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“La clé universelle, c’est un coeur brisé”

Discours de Roch HaChana 5785 de notre présidente

Par Aline Benain

וּבַחֹדֶשׁ הַשְּׁבִיעִי בְּאֶחָד לַחֹדֶשׁ מִקְרָא־קֹדֶשׁ יִהְיֶה לָכֶם כָּל־מְלֶאכֶת עֲבֹדָה לֹא תַעֲשׂוּ יוֹם תְּרוּעָה יִהְיֶה לָכֶם
« Au septième mois, le premier jour du mois, il y aura pour vous une convocation sainte: vous ne ferez aucune œuvre servile. Ce sera pour vous le jour de la sonnerie [du chofar]» (Bamidbar, XXIX, 1).


Nous y sommes. Au terme d’une année terrible. A l’orée d’une autre pour le moins incertaine.
Le midrach entend les pleurs de Sarah dans les sons modulés du Chofar :
« Lorsque Abraham revint du Mont Moria, l’ange Samaël se mit en colère (…) Il alla et dit à Sarah (…) « Ton vieux mari a pris le jeune Isaac et l’a sacrifié comme holocauste » (…) Elle pleura trois pleurs [qui correspondent aux] trois sons longs du chofar et trois cris [qui correspondent aux] trois sons courts du chofar et son âme s’envola et elle mourut. » (Pirkei de Rabbi Eliezer, chapitre 32)
Dans un très beau livre, Rue Ordener, rue Labat, qui vient d’être réédité, Sarah Kofman, philosophe et psychanalyste dont l’enfance fut dévastée par la déportation de son père, le rabbin Berek Kofman, et une expérience terrible d’enfant cachée, rapporte un souvenir dont l’écho, précisément, résonne jusqu’à nous :
« Le jour de Roschachana (…) nous écoutions mon père souffler dans le shoffar (…) Il s’exerçait à la maison et je le voyais prendre et remettre le shoffar dans le tiroir d’une armoire où il était rangé à coté de son talès, de ses tvilim et du rasoir avec lequel il égorgeait les poulets selon le rite. Tous les vendredis soir, des femmes attendaient dans notre entrée, leurs filets emplis d’un ou deux poulets. Je jouais à la balle contre le mur et observais attentivement les allées et venues de mon père des cabinets à la salle d’attente. Tout cela était plein de mystère et m’emplissait de frayeur. J’associais le rasoir du shoreth au couteau d’Abraham et les sons gutturaux du shoffar aux cris des poulets égorgés. » (1)


Comment pourrions-nous, cette année, ne pas entendre dans les sons du Chofar le fracas terrible du 7 octobre, les cris, les pleurs, la douleur et comment, tout autant, ne pas y enfermer notre écoute ?
Du Talmud à l’époque contemporaine en passant par Saadia Gaon (9e siècle) et la tradition hassidique, il existe une vaste littérature qui cherche à préciser ce que signifient les sonneries du chofar, la manière dont il convient de se préparer à les entendre et la façon de les recevoir, comme individu, Communauté et Peuple.


On raconte ainsi qu’une veille de Roch haChana, le Baal Chem Tov demanda à l’un de ses disciples, auquel il voulait confier cette année-là l’honneur de sonner le Chofar, d’étudier toutes les kavanot, les intentions à mobiliser, pour réaliser cette mitsvah. Le disciple s’exécutât avec zèle et pour être vraiment certain de n’en oublier aucune, il en écrivit la liste sur une feuille de papier… qu’il perdit cependant. En proie à la panique, incapable de se souvenir de toutes les kavanot, il sonna du chofar en pleurant.
Après les sonneries, le Baal Chem Tov se rapprocha de son malheureux disciple et le consola par ses mots: « Le palais du Roi est vaste, les pièces en sont innombrables et chacune d’entre elles possède sa clef. Pourtant il existe un passe-partout qui les ouvre toutes. Chaque kavana, chaque intention, est une clef mais la clef universelle, c’est un cœur brisé. »


Je ne suis pas certaine que nous disposions d’une telle clef universelle mais ce dont je ne doute pas un instant, c’est que cette année, chacun à sa manière, nos cœurs soient brisés.
Un cœur brisé pourtant, ce n’est pas seulement un cœur triste, enseigne Rabbi Nahman de Braslav. C’est un cœur capable de ressentir à la fois l’immensité du désespoir et la persistance ténue mais têtue d’une lumière.


« Chaque année, à Roch haChana, une lumière nouvelle descend dans le monde tandis que celle de l’année qui s’achève remonte vers sa source. Quand l’une et l’autre se croisent, il est un instant d’incertitude ou le devenir du monde dépend de nos prières et des sons du chofar. »

Nous comprenons peut-être mieux sans doute, plus vivement certainement, cette année, ce bel enseignement du rabbin Chnéour Zalman de Lyadi. Le devenir du monde dépend de notre volonté à faire vivre la lumière malgré tout. Il dépend, pour le dire autrement, de notre capacité à investir dans toute la plénitude de ses multiples significations, l’impératif majeur que nous rappelait la Torah Chabbat dernier : « Oubaharta bahaïm », « Choisis la vie ! » (Devarim, XXX, 19). C’est toujours difficile, pour chacun et pour tous. Cette année plus encore. Pourtant, c’est notre force, fragile et indestructible à travers les tragédies de l’Histoire.


Dans le Traité Roch haChana, nos Maîtres ont une très longue discussion sur ce qui peut invalider l’usage d’un Chofar :
« Un chofar qui s’est fendu et dont on a assemblé les deux moitiés est invalide. Si on a assemblé les morceaux de plusieurs chofar pour n’en faire qu’un, ce chofar est invalide. Si le chofar s’est troué et qu’on a bouché le trou, la loi est, si cela gêne la sonnerie, le chofar est invalide et sinon, il est valide. » (2)


La sonnerie d’un chofar ainsi réparé sera sans doute singulière, déchirée, mais autorisée.

Allons plus loin, ne s’agirait-il pas ici d’« émanciper la dissonance » ? (3) La fêlure de l’instrument peut aussi faire la valeur du son qu’il émet.

Dans l’une de ses plus belles chansons, Anthem, Rabbi Léonard Cohen commente ainsi :

« There is a crack, a crack in everything
That’s how the light gets in. »
« Il y a une fissure, une fissure en toute chose,
C’est ainsi qu’entre la lumière. »

Puissions-nous en 5785 être toujours capables de faire vivre la Lumière depuis nos cœurs brisés. Que cette Lumière apaise autant qu’il est possible nos sœurs et nos frères d’Israël, qu’elle arrive enfin jusqu’à celles et ceux qui restent captifs et qu’elle éclaire, parce que c’est bien là, ne l’oublions jamais, notre vocation, le monde entier.

Chana Tova.
Aline Benain.

Notes:

(1)Sarah KOFMAN, Rue Ordener, rue Labat, Lagrasse, 2024, p.22, éditions Verdier.

(2) Traité Roch haChana, 27a-27b.

(3) L’expression est d’Arnold Schönberg.

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