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Béni soit tu, mon ami !

Comment bénir aujourd'hui? Reflexions à propos de la paracha Vayehi 5785

Par le rabbin Josh Weiner

La dernière section du livre de la Genèse clôt les différents cycles narratifs que nous avons explorés ces dernières semaines, et raconte la mort de Jacob, de Joseph, et implicitement celle de toute cette génération. Cependant, la force principale de cette paracha réside non dans la mort, mais dans la vie — elle s’intitule Vayehi, « et Jacob a vécu ». Un midrach nous dit que Jacob a été la première personne à tomber malade, et qu’avant lui, une fois qu’une personne avait terminé les années qui lui étaient allouées et fait tout ce qu’elle était censée faire, elle tombait tout simplement raide morte. Jacob prie cependant pour la maladie, pour avoir le temps de se séparer de sa famille et de parler avec elle. Le thème central de la paracha est donc les bénédictions que Jacob adresse à ses descendants.

Je pense que la plupart des gens aujourd’hui sont mal à l’aise avec les bénédictions, ou n’utilisent pas du tout ce langage. À la synagogue, nous disons parfois des formules comme Baroukh Ata, Béni sois-tu, Dieu — même si très peu de gens peuvent expliquer ce qu’ils entendent par ces mots. Mais il est probablement encore plus rare de trouver des gens qui disent « Laisse-moi te bénir, mon ami », ou « Je te bénis, mon fils ! ». Les vœux d’anniversaire ou de Nouvel An s’apparentent peut-être le plus aux bénédictions interpersonnelles décrites ici: il peut s’agir d’un banal « Je te souhaite plein de bonnes choses », ou « beaucoup de santé et de bonheur », ou quelque chose de plus personnel. La personne qui fait le vœu et celle qui le reçoit peuvent toutes deux sentir qu’il est authentique, et lorsqu’il l’est, il s’établit entre les deux une connexion puissante qui est rare dans la communication de tous les jours : c’est une vraie bénédiction. J’assiste parfois à des mariages où la mariée a traditionnellement le pouvoir, ce jour-là, de donner des bénédictions, et les gens font la queue pour être bénis par elle. La même chose se produit parfois à la Brit Mila lorsque le sandak, la personne qui tient le bébé, joue le même rôle, et qu’il y a une queue de personnes qui attendent d’être bénies. Même dans notre société moderne désenchantée, il semble qu’il y ait quelque chose qui réclame ces occasions.

Je veux examiner la paracha et en tirer trois leçons sur la manière dont Jacob bénit ses enfants et ses petits-enfants, et peut-être apprendre une nouvelle façon d’entrer en relation avec les gens qui nous entourent. [Je tiens à remercier le Rav Raz Hartman de m’avoir inspiré une grande partie de ces réflexions].

Si nous regardons les premiers mots de Jacob à ses enfants, après qu’il les ait rassemblés pour ses dernières bénédictions, ils semblent plutôt durs.

וַיִּקְרָ֥א יַעֲקֹ֖ב אֶל־בָּנָ֑יו וַיֹּ֗אמֶר הֵאָֽסְפוּ֙ וְאַגִּ֣ידָה לָכֶ֔ם אֵ֛ת אֲשֶׁר־יִקְרָ֥א אֶתְכֶ֖ם בְּאַחֲרִ֥ית הַיָּמִֽים׃ הִקָּבְצ֥וּ וְשִׁמְע֖וּ בְּנֵ֣י יַעֲקֹ֑ב וְשִׁמְע֖וּ אֶל־יִשְׂרָאֵ֥ל אֲבִיכֶֽם׃ רְאוּבֵן֙ בְּכֹ֣רִי אַ֔תָּה כֹּחִ֖י וְרֵאשִׁ֣ית אוֹנִ֑י יֶ֥תֶר שְׂאֵ֖ת וְיֶ֥תֶר עָֽז׃ פַּ֤חַז כַּמַּ֙יִם֙ אַל־תּוֹתַ֔ר כִּ֥י עָלִ֖יתָ מִשְׁכְּבֵ֣י אָבִ֑יךָ אָ֥ז חִלַּ֖לְתָּ יְצוּעִ֥י עָלָֽה׃ שִׁמְע֥וֹן וְלֵוִ֖י אַחִ֑ים כְּלֵ֥י חָמָ֖ס מְכֵרֹתֵיהֶֽם׃ בְּסֹדָם֙ אַל־תָּבֹ֣א נַפְשִׁ֔י בִּקְהָלָ֖ם אַל־תֵּחַ֣ד כְּבֹדִ֑י כִּ֤י בְאַפָּם֙ הָ֣רְגוּ אִ֔ישׁ וּבִרְצֹנָ֖ם עִקְּרוּ־שֽׁוֹר׃ אָר֤וּר אַפָּם֙ כִּ֣י עָ֔ז וְעֶבְרָתָ֖ם כִּ֣י קָשָׁ֑תָה אֲחַלְּקֵ֣ם בְּיַעֲקֹ֔ב וַאֲפִיצֵ֖ם בְּיִשְׂרָאֵֽל׃

Jacob fit venir ses fils et il dit: “Rassemblez-vous, je veux vous révéler ce qui vous arrivera dans la suite des jours. Pressez-vous pour écouter, enfants de Jacob, pour écouter Israël votre Père. Ruben! Tu fus mon premier-né, mon orgueil et les prémices de ma vigueur: le premier en dignité, le premier en puissance. Impétueux comme l’onde, tu as perdu ta noblesse! Car tu as attenté au lit paternel, tu as flétri l’honneur de ma couche.

