Par le rabbin Josh Weiner
En tant que lecteurs de n’importe quelle histoire, et surtout en tant que lecteurs juifs de la Torah, nous sommes capables de voir l’histoire de Joseph de l’extérieur, nous connaissons toute l’histoire et savons même comment l’histoire se termine chaque année ; mais nous sommes aussi capables d’entrer dans l’esprit de chacun des personnages, et de nous limiter à une perspective à la fois, afin de mieux comprendre chacun des personnages.
C’est là le cœur de chaque dracha publique et de chaque midrach ancien, qui utilise des techniques littéraires mélangées à l’imagination mélangée à l’inspiration afin de combler les lacunes du texte de la Torah, et de lui faire dire plus que ce qu’il dit déjà. Mais j’aimerais poser une question que nous ne posons pas toujours : qui ça intéresse ? Qu’importe ce que Jacob et Joseph ont fait et pensé ? Pourquoi passons-nous notre précieux temps, un samedi matin, à réfléchir à ces questions ?
Vous savez que je vais répondre par quelque chose de positif et de pieux à la fin – ou peut-être que vous n’êtes pas sûr – mais j’aimerais explorer un peu plus cette méta-question de savoir pourquoi nous nous soucions tant de la paracha.
Il existe un genre de commentaires sur la Torah basé sur l’hypothèse que tout ce qui est arrivé à nos ancêtres est un paradigme pour les générations futures. La phrase clé de la littérature juive postérieure est ma’asé avot siman labanim, les actions des pères sont des signes pour leurs fils.
Il y a deux façons de comprendre cela. L’une est déterministe : tout ce qui se passe dans les générations précédentes va se reproduire dans les générations suivantes – pour utiliser un cliché, l’histoire se répète. L’autre est normative : les comportements des générations précédentes sont des exemples de ce que les générations futures doivent faire ; encore un cliché : ceux qui ne tirent pas les leçons de l’histoire sont condamnés à la répéter.
Un exemple du modèle déterministe : Joseph vendu comme esclave en Égypte devient le modèle de tout le peuple d’Israël devenu esclave en Égypte, ainsi que des futurs exilés. Rivon a parlé la semaine dernière de la préparation de Jacob à la rencontre de son frère Esav, et de la façon dont il se prépare parallèlement à la guerre, à la paix et à la prière. L’idée implicite est qu’il s’agit d’un modèle éternel, d’un bon modèle, sur la façon d’agir lorsqu’on rencontre un ennemi potentiel, que l’individu (Jacob) qui a été appelé Israël est un modèle pour le peuple d’Israël et peut-être pour l’État d’Israël. C’est le modèle normatif, et ce serait une bonne raison d’étudier ces textes, de vraiment travailler dur pour les comprendre : ils pourraient nous apprendre à vivre dans ce monde si compliqué.
J’ai parlé à mon ami Yuval cette semaine. Yuval et moi sommes amis depuis notre adolescence, et nous avons fait notre service militaire ensemble. En plus d’être un éducateur passionné et un historien sérieux, Yuval a gravi les échelons de notre unité militaire, tandis que ma vie m’emmenait… là où elle m’emmenait. Nous avons parlé un peu récemment de la ‘situation’ et de ce à quoi elle mène, et il m’a dit: “Josh, l’histoire, c’est comme le Talmud. Tu peux trouver tout ce que tu veux dedans.”
Il y a des précédents historiques pour n’importe quelle position politique que nous avons, et si nous ne sommes pas d’accord avec quelqu’un, nous pouvons trouver facilement un précédent historique pour montrer qu’il a tort. À première vue, c’est le contraire de ma’aseh avot siman labanim – parfois le principe fonctionne et parfois il ne fonctionne pas, ce qui revient à dire que l’histoire est aléatoire, et que nous sommes laissés à nous-mêmes pour deviner le mieux possible.
Ou peut-être que Yuval a raison de dire que l’histoire est comme le Talmud, et bien qu’il soit riche, bordélique et compliqué, on sait que certains arguments talmudiques sont mieux construits, plus inspirés et plus légitimes que d’autres. Il y a de la valeur à regarder en arrière et en avant dans l’histoire, mais ce n’est simplement pas aussi facile que de partager une opinion simpliste sur les réseaux sociaux.
Nous sommes actuellement dans la semaine de Hanoucca, et la question qui revient chaque année est de savoir ce que nous célébrons exactement. S’agit-il de la victoire culturelle sur la culture hellénistique? Si c’est le cas, cela n’a pas duré très longtemps, les Hasmonéens sont devenus hellénistes quelques générations après la victoire des Maccabées, et une grande partie de l’art et de la philosophie que nous apprécions aujourd’hui est influencée par la culture grecque. S’agit-il de la victoire militaire d’un petit nombre contre un grand nombre ? Ou bien le miracle de l’huile qui a duré huit jours ? Et même si, instinctivement, le peuple juif aime Hanoucca et a transformé cette fête mineure en une célébration majeure, nous avons du mal à mettre des mots sur la raison pour laquelle elle est toujours d’actualité.
