La paracha Réé 5783 (soir) par le rabbin Josh Weiner
Alors que j’étais dans un bar à Berlin la semaine dernière, j’ai vu un homme avec certains mots tatoués sur le front. J’étais curieux et j’ai essayé de les lire, me demandant s’il s’agissait d’un punk, d’un membre d’un gang, d’un poète ou d’un néo-nazi, mais il m’a jeté un regard qui me disait de m’en aller, et je me suis sagement éloigné, donc le mystère demeure.
Mais pour être honnête, je me suis senti floué par cette rencontre. Il y a quelque chose d’à moitié public dans un visage, et j’ai pensé que si cet homme avait choisi de mettre des mots dans le domaine public, j’avais le droit de les lire. Ce rôle liminal double qu’a le visage, personnel et public, intérieur et extérieur, est quelque chose que nous passons une grande partie de notre vie à explorer. Lorsque les gens me rencontrent, ils rencontrent en fait mon visage et mes mots, qui représentent le “moi” auquel ils veulent s’adresser. Pour que la communication fonctionne, nous devons supposer qu’ils sont en accord l’un avec l’autre, que les expressions de mon visage et les mots que je prononce correspondent à mes pensées et à mes sentiments. Nous savons également que ce n’est pas toujours le cas.
Dans la paracha de cette semaine, il y a deux façons de décrire la présence de Dieu : le nom et le visage. Le Temple est décrit à plusieurs reprises comme ” le lieu que l’Éternel choisira pour y placer son Nom “. En fait, presque toutes les utilisations de cette phrase étrange, lasoum chemo cham, pour y placer son Nom, se trouvent dans notre paracha. C’est une manière de résoudre le paradoxe d’un Dieu à la fois imminent et transcendant – Dieu est au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer ou rencontrer, mais en même temps, le Nom de Dieu réside dans le Temple de Jérusalem, ou dans la synagogue, et cette présence réduite est ce avec quoi nous sommes capables d’interagir.
À la fin de la paracha, en parlant des fêtes de pèlerinage, il y a une autre rencontre, cette fois décrite avec le visage de Dieu. Le verset dit :
שָׁל֣וֹשׁ פְּעָמִ֣ים ׀ בַּשָּׁנָ֡ה יֵרָאֶ֨ה כׇל-זְכוּרְךָ֜ אֶת-פְּנֵ֣י ׀ ה׳ אֱלֹקֶ֗יךָ בַּמָּקוֹם֙ אֲשֶׁ֣ר יִבְחָ֔ר בְּחַ֧ג הַמַּצּ֛וֹת וּבְחַ֥ג הַשָּׁבֻע֖וֹת וּבְחַ֣ג הַסֻּכּ֑וֹת וְלֹ֧א יֵרָאֶ֛ה אֶת-פְּנֵ֥י ה׳ רֵיקָֽם׃
Je traduis comme suit :
Trois fois par an, à la fête des Pain Azymes, à la fête des Semaines et à la fête des Cabanes, tous vos hommes feront YRAH à la face de Dieu, dans le lieu qu’il choisira. Ils ne feront pas YRAH à la face de Dieu les mains vides.
C’est intentionnellement que je ne traduis pas ce mot YRAH, qui est ambigu. Les lettres youd, rech, alef, hei peuvent être lues soit comme yiréh, voir, soit comme yiraéh, être vu. Je ne vais pas entrer dans tous les détails, mais j’ai écrit quelques articles qui montrent l’évolution de la compréhension de ce verset. En théorie, le sens originel est que les gens étaient censés littéralement voir Dieu au Temple lors des fêtes de pèlerinage.
Plus tard, cet anthropomorphisme a suscité un certain malaise et le verset a été reformulé à la forme passive, qui est la manière dont il est imprimé dans notre Tanakh aujourd’hui: l’idée était que la personne était censée être vue par Dieu, se présenter devant Dieu avec des sacrifices. Ce double sens de la direction du verbe, voir et être vu, reflète la double fonction du visage, qui peut également voir et être vu.
Vous savez probablement que je me situe quelque part entre un croyant naïf et un universitaire, et les deux à la fois, et ni l’un ni l’autre. La plupart des rabbins orthodoxes diraient que puisque notre tradition prononce yiraé, être vu par Dieu, c’est le vrai sens du mot. La plupart des chercheurs diraient que, puisque grammaticalement, philologiquement et historiquement, il est plus logique que ce soit yiré, voir Dieu, alors c’est le vrai sens du mot. Et je dis que les deux sont le vrai sens du mot, que les vraies rencontres consistent à voir et à être vu en même temps, à être présent dans la présence de l’autre.
Cette rencontre authentique avec le visage de l’autre, le fait de connaître le vrai nom de quelqu’un – une telle intimité nous est parfois difficile. Je comprends alors pourquoi le type de Berlin ne voulait pas que je regarde ses tatouages sur le visage, je comprends pourquoi il est plus facile de créer une distance en vouvoyant et en parlant formellement de Monsieur et Madame. La Torah veut que nous fassions l’expérience d’une intimité poussée à l’extrême. C’est pourquoi la paracha commence par le mot Réé, vois, à l’impératif singulier, même si le verset se poursuit au pluriel.
רְאֵ֗ה אָנֹכִ֛י נֹתֵ֥ן לִפְנֵיכֶ֖ם הַיּ֑וֹם בְּרָכָ֖ה וּקְלָלָֽה
Vois, je place devant vous aujourd’hui une bénédiction et une malédiction.
Toi – chacun d’entre vous – tu devrais voir, comprendre, aujourd’hui et tous les autres jours, que tu as la liberté de choisir ce que tu rencontres dans le monde et de l’interpréter comme une bénédiction ou comme une malédiction.
Cette façon de voir, de s’ouvrir pour être vu, est quelque chose à quoi nous pouvons plus facilement nous ouvrir lors des fêtes et du chabbat, mais que nous devrions peut-être nous efforcer d’atteindre tous les jours.
Chabbat shalom !
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