Par le rabbin Josh Weiner
Nous sommes dans une période un peu étrange de l’année. Nous sommes aujourd’hui le quinze d’Adar. Dans une année normale, hier aurait été Pourim à Paris et les célébrations à Jérusalem auraient couvert tout ce week-end et se seraient poursuivies jusqu’à demain.
Mais cette année est une année bissextile, et nous avons deux mois d’Adar. Il y a un débat dans le Talmud pour savoir lequel des deux Adar est le vrai. Ils arrivent à la conclusion que Pourim devrait se dérouler dans le deuxième mois d’Adar, afin de lier l’histoire de la délivrance de Pourim à l’histoire de la délivrance de Pessah. Le débat se poursuit tout au long des générations suivantes – les séfarades considèrent que le deuxième Adar est toujours le plus important, de sorte que les anniversaires de décès ont lieu à ce moment-là ; les ashkénazes considèrent que Pourim est exceptionnel, mais qu’en réalité, le vrai Adar est le premier.
Quoi qu’il en soit, nous avons aujourd’hui un écho de Pourim, Pourim Katan, le petit Pourim – et la tradition veut que nous le célébrions en ayant un peu plus de joie et un peu plus de nourriture que d’habitude. C’est comme si Pourim existait, mais qu’il était dissimulé par la nécessité technique de repousser Pessah au printemps. C’est cette dissimulation que nous célébrons néanmoins à Pourim Katan.
Si l’on considère la paracha de cette semaine, l’une des choses les plus étranges est le contexte. Mais pour le comprendre, nous devons nous souvenir d’il y a deux semaines, du dernier verset de Parashat Michpatim :
וַיָּבֹ֥א מֹשֶׁ֛ה בְּת֥וֹךְ הֶעָנָ֖ן וַיַּ֣עַל אֶל-הָהָ֑ר וַיְהִ֤י מֹשֶׁה֙ בָּהָ֔ר אַרְבָּעִ֣ים י֔וֹם וְאַרְבָּעִ֖ים לָֽיְלָה׃
Moïse pénétra au milieu du nuage et s’éleva sur la montagne ; et il resta sur cette montagne quarante jours et quarante nuits. (Exode 24:18)
On suppose qu’au cours de ces quarante jours, Moïse reçoit la Torah entière, quelle que soit la forme qu’elle avait pour lui – ce ne peut pas être exactement la Torah que nous avons aujourd’hui. Mais quelque chose de complet lui est révélé, qu’il est ensuite en mesure d’apporter au peuple d’Israël. Cependant, le peuple lui-même n’y a pas directement accès, Moïse étant caché par un nuage. C’est cette frustration de ne pas voir et de ne pas comprendre qui conduira plus tard au péché du Veau d’or.
Or, immédiatement après cette introduction des quarante jours dans la nuée, nous avons soudain sept chapitres qui parlent de la construction du Tabernacle, des vêtements des prêtres et des autels. Il ne faut pas quarante jours pour entendre ces sept chapitres : il se passe quelque chose qu’on ne nous montre pas. Si Moïse a appris toute la Torah, dans les nuages au sommet du mont Sinaï, pourquoi ces détails sont-ils ceux qui nous sont révélés ?
Cela semble être le sentiment tout au long de la Torah : chaque fois que quelque chose nous est révélé, il s’avère qu’il cache autre chose. Chaque fois que quelque chose est caché, nous le découvrons malgré tout. Encore une fois, on nous rappelle Pourim, les costumes, les masques et l’ivresse qui viennent recouvrir notre vrai moi, et qui très souvent révèlent notre vrai moi.
En fait, Moïse lui-même est révélé et dissimulé dans la paracha de cette semaine. C’est la seule paracha depuis sa naissance et jusqu’à sa mort où Moïse n’est pas mentionné par son nom. Il est effacé de la paracha, selon les rabbins, comme une punition pour la façon dont il s’est disputé avec Dieu. Mais en même temps, il est la personne la plus présente dans la paracha. On ne le nomme pas comme Moïse, certes, mais il reçoit un nom plus intime : Ata, Toi. Dans l’effacement de son nom, il se rapproche en fait.
