Tetsavé 5783 par Liam David Ben-Saïdou
Bonjour à tous,
Je dois vous avouer que j’ai mis un peu de temps à accepter ma paracha… J’aurais préféré une paracha plus “vivante” avec des grandes histoires comme celle de Joseph par exemple qui m’a toujours fasciné.
Dans Tetsavé, on a, à la première lecture, l’impression de lire un magazine de mode et un manuel de recettes de cuisine bouchère: la description détaillée des habits du grand prêtre et des sacrifices. Comme je n’ai vraiment pas de goût pour la description de la mise à mort d’animaux, j’ai préféré m’attarder sur la description des vêtements du grand prêtre.
Il se trouve qu’il y a énormément de commentaires sur le sujet, tous visant à nous montrer qu’il ne s’agit pas de simples habits mais que chaque détail a une fonction symbolique puissante. Rien de magique là dedans, il s’agit de rappeler au peuple les commandements, un peu comme les tsitsits qui, quand on les regardent nous rappellent les mitsvot.
L’élément que l’on remarque tout de suite sur les habits du grand prêtre, c’est sans doute le pectoral recouvert de douze pierres précieuses. Et selon la tradition, chaque pierre représentait une des tribus d’Israël.
Petite anecdote qui m’a beaucoup plu, on raconte aussi que le nom de chacune des tribus aurait été gravé sur ces pierres à l’aide d’un outil mystérieux: le Shamir.
Je dis mystérieux car on a dit beaucoup de choses sur ce fameux Shamir: d’après Rashi, il serait une créature surnaturelle créée au crépuscule du premier chabbat et dont les griffes pouvaient rayer les plus dures surfaces, mais selon d’autres commentateurs, il se serait agit en fait d’une pierre plus dure que le fer. Enfin, dans le Talmud, il est aussi écrit que le Shamir pouvait briser la pierre d’un simple regard! Bref, qu’il soit animal ou minéral tous sont d’accord pour dire qu’il s’agit d’un élément surnaturel très puissant.
Mais revenons à nos pierres! Le fait que chacune de ces pierres représente une des tribus d’Israël avec ses attributs et ses particularités m’a beaucoup intéressé car je viens de cultures différentes et j’ai moi même l’impression d’être une « pierre » particulière.
Bien que ma famille ne soit pas pratiquante, j’ai grandi au contact de la culture Sri Lankaise. La langue d’abord, la cuisine et puis la religion de ma grand-mère, le bouddhisme.
A priori, aucune similitude entre mes deux identités: le Sri Lanka semble aussi éloigné géographiquement que culturellement de la Tunisie ou du judaïsme Massorti parisien. 🙂
Et pourtant, il existe beaucoup plus de ponts entre ces deux cultures qu’on pourrait le penser.
J’ai découvert qu’il y a à la fois une attirance, nombreux sont les juifs qui s’intéressent au bouddhisme, à l’hindouisme et aux philosophies orientales (aux Etats-Unis on leur a même donné un nom, les “jewbu” 🙂 et une grande méconnaissance réciproque.
Il y a pourtant quelques chercheurs qui se sont intéressés aux liens entre hindouisme et judaïsme.
Alan Brill, rabbin orthodoxe américain et professeur dans une grande université catholique a écrit un livre intitulé Un rabbin sur le Ganges dans lequel il explore ce sujet en profondeur.
Une chose intéressante à relever c’est que les juifs, qui on le sait, ont été persécutés à peu près partout où ils se sont installés ont bénéficié d’une certaine tolérance dans cette région du monde. Une tolérance qui semble réciproque car, même si certains écrits rabbiniques comme ceux de Maïmonide critiquent les religions issues de l’hindouisme, nombreux sont ceux qui ont au contraire estimé que c’était une voie légitime vers Dieu.
