Yamim chel hessed
Le mois de Tichri est un marathon physique, intellectuel et spirituel. Chaque étape de ce marathon exige son propre rythme, un ensemble différent de compétences. Pour moi, le moment que je préfère dans le mois est peut-être ces quatre jours entre Kippour et Soukkot. Des jours qui n’ont rien de spécial, rien d’exigé. Pour poursuivre la métaphore du marathon, c’est le plateau au sommet de la colline, où nous trottinons lentement, satisfaits de nos accomplissements. Si Yom Kippour nous a incités à changer, ou à prendre de grandes décisions concernant notre vie, c’est le moment de les mettre en pratique. Mais d’un autre côté, il n’y a pas d’urgence, nous avons le reste de notre vie pour devenir cette nouvelle personne que nous avons décidé d’être.
Certains appellent ces jours “yamim chel hessed”, les jours de gentillesse. Ils sont importants précisément parce qu’ils n’ont rien de spécial, n’ayant ni fêtes ni exigences, ni rien à ajouter dans les prières, et nous nous rendons compte que chaque jour peut être spécial aussi, tel qu’il est.
On retrouve une description similaire du Grand Prêtre à la fin de Yom Kippour. Après le grand moment où il a pénétré dans le saint des saints et en est ressorti vivant, le grand prêtre mettait ses vêtements ordinaires et rentrait chez lui, accompagné de nombreuses personnes. Une fois chez lui, il préparait un repas pour ses amis – la Michna appelle cela son yom tov privé, sa fête. Je sens que c’est là que nous sommes maintenant, dans un yom tov secret qui n’a pas de nom, caché entre les fêtes plus évidentes et plus exigeantes.
Changer le pessimisme en optimiste
Si nous regardons la paracha aujourd’hui, il y a une énorme disparité entre le contenu réel des mots de la paracha et la façon dont elle a été reçue dans la tradition juive. L’essentiel de la paracha est un long poème, dont le thème est incroyablement violent et pessimiste. Il commence par invoquer la terre et les cieux comme témoins, décrit le peuple d’Israël comme עם נבל ולא חכם, un peuple stupide et imprudent, puis il raconte l’histoire suivante : les Israélites rejettent Dieu, et Dieu invitera un autre peuple à venir attaquer les Israélites, les expulser et occuper leur terre. Mais cette autre nation sera également fière de sa conquête, sans comprendre qu’elle faisait partie d’un plan divin, et Dieu la détruira également. L’image finale est celle de Dieu seul, ayant pris sa revanche sur tout le monde.
Si vous examinez les commentaires classiques, vous ne trouverez rien d’aussi pessimiste que cela. Pour moi, c’est la raison pour laquelle j’aime être juif. De la même manière que nous sortons du jour du jugement, Yom Kippour, en assumant notre innocence et en transformant les jours suivants en une célébration de l’intimité, de la joie et de l’acceptation du monde, les rabbins des deux derniers millénaires ont pris chaque phrase et chaque mot de cette paracha, et l’ont transformé pour faire de cette violente prophétie une célébration de l’optimisme. Je veux me pencher sur un seul exemple aujourd’hui.
Dieu change les règles
Dans le premier verset de la paracha, celui qui lui donne son nom, Moïse appelle le ciel et la terre à être témoins de ce qu’il va dire.
“Écoutez, cieux, je vais parler ; et que la terre entende les paroles de ma bouche.”
Si nous lisons le midrash du recueil du 2e siècle connu sous le nom de Sifrei Devarim, une vision complètement différente de l’avenir est donnée. Le peuple d’Israël et Dieu se disputent pour savoir si leur relation peut continuer, et ils échangent des citations bibiliques. Cela commence ainsi :
עתידה כנסת ישראל שתאמר לפני הקב”ה: רבש”ע, הרי עדי קיימים, שנ’ (דברים ל) העדותי בכם את השמים ואת הארץ! אמר לה: הרי אני מעבירן, שנ’ (ישעיה סה) כי הנני בורא השמים החדשים. אומרת לפניו: רבש”ע, הריני רואה מקומות שקלקלתי ובושתי, שנא’ (ירמיה ב) ראי דרכך בגיא, דעי מה עשית! ואומר לה: הריני מעבירם, שנא’ (ישעיה מ) כל גיא ינשא. אומרת לפניו: רבש”ע, הרי שמי קיים! אומר לה: הריני מעבירו, שנאמר (ישעיה סב) וקורא לך שם חדש. אומרת לפניו: רבש”ע, הרי שמך קרוי על שם הבעלים! אומר לה: הריני מעבירו, שנאמר (הושע ב) והסירותי את שמות הבעלים מפיה. אומרת לפניו: רבש”ע, אע”פ כן, בני ביתי מזכירים אותו! אומר לה: (הושע ב) ולא יזכרו עוד בשמם. שוב למחר עתידה שתאמר לפניו: רבש”ע, כבר כתבת (ירמיה ג) לאמר הן ישלח איש את אשתו והלכה מאתו והיתה לאיש אחר! אומר לה: כלום הכתבתי לך, אלא איש! והלא כבר נאמר (הושע יא) כי אל אנכי ולא איש! וכי גרושים אתם לי, בית ישראל? והלא כבר נאמר (ישעיה נ) כה אמר ה’ איזה ספר כריתות אמכם אשר שלחתיה, או מי מנושי אשר מכרתי אתכם לו?
