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Chabbat Hagadol: Matsa et psychologie

A l'occasion du Chabbat HaGadol, le rabbin Josh Weiner s'interroge sur ce que représente la matsa et ce qui se cache derrière la mitsva.

Chabbat Hagadol 5783 par le rabbin Josh Weiner

Nous sommes déjà à quelques jours de Pessah, et nous pouvons faire le point sur ce qui s’est passé au cours des derniers jours. Il y a eu l’élimination active du hamets, le récit actif de la sortie d’Égypte la première nuit de Pessah, et la deuxième première nuit de Pessah, et maintenant nous entamons la période d’acceptation passive du mode de vie de Pessah – nous devons juste éviter le hamets. 

Dans quelle mesure devons-nous nous préoccuper d’une infime quantité de hamets dans notre vie ?

On raconte l’histoire de Rabbi Na’hman de Breslev qui, lorsqu’il était jeune, décida de ne pas boire l’eau du puits, parce que du pain avait pu y être tombé. Il est donc allé boire l’eau de la rivière, mais il a alors compris que des grains avaient pu tomber dans l’eau en amont. Il finit par se rendre compte que cette inquiétude n’avait pas de fin. Plus tard, il citera le verset :

וּשְׁמַרְתֶּ֤ם אֶת-חֻקֹּתַי֙ וְאֶת-מִשְׁפָּטַ֔י אֲשֶׁ֨ר יַעֲשֶׂ֥ה אֹתָ֛ם הָאָדָ֖ם וָחַ֣י בָּהֶ֑ם אֲנִ֖י ה

Vous observez donc mes lois et mes statuts, que l’on doit faire, et vivre selon eux – Je suis l’Eternel. 

Rabbi Na’hman a interprété le mot va’hai, vivre, comme une abréviation de ולא חומרות יתרות, ”pas de contraintes inutiles”. Il considère les mitsvot comme un chemin vers la vie et un reflet de la vie – et appelle les personnes qui ne respectent que les aspects extérieurs des mitsvot…. des personnes mortes.

Où se trouve donc la limite entre le fait de respecter Pessah et de vivre avec, et le fait d’avoir peur du hamets et d’accomplir tous les rituels sans aucune vitalité ?

On m’a récemment demandé si on pouvait acheter de la nourriture au supermarché pendant Pessah. Dans de nombreux cas, oui : certains aliments peuvent être achetés à Franprix ou Carrefour ou ailleurs, sans hekhsher ou tampon spécial, et être absolument cachers pour la fête. C’est particulièrement vrai pour les aliments ne contenant qu’un seul ingrédient, comme le lait, le miel, le beurre, la plupart des épices, certains yaourts nature – tant que l’on peut être certain qu’ils ont été produits avant la fête.

Mais que faire si une quantité infinitésimale de hamets s’est retrouvée mélangée à la production ?

Les rabbins du Talmud et d’après débattent pour savoir si le hamets peut être annulé dans un grand mélange d’autres aliments avant Pessah, et le Choulhan Aroukh résume la pratique comme suit :

אם נתערב החמץ קודם הפסח ונתבטל בס’ אינו חוזר וניעור בפסח לאסור במשהו ויש חולקים

Si le Hamets est mélangé avec soixante fois son volume avant Pessah, il est annulé et ne se réveille pas et ne redevient pas significatif à Pessah. Mais certains ne sont pas d’accord et disent que oui. 

Habituellement, lorsque Joseph Karo écrit de cette manière, en donnant deux opinions, il indique qu’il est d’accord avec la première et qu’il ne fait que mentionner la seconde. Donc ici, il dit que le hamets n’est pas חוזר וניעור, il ne “se réveille” pas à Pessah, il peut être considéré comme s’il n’était pas là.

Mais pour rendre les choses plus intéressantes, l’autorité achkénaze sur le Choulhan Aroukh, le Rav Moché Isserles, modifie légèrement ce point. Il dit que pour les liquides, c’est bien le cas, mais quand il y a un aliment solide, le hamets a effectivement le pouvoir de se réveiller, et une petite quantité peut invalider tout le mélange. 

Je ne veux pas entrer dans tous les détails ici, ce débat entre Karo et Isserles sur le réveil de hamets insignifiant est la raison pour laquelle il y a autant d’autorités de cacherout aujourd’hui. Mais j’aimerais examiner cette idée de réveil du hamets, et la peur de ce réveil, d’un point de vue psychologique.

Que signifie le fait qu’une difficulté que nous pensions avoir cessé de nous affecter revienne à la vie ?

Il est tentant d’y voir un exemple du fameux ”Wiederkehr des Verdrängten” de Freud, le retour du refoulé. Ce sont les traumatismes oubliés qui reviennent dans les rêves, dans la culture, dans les comportements inconscients. Parfois, le traumatisme éclate dans la violence ou dans les larmes, et parfois il peut y avoir un moyen de réveiller le traumatisme d’une manière contrôlée qui lui permet d’être traité rétroactivement.

C’est ce qui se passe dans le cadre d’une thérapie, bien sûr, mais il est également suggéré que des rituels tels que le seder de Pessah ont cette fonction. Le traumatisme de notre histoire est mis en avant – l’esclavage, le sang, l’oppression à chaque génération – mais l’histoire est racontée et jouée d’une manière qui ne nous bouleverse pas. 

Nous essayons toujours de comprendre la signification de ces symboles dans nos rituels. Que représente le hamets, que représente la matsa, etc. Cependant, le fait de considérer l’ensemble du rituel comme un moyen de traiter les traumatismes intergénérationnels pose la question d’une manière différente. La matsa et le maror ne représentent rien, dans le sens où l’objet X signifie le concept Y.

Ils re-présentent, ils présentent à nouveau quelque chose qui a été. L’expérience de notre passé ancien est à nouveau présente lorsque nous mangeons la matsa. J’ai étudié les différentes significations traditionnelles de la matsa : une représentation du sacrifice, le pain de la pauvreté, ou différents pouvoirs kabbalistiques. Mais dans le Talmud, une autre explication est donnée à ce lehem ‘oni : non pas un pain de pauvreté mais לחם שעונים עליו דברים הרבה: un repas qui nous encourage à donner de nombreuses réponses, à trouver les significations et à les projeter sur la nourriture que nous mangeons.

Autrement dit, la matsa ne signifie rien, c’est un signifiant flottant qui permet une re-présentation de ce qui doit être discuté. Le bavardage pendant le repas du seder, entre les textes récités de la haggada, c’était peut-être cela,  la partie la plus importante !

Quelles réponses la matsa nous a-t-elle encouragés à donner les jours précédents, quelles questions ont été posées et sur quoi ont porté les discussions ?

Certainement, la situation politique en Israël, les débats actuels en France, la guerre en Ukraine… si ces situations nous touchent profondément, alors on en a parlé à Pessah – nous ne pouvions pas nous empêcher de remarquer que tout, chaque objet et chaque histoire nous rappelle la situation contemporaine. Nous laissons les symboles rituels agir, afin de donner un sens à notre passé et à notre présent, afin de savoir comment aller de l’avant, vers l’avenir. 

Chabbat chalom.

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