Adin Steinzaltz explique pourquoi ces religions ne peuvent être considérées comme du paganisme:
“Dans les anciennes religions regroupées sous le nom d’hindouisme, il existe de nombreux dieux (…) mais les principes théologiques qui guident les croyances et assurent l’uniformité des normes morales partent du principe que toutes les divinités vénérées en Inde ou ailleurs sont des formes, des expressions ou des noms d’une réalité ou d’un Dieu ultime.“
Alan Brill souligne un grand nombre de similitudes troublantes comme par exemple le fait que certains concepts kabbalistiques semblent empruntés au mysticisme hindou. L’importance du rituel est aussi frappante: les lois alimentaires et de pureté, les nombreuses fêtes, mais aussi le souci du détail dans le rituel, la façon dont il doit être accompli.
Alors finalement, ce n’est pas un hasard si les Jewbu existent! Et si autant d’Israéliens sont attirés par l’Inde. Il y a sûrement, au-delà des raisons historiques, des raisons profondes, un lien mystérieux.
J’ai aussi été très intéressé par l’histoire des Bnei Menashé, un groupe se revendiquant comme issu d’une tribu perdue d’Israel. Ils seraient arrivés au sud de l’Inde vers -722, au moment des invasions assyriennes.
C’est en tout cas ce qu’affirme l’historien Samuel Shellim en démontrant que la légende des bnei menashé est tout à fait fondée. Ils pratiquent un judaïsme datant d’avant la destruction du premier Temple sont restés isolés du reste du monde juif pendant des siècles mais n’ont jamais abandonné leur pratique et leur attachement à leur culture. Ils avaient perdu l’usage de l’hébreu mais conservaient des pratiques fortes comme la cacheroute, le chabbat ou la circoncision.
Cela montre l’extraordinaire résilience de l’identité juive. Tout en s’intégrant dans la société hindoue, ils ont pu conserver ces éléments de leur spiritualité et revendiquent aujourd’hui leur judéité.
Ce qui est sûr, c’est que des échanges ont toujours existé, en particulier avec la route de la soie qui permettait une activité de commerce intense dans l’antiquité.
La plus grande preuve de ça est sûrement le fait qu’on retrouve dans la Torah elle-même des mots issus du Tamoul, la langue parlée au sud de l’Inde et au Sri Lanka.
Alors là, je vous vois venir, vous vous dites: “il avait dit qu’il nous parlerait du pectoral du grand prêtre, quel rapport avec tout ça???”
Accrochez vous bien: en regardant ces mots de Tamoul que l’on trouve dans la Bible, j’ai découvert que le mot hébreu piṭdâh/פִטְדָה qui signifie Topaze vient du mot Tamoul pitta/பித்த”…
vous voyez ou je veux en venir?
Ce mot se retrouve dans ma paracha puisqu’il s’agit d’une des pierres du le pectoral du grand prêtre! (Ex 39-10)
Comme je le disais au début, chaque pierre représente une tribu et ses particularités. C’est donc pour moi émouvant de découvrir qu’une de ces pierres porte en elle-même l’union de mes deux cultures.
Un dernier petit mot sur le Shamir (parce que vraiment il m’intrigue!): j’aime bien imaginer que c’est un petit animal (certains se sont même amusés à le dessiner!) qui a été créé avant le premier chabbat. Avec sa capacité à graver chacune des pierres différentes, je me dis que c’est comme s’il était là pour unifier toutes les tribus, toutes les sortes de juifs et d’être humains. Comme si, dès le premier Chabbat, Dieu avait placé sur terre la possibilité de créer un monde qui dépasse les divisions.
Finalement, cette histoire de pectoral m’a permis de voyager beaucoup plus loin que je ne l’aurais imaginé.
Mais surtout, j’ai pu à travers cette étude prendre conscience qu’affirmer mon identité juive comme je le fais aujourd’hui devant vous pour ma Bar Mitsva, n’est pas rejeter mes autres identités mais au contraire c’est les approfondir, mieux les connaître et donner à ma pierre de Topaz un plus bel éclat.