La paracha Matot-Masei 5783 par le rabbin Josh Weiner
Cette paracha commence par une certitude absolue. Moïse dit : “Voici ce qu’a dit l’Éternel.” Le midrash souligne que tous les autres prophètes parlent en termes plus vagues, avec des paraboles et des analogies, et commencent leurs prophéties par “ainsi a dit Dieu” ou “ainsi fut la parole de Dieu”.
Seul Moïse a l’audace d’être si sûr de son message qu’il peut oser dire ” Voici “. C’est pourquoi les paroles dites par Moïse ont le statut de mitsva, de commandement, alors que les paroles des autres prophètes nous donnent de l’inspiration mais pas d’obligation.
Ecrire sa propre Torah
La halakha introduite ici au début de la paracha est aussi celle d’une confiance audacieuse. On nous parle de quelqu’un qui fait un vœu, qui ose dire “Je jure que je ferai ceci” ou “Je ne ferai jamais cela” ou “Cette chose m’est interdite.” Je pense avoir déjà parlé ici du pouvoir radical des nédarim, des vœux, dans leur possibilité d’ajouter aux mots de la Torah. Si je fais le vœu de ne jamais manger de carottes, alors les carottes me sont désormais interdites comme le porc ou tout autre aliment non cachers. J’ai maintenant une mitsva personnelle à respecter, que personne d’autre n’a. Même si je fais le vœu de ne jamais tenir un loulav ou de m’asseoir dans une soukka, il m’est alors interdit d’observer ces mitsvot.
Ce pouvoir de redéfinir les limites de l’interdit et du permis, de recréer des commandements et d’écrire sa propre Torah, est peut-être la raison pour laquelle les juifs sont traditionnellement si anxieux face aux vœux. Il existe une pratique qui consiste à terminer toute phrase qui ressemble à une promesse par les mots “bli neder” – ce n’est pas un vœu. On se voit demain pour prendre un café, bli neder. Nous avons peur de nous engager de façon aussi absolue et savons que nous ne contrôlons notre vie que dans une certaine mesure.
Danger de la certitude
Il y a une autre raison pour laquelle nous hésitons un peu à faire des déclarations absolues avec une confiance absolue, et la meilleure façon de le comprendre est peut-être d’écouter les hommes et femmes politiques. Vous n’entendrez jamais un politicien dire : “Je ne suis pas sûr, et il y a sûrement aussi de bonnes raisons de s’y opposer, mais à mon avis, je pense qu’il serait plutôt bon pour notre pays et son économie que nous augmentions les impôts (ce n’est qu’un exemple)”.
Lundi soir dernier, j’ai eu le plaisir d’écouter trois heures de débat à la Knesset israélienne sur la loi interdisant aux juges de décider si les décisions du gouvernement pouvaient être considérées comme raisonnables ou non. L’un après l’autre, les membres de la Knesset de la coalition et de l’opposition se sont levés et ont prononcé de courts monologues, avec une confiance absolue, sur la nécessité ou non de cette loi. Même s’ils criaient et étaient passionnés, des deux côtés, il y avait quelque chose dans leur certitude qui semblait creux. Lorsque Moïse est certain de la parole de Dieu, je trouve cela impressionnant. Mais de telles personnes sont rares. Lorsqu’un membre de la knesset est absolument certain de la position du premier ministre et menace ceux qui ne sont pas d’accord comme s’ils étaient des traîtres, je trouve cette certitude dangereuse.
L’un des épisodes des parachot de cette semaine parle indirectement des relations entre Israël et la diaspora. Les tribus de Reuven, Gad et la moitié de Menashe ne veulent pas entrer dans la terre promise, et la première réponse de Moïse est la colère: “Vos frères iront-ils à la guerre et vous resterez ici ?”. Quel droit avez-vous de vous séparer des expériences, des obligations et des risques du peuple en terre d’Israël? Mais finalement, un compromis est trouvé pour partager la bataille, et ils sont autorisés à rester de l’autre côté du Jourdain comme ils l’avaient demandé.
Mais même à ce moment-là, le fait d’avoir plusieurs centres dans le monde juif continue de susciter un certain malaise. L’histoire ne se termine pas dans notre paracha, mais à la fin du livre de Josué. Les deux tribus et demie retournent sur leurs terres de l’autre côté du Jourdain et construisent immédiatement un autel, qui est considéré comme faisant concurrence au tabernacle dans le pays d’Israël. La discussion qui s’ensuit entre les deux groupes tente à nouveau de définir ce que l’on entend par unité entre toutes les différentes tribus d’Israël – s’agit-il d’être tous ensemble et de faire la même chose, ou d’avoir des pratiques parallèles avec des objectifs similaires. Encore une fois, il y a des tensions lorsque les différents chefs parlent avec une certitude absolue et se contredisent, et la tension est légèrement résolue lorsqu’ils s’écoutent les uns les autres et comprennent leurs positions respectives.
L’obligation d’unité
Il y a un commandement dans la Torah appelé ‘Lo Titgodedou’ – qui est compris comme l’idée de ne pas se séparer en différentes factions. Je suis tenté de lire “Lo Titgodedou” comme “ne soyez pas comme la tribu de Gad”, qui s’est séparée du peuple d’Israël et s’est installée de l’autre côté du Jourdain. L’une des choses intéressantes à propos de ce commandement d’être unis est la quantité de désaccords entre les rabbins qui essaient de comprendre exactement ce qu’il signifie.
Dans le Talmud, un rabbin dit qu’il est interdit d’avoir deux tribunaux rabbiniques dans la même ville, comme Beit Hillel et Beit Chammaï, ou Habad et Massorti. Un autre dit que c’est bien d’avoir deux tribunaux, mais qu’il ne faut pas avoir un tribunal dont les juges ont des opinions différentes. Plus tard, les rabbins débattent de savoir laquelle de ces opinions est correcte, certains choisissent la première et d’autres la seconde. Il existe un nombre énorme de décisions halakhiques basées sur cette obligation d’unité, avec des opinions contradictoires. Il y a des questions sur ce qu’il faut faire lorsque les séfarades prient avec les ashkénazes et sur la façon de dire le kaddish, certains disent que tout le monde doit se conformer à une seule pratique et d’autres disent que non, avoir plusieurs pratiques dans une synagogue est acceptable aujourd’hui, et d’autres font la distinction entre la prière privée et la prière publique.
La vérité est que, bien qu’il y ait un profond désir d’unité, de cohérence et de certitude dans toute notre tradition, nous n’avons jamais eu de telles choses et ne les aurons probablement jamais. Ce fait doit être accepté pour que nous puissions avancer. Nous sommes dans les semaines qui précèdent Tisha B’Av, nous connaissons le sinat hinam, la haine sans fondement, les disputes internes et les divisions qui ont conduit à la destruction de Jérusalem.
Il serait facile d’appeler à l’ahavat hinam, à l’amour gratuit et à l’unité pour réparer ce qui a été brisé à Tisha B’Av. Mais lorsque nous appelons à l’unité, cela ne peut jamais signifier – “tout le monde devrait être comme moi” – parce qu’alors nous retournons aux combats. Ceux qui peuvent parler avec certitude sont rares et doivent le rester. Il est bien plus important pour la plupart d’entre nous d’apprendre à écouter et à faire confiance à la diversité.
Chabbat shalom.