Par le rabbin Josh Weiner
Il est traditionnel d’utiliser cette dracha avant Pessah pour rappeler à tout le monde certaines des lois de la fête, et faire comprendre à chacun le sérieux des jours à venir. J’espère faire un peu de tout cela dans quelques instants, mais tout d’abord, je veux me pencher sur un sujet très important qui apparaît dans la paracha de cette semaine : la lèpre des maisons.
Cette idée, que les maisons (et les vêtements !) et pas seulement les humains peuvent souffrir de tsara’at , remet en question toute l’idée de son identification avec la lèpre, mais j’utilise quand même cette traduction pour souligner la bizarrerie de tout cela. Les maisons peuvent tomber malades – instinctivement, c’est vrai, nous sentons si une maison dans laquelle nous entrons est vivante et en bonne santé, ou si elle est malade et faible. La Torah parle de telles maisons malades, spécifiquement sur la terre d’Israël :
כִּ֤י תָבֹ֙אוּ֙ אֶל־אֶ֣רֶץ כְּנַ֔עַן אֲשֶׁ֥ר אֲנִ֛י נֹתֵ֥ן לָכֶ֖ם לַאֲחֻזָּ֑ה וְנָתַתִּי֙ נֶ֣גַע צָרַ֔עַת בְּבֵ֖ית אֶ֥רֶץ אֲחֻזַּתְכֶֽם ׃ וּבָא֙ אֲשֶׁר־ל֣וֹ הַבַּ֔יִת וְהִגִּ֥יד לַכֹּהֵ֖ן לֵאמֹ֑ר כְּנֶ֕גַע נִרְאָ֥ה לִ֖י בַּבָּֽיִת ׃ וְצִוָּ֨ה הַכֹּהֵ֜ן וּפִנּ֣וּ אֶת־הַבַּ֗יִת בְּטֶ֨רֶם יָבֹ֤א הַכֹּהֵן֙ לִרְא֣וֹת אֶת־הַנֶּ֔גַע וְלֹ֥א יִטְמָ֖א כָּל־אֲשֶׁ֣ר בַּבָּ֑יִת וְאַ֥חַר כֵּ֛ן יָבֹ֥א הַכֹּהֵ֖ן לִרְא֥וֹת אֶת־הַבָּֽיִת ׃
Lorsque vous viendrez dans le pays de Canaan, que je vous donne pour possession, et que je donne une plaie lépreuse dans la maison de votre possession ; Celui à qui est la maison viendra, et l’annoncera au cohène, en disant : comme une plaie m’est apparue dans la maison. Le cohène ordonnera qu’on vide la maison, avant que le cohène vienne pour voir la plaie, afin que tout ce qui est dans la maison ne soit impur ; ensuite le cohène viendra pour voir la maison. (Lévitique 14:34-36, trad. Samuel Cahen)
Cela a dû être choquant pour le peuple d’Israël d’apprendre qu’après avoir échappé aux plaies en Égypte, Dieu prévoit de frapper aussi de plaies leurs futures maisons au pays de Canaan. Mais il y a ici un petit détail qui est également intéressant. La personne qui vient voir le prêtre ne signale pas que sa maison souffre d’une affection[nega], mais que “comme une plaie [kenega] m’est apparue sur la maison”. Il y a un élément d’incertitude dans la description du problème. Pourquoi le propriétaire ne dit-il pas simplement que la maison a été affectée ?
Les différents commentateurs donnent environ sept ou huit réponses différentes à cette question (et c’est en soi un acte typiquement juif, écrire des centaines de pages de commentaires pour expliquer la signification d’une seule lettre dans la Torah !). Certains disent qu’il ne faut pas parler explicitement des mauvais événements qui nous arrivent. D’autres disent qu’il ne faut pas critiquer la terre d’Israël directement, mais seulement indirectement. D’autres encore soulignent que seuls les prêtres ont le droit de déclarer l’impureté, et que dire “Comme une plaie” est à la fois un signe de respect envers l’autorité du prêtre, et une description précise de la réalité, puisque jusqu’à la déclaration du prêtre, la plaie impure n’existe pas vraiment.
Rachi écrit:
כנגע נראה לי בבית. שֶׁאֲפִלּוּ הוּא חָכָם וְיוֹדֵעַ שֶׁהוּא נֶגַע וַדַּאי, לֹא יִפְסֹק דָּבָר בָּרוּר לוֹמַר “נֶגַע נִרְאָה לִי”, אֶלָּא “כְּנֶגַע נִרְאָה לִי”
Même si le propriétaire de la maison est érudit et sait avec certitude qu’il s’agit d’une plaie, ils ne trancheront pas la question avec certitude en disant : “une plaie m’est apparue”, mais “quelque chose comme une plaie m’est apparue”.
Ailleurs, ce commentaire de Rachi est lié aux paroles de Moïse lors de l’annonce de la dixième plaie – il dit (Exode 11:4) “Vers minuit [kahatsot halayla] Dieu frappera l’Égypte”. Pourquoi ne dit-il pas “à minuit”? Dieu doit être précis, non? Mais il semble que les gens ne doivent pas l’être. Le Talmud [Berakhot 4a] apprend de la façon dont Moïse s’exprime, en ajoutant de l’incertitude au timing, qu’un rabbin ou un enseignant devrait apprendre à leur langue à dire “Je ne sais pas !”’. Car qui sait quoi que ce soit ?
