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Plus de miracles!

Comment les leaders doivent-ils gagner notre confiance ?

Par le rabbin Josh Weiner

Notre paracha débute en plein cœur d’une histoire, au milieu même d’une conversation, et comme le bègue Moïse, semble commencer et s’arrêter avant de déboucher sur le récit des dix plaies qui s’écoule un peu plus naturellement. Dieu répète son nom, puis une liste abrupte des membres des tribus de Ruben, Shimon et Lévi s’interrompt soudainement. Et Moïse répète son refus d’être le messager du peuple. Il y a en fait quelque chose d’intéressant à suivre la façon dont l’acceptation de Moïse en tant que leader a été un processus graduel, et la façon dont il doit se montrer digne en tant que leader, à la fois pour le peuple d’Israël et pour lui-même. J’aimerais explorer comment cela s’est produit, comment le petit Moshé le berger est devenu Moshé Rabbeinou.

Dès sa première rencontre avec Dieu au buisson ardent, Moïse anticipe que le peuple doutera de sa légitimité comme prophète et refusera de l’accepter (Exode 4:1). La réponse de Dieu est de lui montrer un ensemble de miracles qu’il peut accomplir si l’on ne le croit pas : transformer son bâton en serpent, et créer et guérir la lèpre sur son bras. Quand il se présente au peuple pour annoncer sa mission de le libérer de l’Égypte, il accomplit les miracles et le peuple lui fait confiance — mais le fait même qu’il ait eu besoin d’accomplir ces tours de magie indique qu’il ne l’a pas cru tout de suite. Après que Pharaon a rejeté Moïse et rendu encore plus dur le travail d’esclave des Hébreux, le peuple est furieux, et lorsqu’il les aborde une seconde fois avec le discours magistral de Dieu, en utilisant les quatre langues de la rédemption – le résultat est tout simplement un échec..

וַיְדַבֵּ֥ר מֹשֶׁ֛ה כֵּ֖ן אֶל־בְּנֵ֣י יִשְׂרָאֵ֑ל וְלֹ֤א שָֽׁמְעוּ֙ אֶל־מֹשֶׁ֔ה מִקֹּ֣צֶר ר֔וּחַ וּמֵעֲבֹדָ֖ה קָשָֽׁה׃

Moïse redit ces paroles aux enfants d’Israël mais ils ne l’écoutèrent point, ayant l’esprit oppressé par une dure servitude. (Exode 6:9)

Mais alors, comment Moïse parvient-il à convaincre ces gens épuisés qu’il agit réellement pour leur bien?

Nous savons que Moïse hésite à assumer ce rôle en raison de sa difficulté à parler — je l’ai traduit tout à l’heure par un bégaiement, bien qu’on ne sache pas exactement ce que signifient “une bouche et une langue lourdes” et “des lèvres incirconcises”. Certains suggèrent qu’il s’agissait d’un problème linguistique, qu’il ne parlait pas assez bien la langue égyptienne [Hizkouni], ou qu’en fait il ne parlait pas bien l’hébreu et ne serait pas compris par les enfants d’Israël [Richard Friedman]. R. Isaac ben Judah, un rabbin du 13e siècle originaire de Sens, près de Paris, suggère que Moïse a demandé à Dieu la permission de lire son discours à Pharaon à partir d’une feuille [Paanah Raza]. Mais une autre façon de comprendre son problème de parole est que Moïse était complètement déconnecté du peuple, à un niveau spirituel totalement différent, et qu’il n’avait pas de langage ou d’expérience commune avec eux – et ce d’autant plus pour trouver un terrain d’entente avec Pharaon. Aujourd’hui, le mot ‘populisme’ a une connotation péjorative, et à juste titre, mais un leader doit être connecté pour être capable d’entendre la voix du peuple et de parler de manière à ce qu’il l’écoute. Moïse se sentait si éloigné de ses expériences en Égypte qu’il se sentait incapable de parler au cœur des Israélites ou de Pharaon.

Ainsi, la première solution consiste à s’associer à son frère Aaron, qui a toujours vécu en Égypte. La Torah, utilisant un langage très énigmatique, dit que “Moïse sera un Dieu pour Pharaon, et Aaron sera son prophète” (Exode 7:1) [La traduction araméenne de ce verset est encore plus curieuse ; elle dit “Moïse sera le rabbin/maître de Pharaon, Aaron sera son traducteur”]. Encore une fois, Moïse est puissant mais reste éloigné de son interlocuteur. Avec le temps, nous n’entendons plus parler d’Aaron comme intermédiaire, et Moïse semble trouver sa propre voix et une manière personnelle de se connecter à ceux qui l’entourent.

Peut-être que les Hébreux finissent par accepter Moïse parce qu’il accomplit des miracles et démontre son pouvoir. Mais cela ne peut pas suffire en soi. D’abord, nous avons vu que, malgré ses premiers miracles, les gens ont rapidement cessé de l’écouter. Et même les dix plaies apportées sur l’Égypte ne lui ont pas permis de se faire accepter automatiquement. Maïmonide, lorsqu’il explique comment distinguer un vrai prophète d’un imposteur, rejette explicitement les miracles et démonstrations de puissance comme critères.

