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Tout ira toujours bien?

Responsabilité personnelle lorsque tout a été décidé pour moi

Par le rabbin Josh Weiner

Je suis bien conscient que nous traversons une période critique en ce moment, et que le sentiment principal est probablement l’incertitude. La semaine prochaine, le cessez-le-feu à Gaza est censé entrer en vigueur et, en théorie, les premiers otages devraient être libérées. Après tant de morts, de frustrations et de désespoir, il est difficile de prévoir ce qui se passera réellement et comment les événements évolueront. Be’ezrat hachem, j’espère que tout se passera pour le mieux et que nous pourrons tous tourner la page comme nous le méritons.

Pour l’instant, je préfère ne pas m’aventurer dans des interprétations politiques et choisir de me recentrer sur mon refuge habituel : le texte de la Torah. Et comme toujours, comme la Torah est le miroir de celui qui la lit, alors si elle reflète quelque chose de ce que nous vivons, tant mieux !

Mais avant même la Torah, j’ai envie d’explorer un autre texte. Ces dernières semaines, mon fils revient de l’école en chantant une chanson israélienne populaire intitulée Tamid Ohev Oti [à l’origine de Yair Elitzur avec de multiples reprises]. Les paroles sont très simples :

וה’ יתברך תמיד אוהב אותי ותמיד יהיה לי רק טוב ויהיה לי עוד יותר טוב ועוד יותר טוב ועוד יותר טוב ועוד יותר טוב ועוד יותר טוב ועוד יותר טוב ותמיד יהיה לי רק טוב

Mon Dieu m’aime toujours et tout ira toujours de mieux en mieux et de mieux en mieux, tout ira toujours bien.

Il se peut que cette chanson ne décrive pas votre expérience du monde en ce moment…. Pendant que mon fils chante le refrain, j’essaie de penser à ce qui manque ici: elle ignore la question du mal et néglige toute responsabilité pour les situations où nous nous trouvons. Instinctivement, je pense que nous pouvons comprendre pourquoi cette chanson est si populaire en Israël en ce moment, et quels sont les besoins qu’elle satisfait. Pourtant, la théologie est troublante et touche à une autre vieille question : si Dieu décide de tout, et que tout sera bon (ou mauvais) selon la volonté de Dieu, que sommes-nous censés faire ? Attendre et regarder ?

La paracha de cette semaine raconte le début de l’esclavage de notre peuple en Égypte. Mais en fait, ce n’est pas la première fois que nous entendons parler de l’esclavage. En fait, tout est prévu dans une promesse faite à Abraham au début de la Genèse :

וַיֹּ֣אמֶר לְאַבְרָ֗ם יָדֹ֨עַ תֵּדַ֜ע כִּי־גֵ֣ר ׀ יִהְיֶ֣ה זַרְעֲךָ֗ בְּאֶ֙רֶץ֙ לֹ֣א לָהֶ֔ם וַעֲבָד֖וּם וְעִנּ֣וּ אֹתָ֑ם אַרְבַּ֥ע מֵא֖וֹת שָׁנָֽה׃ וְגַ֧ם אֶת־הַגּ֛וֹי אֲשֶׁ֥ר יַעֲבֹ֖דוּ דָּ֣ן אָנֹ֑כִי וְאַחֲרֵי־כֵ֥ן יֵצְא֖וּ בִּרְכֻ֥שׁ גָּדֽוֹל׃ וְאַתָּ֛ה תָּב֥וֹא אֶל־אֲבֹתֶ֖יךָ בְּשָׁל֑וֹם תִּקָּבֵ֖ר בְּשֵׂיבָ֥ה טוֹבָֽה׃ וְד֥וֹר רְבִיעִ֖י יָשׁ֣וּבוּ הֵ֑נָּה כִּ֧י לֹא־שָׁלֵ֛ם עֲוֺ֥ן הָאֱמֹרִ֖י עַד־הֵֽנָּה׃

Dieu dit à Abram: “Sache-le bien, ta postérité séjournera sur une terre étrangère, où elle sera asservie et opprimée, durant quatre cents ans. Mais, à son tour, la nation qu’ils serviront sera jugée par moi; et alors ils la quitteront avec de grandes richesses… et la quatrième génération reviendra ici” (Genesis 15:13-16)

Ainsi, 400 ans d’oppression étaient prédéterminés. Nous ne savons pas si Abraham a transmis cette information de génération en génération, mais s’il l’a fait, imaginez que vous viviez votre vie en tant qu’esclave en sachant absolument que vous ne connaitriez jamais la liberté de votre vivant. Comme on le sait, les chiffres de la prophétie ne fonctionnent pas vraiment, et il devient difficile de comprendre comment quatre générations correspondent à quatre siècles. Pour rendre les choses encore plus difficiles, lorsqu’ils quittent l’Égypte, il est écrit qu’ils ont été esclaves pendant 430 ans, alors que les traditions orales évoquent 210 ans en Égypte.