(Je pense à samedi soir dernier, lorsque les Israéliens ont appris que des centaines de missiles se dirigeaient vers eux depuis l’Iran. Les médias ont annoncé : “Dans environ six heures, ils arriveront”. Tout le monde était certain que quelque chose d’énorme allait se produire, mais incertain des détails : Quand atterriront-ils ? Est-ce qu’ils atterriront ? Est-ce que ce sera une tragédie ? Est-ce que notre armée s’en sortira ? Est-ce que nous avons encore des alliés dans le monde ? Et même maintenant, en essayant de comprendre la prochaine étape de cette horrible guerre, les commentateurs politiques nous inondent d’opinions alors qu’ils devraient peut-être apprendre à leur langue à dire “je ne sais pas”).
Il existe deux mitsvot liées à la libération de l’esclavage. L’une est le zekher yetsiat mitsraïm, qui consiste à se souvenir de l’exode d’Égypte, ce que l’on fait tous les jours à la fin de la récitation du Chema. L’autre est Sippour yetsiat mitsraïm, qui consiste à raconter l’histoire de la sortie d’Égypte, une fois par an, lors du seder de Pessah. L’une des différences entre le “souvenir” et le “récit” est que ce dernier nécessite un dialogue sous forme de questions et de réponses. Ceux qui chantent “Ma Nichtana” du livre comme s’il s’agissait d’une prière ou d’une berceuse n’en ont peut-être pas fait assez ; les enfants et les adultes doivent être encouragés à poser de vraies questions. Même une personne qui fait le seder seule doit se poser des questions et y répondre. Nous avons vu tout à l’heure que Rachi dit que même une personne sage doit dire “quelque chose comme une affection”, afin d’entamer un dialogue avec le prêtre. Nous retrouvons presque la même phrase dans la Haggada, qui nous dit que même les savants qui pensent tout savoir de l’histoire doivent se poser des questions et y répondre.
וַאֲפִילוּ כֻּלָּנוּ חֲכָמִים כֻּלָּנוּ נְבוֹנִים כֻּלָּנוּ זְקֵנִים כֻּלָּנוּ יוֹדְעִים אֶת הַתּוֹרָה מִצְוָה עָלֵינוּ לְסַפֵּר בִּיצִיאַת מִצְרָיִם. וְכָל הַמַּרְבֶּה לְסַפֵּר בִּיצִיאַת מִצְרַיִם הֲרֵי זֶה מְשֻׁבָּח
Et même si nous étions tous des sages, tous des discernants, tous des anciens, tous des fins connaisseurs de la Torah, ce serait un commandement sur nous de raconter l’histoire de la sortie d’Égypte. Et quiconque ajoute et passe plus de temps à raconter l’histoire de la sortie d’Égypte, il ou elle est digne d’éloges.
Un célèbre midrach, inclus dans la Haggada, parle de quatre types de personnalités, ou de quatre enfants, qui posent des questions : un enfant sage qui se concentre sur les détails, un enfant rebelle qui défie les limites de l’identité, un enfant simple qui va directement à l’essentiel, et un enfant qui ne sait pas comment poser des questions. Pour moi, cette année, le plus déroutant est le dernier. Je n’ai jamais rencontré un enfant qui ne sache pas poser de questions. Peut-être de très jeunes bébés, mais même ma fille d’un an est capable de nous interroger d’une manière ou d’une autre, et quant à mon enfant de quatre ans, une phrase sur deux commence par “Pourquoi ?” En guise de réponse, il est bon de répondre parfois “je ne sais pas”. Mais y a-t-il vraiment des gens qui ne savent pas demander quelque chose ? Il me semble beaucoup plus probable qu’il y ait des personnes qui ne savent pas écouter et qui ne permettent pas aux questions d’être exprimées.
Au cours de ces semaines précédant Pessah, j’ai reçu des dizaines de questions d’adultes et d’enfants, de juifs et de non-juifs, à Paris et dans le monde entier. Parfois, j’ai dû dire “je ne sais pas”, et parfois j’ai dû apprendre (que se passe-t-il exactement dans le cycle d’auto-nettoyage d’un robot magimix ? Comment le vinaigre blanc bio est-il produit en France, et à partir de quelle concentration devient-il immangeable ?) Parfois, j’ai essayé d’être intentionnellement imprécis dans mes réponses, sachant que les différents contextes de vie des gens nécessitaient différentes adaptations de la halakha, et confiant dans le fait que la halakha est suffisamment flexible pour être authentique dans de multiples manifestations. Mais ce que je n’ai pas si bien fait, c’est d’écouter ceux qui ne me posaient pas de questions, peut-être parce que je n’écoutais pas assez bien, peut-être parce que je n’étais pas accessible, peut-être parce que les rabbins donnent l’impression qu’il faut déjà être sage pour poser des questions honnêtes.
Je veux consacrer cette prochaine fête de Pessah à ne pas savoir plus qu’à savoir, à encourager les questions et à leur faire de la place, à écouter celui qui ne demande pas et à reconnaître l’incertitude de notre monde à ceux qui demandent. À Pessah, nous devons célébrer ce que nous avons et reconnaître tous les bienfaits dont nous avons été gratifiés : notre liberté extérieure et intérieure, notre santé, nos biens et notre sécurité. Nous savons à quel point tout cela est fragile, et c’est précisément la raison pour laquelle nous les célébrons si fort.
Chabbat chalom et hag same’ah !