Cette idée revient dans la paracha, dans la longue description des vêtements du grand prêtre. Les vêtements existent, en théorie, pour cacher quelque chose, mais aussi pour révéler quelque chose. Chaque détail des vêtements des prêtres semble avoir une valeur symbolique, parfois ouverte à l’interprétation, et parfois très explicite.
À trois endroits, le grand prêtre a des mots écrits sur ses vêtements : sur le Hoshen Hamishpat, le pectoral, sont inscrits les noms des tribus d’Israël (ainsi que les noms d’Abraham Isaac et Jacob, selon le Talmud) ; sur les épaulettes, là encore, sont inscrits les noms des douze tribus ; enfin, sur le front du prêtre se trouve une petite plaque d’or avec les mots Kodech Ladonaï, “Consacré pour Dieu”. Tous ceux qui le verraient et liraient les mots rencontreraient un symbole du peuple d’Israël, et la personne réelle serait cachée par tous ces mots lourds. Les vêtements révèlent et cachent.
Noé, dans ta dracha de jeudi, tu as donné une interprétation de ces vêtements. Tu as parlé de ton propre système symbolique de vêtements : le tallit et les tefillin et la kippa, et surtout le collier militaire que tu portes, sur lequel est inscrit un appel à libérer les otages enlevés par le Hamas le 7 octobre. C’est un poids énorme que tu portes, comme le grand prêtre, le poids de tout le peuple d’Israël. C’est l’importance de la bar mitsva, en fait, l’acceptation du joug de l’histoire, être prêt à porter le poids de tout le peuple juif, et de son histoire, et de son avenir. À qui sert ce collier ? Est-ce pour le montrer aux autres ou pour te montrer à toi-même ? Nous pouvons appliquer la question au grand prêtre aussi, bien sûr – ces noms sont-ils là pour les autres ou pour se rappeler son rôle ?
Jusqu’à présent, nous avons Moïse dissimulé sur la montagne, son nom dissimulé, recevant une Torah dissimulée qui nous révèle partiellement une description du Tabernacle, qui lui-même reste un mystère. Mais le personnage le plus dissimulé est, et a toujours été, le personnage principal : Dieu.
Bien sûr, Dieu est mentionné des centaines de fois dans ces chapitres. Mais toute la construction de ce tabernacle, et les autels et les sacrifices, tout ce système que nous pourrions appeler “religion” – tout ce discours sur Dieu est parfois une distraction du sentiment de l’absence de Dieu. Encore une fois, en pensant à ton collier, Noé, nous regardons le monde qui nous entoure aujourd’hui, et nous n’avons aucune idée de ce qui se passe. Il est clair que quelque chose d’énorme est en train de se produire ; mais pour comprendre pourquoi, ou dans quelle direction nous nous dirigeons – nous n’en avons aucune idée. Nous vivons dans un monde de hester panim, le visage caché de Dieu. Ou, pour le dire dans un langage moins mystique, nous ne savons pas toujours ce que nous devrions faire, quel est notre rôle dans le monde. Quelle est notre responsabilité aujourd’hui, en 2024, à l’égard du monde, de nos familles ? Devons-nous nous exprimer ou nous taire ? Devons-nous avoir des débats internes ou renforcer notre unité ? Qu’est-ce que Dieu attend de nous à ce moment précis ? Nous regardons la Torah pour y voir plus clair – mais le tabernacle, la Torah, la synagogue, la religion, les prières et les textes sacrés : tout cela ressemble à des vêtements ou à des masques qui cachent le visage de Dieu autant qu’ils font allusion à sa révélation.
La réalité frustrante de Hester Panim n’est pas nouvelle. Le modèle de réponse à cette réalité vient à nouveau de Pourim, qui est la fête de l’absence de vérité, de clarté et de Dieu. Hester est Esther, c’est une blague talmudique, mais la réponse d’Esther à l’absence de certitude était en fait simplement de continuer dans le monde sans être certaine. Non pas de se perdre dans le doute, mais de faire confiance à l’avenir sans rien savoir avec certitude. Nous pouvons accepter les masques et les costumes qui cachent et révèlent, et n’avons pas besoin d’en avoir peur. À Pourim, nous atteignons l’état d’ ad d’lo yada, ne sachant pas qui est vraiment juste et qui est méchant, et malgré cela, nous célébrons. Ce week-end de Pourim Katan, petit Pourim, puissions-nous aussi avoir un écho de cette conscience.
Chabbat chalom.