Le peuple d’Israël est destiné à dire devant le Saint Béni soit-Il : Maître du monde, il n’y a pas d’espoir pour moi, car mes témoins restent et témoignent contre moi, comme il est écrit : “J’appelle aujourd’hui à témoigner contre toi les cieux et la terre.”
Il répondra : Je les ferai disparaître, comme il est écrit dans Isaïe : “Voici que je crée de nouveaux cieux et une nouvelle terre.”
Israël dira alors : Maître du monde, je vois des endroits où je me suis égaré et où j’ai agi honteusement, comme il est écrit : “Vois ton chemin dans la vallée, sache ce que tu as fait, etc.” – ce sont les vallées et les collines dans lesquelles ils adoraient les idoles… et Il répondra : Je supprimerai les vallées, comme il est écrit “Toute vallée sera relevée, toute montagne sera aplatie.”
Israël dira alors : Maître du monde, mais mon nom demeure ! Et Il répondra : “Je le changerai”, comme il est dit “Et tu porteras un nom nouveau”.
Le jour suivant, Israël est destiné à dire : Mais Tu as déjà écrit : “Si un homme répudie sa femme et qu’elle le quitte pour en épouser un autre, peut-il revenir avec elle ?” (La halakha est qu’après un divorce, s’ils n’ont pas épousé quelqu’un d’autre, le mari peut se remarier avec son ex-femme. Mais après qu’elle ait épousé quelqu’un d’autre, elle lui est interdite. Ici, le désir d’idolâtrie d’Israël est comparé au fait d’épouser un autre homme). Dieu dira : N’ai-je pas écrit “si un homme répudie sa femme” ? Et ne vous ai-je pas déjà dit “car je suis D-ieu, et non un homme !”.
J’aime ce midrach pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, normalement dans la littérature rabbinique, Dieu est dépeint comme un grand rabbin qui suit la halakha. Ici, il change les règles du jeu. Même s’il y a des témoins dans le tribunal, le ciel et la terre, il les change et en crée de nouveaux. Même si la halakha dit que cette relation entre Dieu et Israël est interdite, Dieu change les règles. Il y a ici une insistance sur le fait que la relation vaut la peine d’être maintenue, malgré les détails.
Au cours du Kippour, j’ai parlé avec plusieurs personnes du concept de techouva, de l’impossibilité de la techouva – comment peut-elle effacer des actes commis dans le passé ? Si j’ai causé du mal, comment le fait de s’excuser peut-il changer ce qui s’est passé? Notre environnement, nos souvenirs, même notre nom peuvent nous rappeler ce qui s’est passé.
Dans ce midrach, le passé n’est pas changé par la techouva, les erreurs sont très présentes en Israël, mais on insiste néanmoins pour aller de l’avant. Il n’y a même pas nécessairement de techouva au sens de Yom Kippour, un changement absolu de comportement, mais un désir d’être ensemble.
Cette réinterprétation optimiste de l’histoire biblique semble convenir à ces jours de hessed dans lesquels nous nous trouvons actuellement. La même responsabilité sur laquelle on a insisté pendant Roch Hachana et Kippour demeure aujourd’hui, et il y a beaucoup à faire : à un niveau personnel, en tant que communauté, et à l’échelle de la Terre.
Mais la lourdeur de la tâche a disparu, pour l’instant. Nous devons croire, accepter et célébrer le fait que nous soyons capables d’être à la hauteur des tâches que nous voulons assumer. Cette célébration de la fragilité, de la vulnérabilité, de l’honnêteté et d’un type de force particulièrement juif se poursuivra la semaine prochaine, dans la Soukka.
D’ici là, chabbat shalom!