Dans les bénédictions qui suivent l’allumage des bougies, il y a un texte que nous lisons et qui explique une version très brève de l’histoire de Hanoucca. La version que nous utilisons aujourd’hui est la suivante :
הַנֵּרוֹת הַלָּלוּ שֶׁאָנוּ מַדְלִיקִין, עַל הַנִּסִּים וְעַל הַנִּפְלָאוֹת הַתְּשׁוּעוֹת וְעַל הַמִּלְחָמוֹת, שֶׁעָשִׂיתָ לַאֲבוֹתֵינוּ בַּיָּמִים הָהֵם בַּזְּמַן הַזֶּה, עַל יְדֵי כֹּהֲנֶיךָ הַקְּדוֹשִׁים. וְכָל שְׁמוֹנַת יְמֵי הַחֲנֻכָּה הַנֵּרוֹת הַלָּלוּ קֹדֶשׁ הֵם וְאֵין לָנוּ רְשׁוּת לְהִשְׁתַּמֵּשׁ בָּהֶם, אֶלָּא לִרְאוֹתָם בִּלְבָד, כְּדֵי לְהוֹדוֹת וּלְהַלֵּל לְשִׁמְךָ הַגָּדוֹל עַל נִסֶּיךָ וְעַל נִפְלְאוֹתֶיךָ יְשׁוּעָתֶךָ
Nous allumons ces lumières pour commémorer les miracles, les prodiges et le salut que Tu as accomplis pour nos ancêtres, en ces jours, à ce temps, par l’intermédiaire de Tes saints Cohanim. Tout au long des huit jours de Hanoucca, ces lumières sont sacrées, et nous n’avons pas le droit d’en faire usage, mais seulement de les regarder, afin d’offrir des remerciements et des louanges à Ton grand Nom pour Tes miracles, pour Tes prodiges et pour Tes sauvetages.
Mais il est intéressant de noter que les versions plus anciennes de ce texte comportent une lettre supplémentaire : elles ne disent pas בַּיָּמִים הָהֵם בַּזְּמַן הַזֶּה, en ces jours à ce temps [de l’année], mais בַּיָּמִים הָהֵם וּבזְּמַן הַזֶּה , en ces jours-là et en ces temps-ci [c’est-à-dire, aujourd’hui]. (Levuush OH 672:2)
Quelle est la différence entre ces deux formulations ?
L’une dit que cette période de l’année est tournée vers le passé, vers les miracles qui se sont produits à l’époque; l’autre dit que les miracles qui se sont produits dans le passé se produisent aussi aujourd’hui. En des temps plus heureux, je pense que je dirais que nous devrions replacer la lettre vav dans nos bénédictions, et nous rappeler que les miracles se produisent tous les jours et pas seulement dans le passé. Je crois toujours cela maintenant, que l’existence du monde est un miracle, que se réveiller chaque matin est autant un miracle que huit jours de lumière provenant d’une petite fiole.
Mais j’essaie aussi maintenant de comprendre pourquoi l’histoire juive a finalement rejeté ce vav, et mis l’accent de Hanoucca sur le miracle du passé et non du présent. Cela nous rend plus responsables de lire attentivement l’histoire du passé et de faire quelque chose avec cette histoire, de l’interpréter chaque année d’une manière qui a du sens pour nous.
Nous étudions la Torah et essayons de comprendre chaque détail pour nous donner la possibilité de faire des observations attentives sur le présent. Tous les parallèles entre le passé et le présent ne sont pas immédiatement judicieux, et malgré tout, ignorer le passé est stupide. Ma’asé avot siman labanim – les actes des pères sont un signe pour les enfants – mais quel genre de signe ? Des signes de ce qu’il faut faire ou des signes de ce qu’il ne faut pas faire?
C’est le défi auquel nous sommes confrontés en tant que juifs, en tant qu’humains, et s’il était facile, il ne vaudrait pas la peine d’être relevé. Octave, tu as tracé la ligne entre quatre générations de célébrations de bar mitsva dans ta famille, de Dvinsk à Montmarte à Neuilly et enfin Adath Shalom. C’est la première étape pour apprécier le miracle de l’histoire. L’étape suivante consiste à décider quoi faire de cette histoire, quel est le modèle pour toi : pourquoi ton grand-père et ton père ont-ils célébré leur bar mitsva, pourquoi tes enfants célébreront-ils la leur, qu’est-ce qui doit rester constant et qu’est-ce qui doit changer. C’est ton défi personnel.
Je nous souhaite à tous une saison de miracles, révélés et cachés, et un Chabbat shalom !