כָּל נָבִיא שֶׁיַּעֲמֹד לָנוּ וְיֹאמַר שֶׁה’ שְׁלָחוֹ אֵינוֹ צָרִיךְ לַעֲשׂוֹת אוֹת כְּאֶחָד מֵאוֹתוֹת משֶׁה רַבֵּנוּ אוֹ כְּאוֹתוֹת אֵלִיָּהוּ וֶאֱלִישָׁע שֶׁיֵּשׁ בָּהֶם שִׁנּוּי מִנְהָגוֹ שֶׁל עוֹלָם. אֶלָּא הָאוֹת שֶׁלּוֹ שֶׁיֹּאמַר דְּבָרִים הָעֲתִידִים לִהְיוֹת בָּעוֹלָם וְיֵאָמְנוּ דְּבָרָיו

Tout prophète qui se présente et nous dit que Dieu l’a envoyé n’a pas à [faire ses preuves en] accomplissant des prodiges comme ceux réalisés par Moïse, notre maître, ou comme les prodiges d’Élie ou d’Élisée, qui ont modifié l’ordre naturel. Le signe de [la véracité de sa prophétie] sera plutôt l’accomplissement de sa prédiction d’événements futurs… (Fondements de la Tora 10:1).

Ne nous laissons pas tromper par des tours de magie, ni aveugler par la démonstration de puissance. L’épreuve pour un dirigeant réside dans son honnêteté, sa fiabilité et, surtout, les conséquences de ses paroles. L’honnêteté et la fiabilité sont difficiles à évaluer, et c’est pourquoi le lien entre un dirigeant et le peuple prend du temps pour mûrir, et devrait toujours être soumis à un examen. Nous avons le modèle du grand Rabbi Akiva qui considérait le combattant Bar Kohba comme le messie, et qui a ensuite simplement changé d’avis lorsqu’il n’a pas été en mesure d’être à la hauteur de ses prétentions. [MT Rois 11:3 ; Yeruchalmi Taanit 4:5]

Moïse est un homme de vérité. S’il met du temps à trouver ses mots, une fois prononcés, ceux-ci résonnent à travers les âges — jusqu’à aujourd’hui. Il tient sa promesse de libérer les esclaves hébreux, et cela ne se fait pas en détruisant l’Égypte mais surtout en les convainquant, au point qu’à la fin, les Égyptiens parlent de Dieu et que Pharaon demande à Moïse de prier pour lui. Moïse, si distant au début, finit par se mêler à leur destin, partageant leurs douleurs et leurs espoirs. Lorsqu’ils se plaignent, il est blessé, mais comme un parent, il ne refuse pas d’assumer ses responsabilités envers eux. Il les critiquera parce qu’il se soucie d’eux, et les défendra contre les critiques de Dieu, allant même jusqu’à mettre sa vie en jeu. Au moment où ils quittent l’Égypte, le leadership de Moïse est devenu évident, non pas parce qu’il s’impose au peuple, mais parce qu’il a gagné sa confiance.

Je pense parfois que l’un des plus grands bienfaits des États laïques modernes est l’absence de pouvoir coercitif chez les rabbins. Il existe différents styles de rabbins, certains sont des enseignants et d’autres des politiciens, certains sont des managers et d’autres des gourous, certains font des miracles et d’autres savent écouter. Baroukh hachém, aucun d’entre eux n’est une obligation, le rabbin n’a pas le pouvoir d’imposer son message. Un rabbin peut dire ce qu’il veut, mais c’est la communauté et chaque individu qui décident de les écouter ou non.

Comme pour Moïse, leur leadership est un acte d’acceptation basé sur leur honnêteté, leur fiabilité, et sur les conséquences de leurs paroles, et reste toujours sujet à examen. À mon avis, cela a renforcé la position du rabbin aujourd’hui. [Si vous me le permettez, j’ai l’impression d’avoir également vu cela dans notre communauté récemment. La collecte de dons pour la synagogue a été exceptionnellement généreuse. Les personnes qui pouvaient donner dix ou vingt euros l’ont fait, et d’autres ont pu donner plusieurs milliers ; tous ceux qui ont donné l’ont fait parce qu’ils croient au projet de cette communauté. D’autres ont donné de leur temps ou de leurs compétences. Rien de cela n’est évident, et en plus des remerciements que vous méritez tous, cela fait peser sur moi et sur les dirigeants de la communauté une responsabilité accrue, celle d’être à la hauteur des rôles que nous avons pris sur nous-mêmes].

À l’intérieur et à l’extérieur de la synagogue, puissions-nous toujours choisir des dirigeants dignes de nos attentes et inspirés par la vérité. Et puissions-nous, nous-mêmes, mériter ces dirigeants.

Chabbat chalom !

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