Les préparatifs de Roch Hachana commencent par une recherche intérieure de ce que mon cœur me dit, et par l’élimination des obstructions qui empêchent cette voix de s’exprimer.
L’un des liens donnés entre ce psaume et le mois d’Eloul se trouve dans l’une des dernières lignes. Elle commence par le mot לולא, qui est traditionnellement écrit avec des points en haut et en bas, indiquant qu’il doit être interprété.
Si on lit le mot לולא à l’envers, on trouve le mot Eloul, d’accord. Mais quel est le rapport, ici ? Le mot signifie “Si ce n’est pour”, et introduit généralement une clause conditionnelle suivie d’une conséquence. Or ici, nous n’avons que la condition ” Ah ! si je n’avais la certitude de voir la bonté de Dieu sur la terre des vivants… “. La phrase reste incomplète. (Dans la traduction de notre siddour, Rivon Krygier essaie de résoudre la difficulté grammaticale en ajoutant des mots entre parenthèses. Mais le texte hébreu reste énigmatique).
Le Talmud y voit l’expression du doute de David. Il dit, selon la lecture talmudique, qu’il est certain que Dieu récompense les justes pour leurs actions, mais il n’est pas sûr d’être inclus dans cette catégorie. Ce doute, ce ”je suis sûr mais je ne suis pas sûr”, cette anxiété existentielle, est la base de notre préparation pour Roch Hachana. Nous sommes sûrs que tout finira bien, en général, et c’est pourquoi nous célébrons ce jour, nous nous habillons chic, nous mangeons des pommes et du miel, etc. Mais nous ne sommes pas sûrs que tout ira bien pour nous en ce moment, et c’est pourquoi nous prions, réfléchissons, nous excusons, sonnons le chofar et luttons pour nous réveiller.
Ce processus commence maintenant. Chabbat shalom !