Siméon et Lévi! Digne couple de frères; leurs armes sont des instruments de violence [klei hamas]. Ne t’associe point à leurs desseins, ô mon âme! Mon honneur, ne sois pas complice de leur alliance! Car, dans leur colère, ils ont immolé des hommes et pour leur passion ils ont frappé des taureaux. Maudite soit leur colère, car elle fut malfaisante et leur indignation, car elle a été funeste! Je veux les séparer dans Jacob, les disperser en Israël. [Genèse 49:1-7]

Ma première pensée est la suivante : c’est quoi cette bénédiction ? Qu’est-ce qui se passe ici ? Mais il y a ici un message puissant sur la nécessité de dire la vérité. Ruben a eu des relations sexuelles inappropriées ; Siméon et Lévi ont fait preuve d’une violence excessive, et Jacob les confronte directement. Ce n’était pas un signe de colère ou de distance : cela venait probablement d’un amour et d’une attention profonds pour ses enfants. Mais ils ont commis des actes criminels qui étaient répréhensibles et toute forme de réponse doit partir de cette reconnaissance. Dans ce cas, la bénédiction commence par le fait de voir la personne en face de soi et de répondre à ce qu’elle est réellement.

Mais cela ne s’arrête pas là, et voici la seconde leçon que nous offre Jacob. Écoutons attentivement : il y a, en réalité, une bénédiction. Tout d’abord, il les appelle « frères ». Siméon et Lévi ont un fort désir d’unité familiale [au moins entre les enfants de leur mère Léa], et il y a peut-être une valeur dans ce désir d’unité, malgré le meurtre qu’ils infligent pour venger l’honneur de leur sœur. Ils incarnent la force, le pouvoir, l’aspect divin de la Gevoura. La réponse de Jacob est אחלקם ביעקב אפיצם בישראל, « je les disperserai parmi le peuple d’Israël ». Il est vrai que ces deux tribus, Shimon et Lévi, n’auront pas vraiment leur propre territoire sur la terre d’Israël. Les Lévites ne sont pas autorisés à posséder des terres et vivent de la générosité des autres, et les Siméonites semblent finalement être absorbés par Juda. Mais une autre façon de voir cela, comme une bénédiction plutôt que comme une malédiction, consiste à dire que cette puissance que les deux représentaient n’est pas mauvaise en soi, seulement dans son excès. Être fort n’est pas mauvais, mais la violence contre des innocents l’est. Jacob les bénit, afin que tout le peuple d’Israël mérite d’avoir cette force dans une juste mesure, ni trop, ni trop peu.

Cet acte de Jacob, qui consiste à trouver une bonne qualité même chez ceux qui sont apparemment mauvais, est une autre façon d’approcher la bénédiction. Rabbi Nahman de Bratzlav [Likkutei Moharan I:282] parlait de la nécessité de toujours trouver ces petits points de bonté en chacun, peu importe qui, et même en soi-même, et d’être ainsi capable d’élever le potentiel de bonté qui existe en chacun. Voir le bien essentiel en chacun et en toute chose n’annule pas la critique de leurs mauvaises actions; cela reconnaît simplement que les deux potentiels existent, et souligne ce qui a besoin de grandir encore plus. Encore une fois, pour voir et découvrir cette essence de la personne, ce point caché de bonté, il faut vraiment bien la connaître.

Mais il y a une troisième façon de bénir, et j’aimerais contredire tout ce que je viens de dire. Lorsque Jacob demande à bénir ses deux petits-fils Ephraïm et Ménashé, il les regarde et dit מי אלה, « qui sont-ils ? ». C’est une question tellement étrange. Ne connaît-il pas les enfants de Joseph, avec lesquels il vit depuis dix-sept ans ? Les midrachim et les commentateurs disent ce qu’ils disent, et y voient surtout un reproche, juste avant la bénédiction. Mais je me demande si ce n’est pas plutôt une condition préalable à la bénédiction elle-même. Qui sont ces gens, se demande-t-il… J’ai dit qu’il fallait connaître une personne pour la bénir, mais peut-être que le fait de trop connaître quelqu’un peut en fait être un obstacle : si je pense tout savoir d’elle, quel est l’intérêt de lui souhaiter quoi que ce soit ? Il faut croire que l’autre personne n’a pas seulement le potentiel de changer, mais qu’elle est déjà une personne différente de celle qu’elle me semble être, et que je ne l’ai simplement pas encore remarquée. Mi élé? L’émerveillement, la capacité et le désir d’être surpris, l’excitation face à la possibilité de changement : ce sont probablement aussi des conditions préalables pour pouvoir bénir les autres.

Et nous revenons à notre question : faut-il et comment bénir les gens aujourd’hui ? Il est vrai que Jacob, à la fin de sa vie et inquiet de l’avenir, a concentré toutes les forces et l’inspiration qui lui restaient pour formuler ces mots, mais la façon dont il l’a fait peut servir de modèle à toutes les relations interpersonnelles dans lesquelles une personne se soucie de l’avenir d’une autre. Voir l’autre tel qu’il est, lui dire la vérité qu’il doit entendre, découvrir ce point de bonté qui est l’essence de ce qu’il est, et être ouvert à l’émerveillement et à l’étonnement — avec cela, nous pouvons essayer d’apporter l’art de la bénédiction dans notre monde aussi.

Chabbat chalom !

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