Je n’entrerai pas ici dans tous les calculs, car aucun n’est convaincant. Mais deux conséquences de cette situation m’intéressent. Tout d’abord, même le calcul le plus court de 210 ans a commencé avec la venue de Jacob en Égypte, et les 400 ans ont commencé avec la naissance d’Isaac. Si nous réfléchissons à ce que cela impliquait, le début de cette période a en fait été une très bonne période pour la famille : ils étaient enfin réunis, sauvés d’une famine, on leur a donné les meilleures terres d’Égypte et ils ont réussi à passer de soixante-dix individus à une population de centaines de milliers de personnes. Ils réalisaient la prophétie d’être “des étrangers dans un pays qui n’est pas le leur“, mais il semble qu’il soit possible de penser que l’on mène une bonne vie et d’ignorer que la réalité devient beaucoup plus sombre qu’on ne le pense — comme à la fin de l’été, avec des journées chaudes mais des nuits de plus en plus longues. Dans ce scénario, ils n’ont connu “que” 87 ans d’esclavage proprement dit [cf. Seder Olam Rabba 3].

Cela ne correspond toujours pas au simple sens des versets. La prophétie ne disait-elle pas qu’ils seraient non seulement des étrangers, mais aussi “asservis et opprimés pendant quatre cents ans” ? Comment se fait-il que cela ne se produise pas ? L’une des solutions les plus radicales à ces contradictions implique que Dieu change d’avis. Selon cette lecture, lorsque la promesse initiale a été faite, ils étaient vraiment destinés à être esclaves pendant 400 ans. À un moment donné au cours de l’esclavage, leurs souffrances ont été trop lourdes à porter pour Dieu – c’est ainsi que cela se présente dans les versets :

וַיְהִי֩ בַיָּמִ֨ים הָֽרַבִּ֜ים הָהֵ֗ם וַיָּ֙מׇת֙ מֶ֣לֶךְ מִצְרַ֔יִם וַיֵּאָנְח֧וּ בְנֵֽי־יִשְׂרָאֵ֛ל מִן־הָעֲבֹדָ֖ה וַיִּזְעָ֑קוּ וַתַּ֧עַל שַׁוְעָתָ֛ם אֶל־הָאֱ-לֹהִ֖ים מִן־הָעֲבֹדָֽה׃ וַיִּשְׁמַ֥ע אֱלֹהִ֖ים אֶת־נַאֲקָתָ֑ם וַיִּזְכֹּ֤ר אֱ-לֹהִים֙ אֶת־בְּרִית֔וֹ אֶת־אַבְרָהָ֖ם אֶת־יִצְחָ֥ק וְאֶֽת־יַעֲקֹֽב׃

Les enfants d’Israël gémirent du sein de l’esclavage et se lamentèrent; leur plainte monta vers Dieu du sein de l’esclavage. L’Eternel entendit leurs soupirs et il se ressouvint de son alliance avec Abraham, avec Isaac, avec Jacob. (Exodus 2:23-24)

À ce stade, Dieu sait que, quelle que soit la raison de la présence en Égypte, le processus de rédemption ne peut plus attendre. Ainsi, les 400 ans ont été rétroactivement définis comme commençant avec la naissance d’Isaac. Moïse est alors chargé de sa mission sans attendre. Quelques midrachim indiquent que quelque chose comme cela se produit (Mekhilta Pesikta d’Rav Kahana), et l’implication est que même si le monde semble déterministe, nos actions ont de l’importance. Nous ne pouvons pas changer ce qui a été dit et fait dans le passé, mais nous pouvons changer la façon dont cela est interprété dans le présent.

Ce qui m’attire dans cette lecture, dans laquelle le monde a des règles générales prédéterminées mais que les détails sont malléables, c’est que la responsabilité personnelle revient. On ne peut pas se contenter de dire que tout sera bien ou tout sera mal, il faut faire avec la réalité qui nous a été donnée. Cela explique aussi pourquoi Pharaon est puni, bien que la prophétie ait prévu que l’Égypte asservirait les Israélites. Même si tout était prévu, Pharaon avait encore le choix sur les détails, et aurait pu choisir autrement. Il a fait le choix de tuer les enfants mâles, il a fait le choix d’appliquer l’esclavage avec brutalité, et c’est pour ces choix qu’il a finalement été tenu pour responsable. Moïse nous donne l’exemple inverse, lorsqu’il voit un Égyptien battre un esclave hébreu, il “regarde par ici et par là” pour voir si quelqu’un d’autre pourrait mettre fin à cette injustice, et une fois qu’il se rend compte qu’il est le seul capable de changer la situation, il passe à l’action.

[Selon une tradition midrachique, la plupart des enfants d’Israël ne sont pas partis, et ont été laissés en arrière ou sont morts avant la libération. Seul un sur cinq (ou un sur cinquante, ou un sur cinq cents) a réellement réussi à partir. C’est une perspective énormément déprimante, mais là encore, la libération de l’esclavage avait lieu, mais la libération de chaque individu en particulier était laissée dans le doute].

L’Exode d’Égypte est important dans la tradition juive parce qu’il sert de modèle pour les rédemptions futures. Et il est vrai qu’en général, nous croyons aux paroles de cette chanson : tout ne sera que bien, et ira de mieux en mieux. C’est à long terme, j’en suis sûr, mais cela ne promet rien en ce qui concerne ma vie ici et maintenant, et cela ne m’exonère pas de la responsabilité de rendre moi-même le monde qui m’entoure de mieux en mieux.

Chabbat shalom !

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