Par Aline Benain, présidente de la communauté Adath Shalom
Mes chers amis,
Il y a quelques semaines, s’est achevée au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, la très belle exposition intitulée Marcel Proust, du côté de la mère.
Consacrée à ce que l’on pourrait appeler la part juive de l’écrivain, elle s’ouvrait sur l’arbre généalogique de la famille de Baruch Weil dont Jeanne, la mère de Marcel, était la petite fille.
Installé à Paris au tout début du XIXème siècle, Baruch développe avec succès l’entreprise familiale de porcelaine, devient en 1824 vice-président du Consistoire et officie pendant 25 ans comme Mohel de la communauté parisienne. « Mon respectable père, écrivait l’un de ses fils, a opéré la circoncision au moins 600 fois, et toujours, Dieu merci, sans le moindre incident. »
Du fils de Baruch, Nathé Weil, son petit-fils, Marcel donc, évoque, dans une lettre de 1908 à son ami Daniel Halévy, la visite annuelle qu’il faisait avec lui au Cimetière du Père Lachaise : « Il n’y a plus personne (…) qui aille visiter, le long de la Rue du repos, le petit cimetière juif, où mon grand-père suivant un rite qu’il ne comprenait pas, allait mettre tous les ans un caillou sur la tombe de ses parents.»
Le 3 septembre 1870, Jeanne Weil, fille de Nathé, petite-fille de Baruch, épouse Adrien Proust, un brillant médecin, issu d’une famille catholique. Elle ne se convertit pas mais ses deux fils, Marcel et Robert, sont baptisés. Dans une société puissamment assimilatrice, il a fallu deux courtes générations pour qu’une appartenance vivante se dilue jusqu’à presque se perdre.
En 1948, 5% seulement de la population juive mondiale vivait en Israël. Les données fournies par le bilan démographique annuel qu’établit l’Université hébraïque de Jérusalem, indiquent qu’en 2025 ce chiffre aura été multiplié par 10 ou presque. 45% de la population juive mondiale sera israélienne, 50% d’ici 2050.
Ce basculement, dans sa rapidité comme son ampleur, est un phénomène historique majeur et à bien des égards sans équivalent. D’aucuns, et pourquoi pas, le qualifieront de miraculeux.
Plus prosaïquement, s’il exprime le dynamisme démographique de la société israélienne, il dit tout autant l’effondrement parallèle de la diaspora. Effondrement sans persécution, effondrement sans massacre.
Effondrement proustien, par dilution.
Ce constat est un défi.
Nos enfants ne deviendront pas tous israéliens. Certains vivront sans doute à Jérusalem ou Tel Aviv, d’autres, et ce sera tout aussi légitime, vivront ici où ils sont nés, ou ailleurs, peut-être.
Le choix leur appartient autant que notre amour leur est inconditionnel.
La responsabilité, en revanche, à laquelle il nous est interdit de nous soustraire, est de leur offrir la vision mise en actes, au quotidien, d’un Judaïsme vivant, exigeant et novateur, porteur de sens, donc de pérennité, et d’espoir, pour nous comme pour tous.
C’est ce que s’attache à faire, depuis presque 35 ans, Adath Shalom.
Aussi, ce soir, voudrais-je d’abord vous parler d’avenir.
En plein accord avec nos Rabbins, nous avons fait le choix, approuvé par notre dernière Assemblée générale, de relancer à Adath Shalom, Noam Olami France, la branche française donc, de Noam Olami, le Mouvement de jeunesse qui fédère à l’échelle mondiale, et dans toute sa diversité, la jeunesse des Communautés Massorti. Il s’agit bien pour nous, de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de s’épanouir, à leur manière, dans un mouvement appelé à grandir en symbiose avec notre Communauté.
Que l’on m’entende clairement cependant : il n’est pas question de substituer un Mouvement de jeunesse à un autre. Noam-EI, depuis longtemps lié Adath Shalom, y conserve toute sa place.
Notre logique n’est pas celle d’une concurrence qui encouragerait chacun à défendre sa « petite boutique ». Notre logique, notre volonté, sont de complémentarité bienveillante. Certaines, certains, par inclination, par fidélité, se retrouveront mieux dans ce que proposent les EI. D’autres, se reconnaitront dans le projet de Noam Olami. L’identité de tous, au meilleur sens du terme, s’en trouvera nourrie et renforcée.
L’autre question qui engage directement l’avenir de notre Communauté est évidemment celle de la transition rabbinique entre Rivon et Josh. Josh est parmi nous depuis un an. Il a, avec intelligence, délicatesse et en harmonie avec Rivon, pleinement trouvé sa place au sein d’une Communauté très attachée au Rabbin qui l’a fait grandir et continue de l’inspirer. J’ai eu la joie d’annoncer lors des offices de Roch haChana qu’il était désormais, de manière très officielle, le Rabbin en second d’Adath Shalom.
A l’horizon 2024, soit dans deux ans, il en deviendra le Rabbin référent. Nous aurons d’ici là, la possibilité d’envisager avec Rivon, non pas la question de sa présence parmi nous au-delà de ces deux années, qui est d’évidence, mais les modalités de la poursuite de son implication.
Cette transition s’engage, et comment ne pas y voir un très fort et très beau symbole, tandis que notre Talmud-Torah accueille, pour la première fois cette rentrée, des enfants dont les parents ont célébré à Adath Shalom leur Bar ou Bat Mitzvah et alors que deux de ces « anciens » Bne Mitzvah viennent d’intégrer notre Conseil d’administration.
Il s’agit évidemment d’un moment important de l’histoire de notre Communauté dont le développement s’inscrit désormais dans la perspective concrète d’un avenir long. Il pérennise le rêve de quelques familles pionnières, auxquelles je veux encore une fois exprimer notre reconnaissance, de fonder une communauté qui porte, en France, la voix d’un Judaïsme capable, dans sa fidélité à une Tradition dynamique, de répondre aux questions que porte notre modernité.
Mes amis, tous ensemble, nous avons fait beaucoup… et il nous reste tant à faire.
Les projets et les accomplissements, dont nous sommes fiers sans orgueil, doivent évidemment l’essentiel de leur âme à l’engagement de Rivon, exceptionnel à tous égards, inlassable et fécond depuis tant d’années. Notre Rabbin, présent aussi, pour tous et chacun, aux jours de joie comme dans les moments difficiles.
Ils doivent également désormais à Josh qui, à sa manière, avec douceur, pertinence et une densité spirituelle remarquable, interroge à la lumière de notre Tradition les questions de toujours comme les problèmes nouveaux. Il est déjà, parmi nous, un ami véritable et un jeune Maitre.
Ils doivent encore à Elkana, notre magnifique Hazan, qui porte notre prière au quotidien des jours, et dans les moments solennels, avec une Kavanah bouleversante où s’entend aussi son attachement à Adath Shalom. A Hélène que nous sommes toujours heureux de retrouver.
Elkana et son épouse, Clara, s’occupent également, avec brio, de la présence, désormais incontournable, d’Adath Shalom sur les réseaux sociaux, tandis que notre site internet, maintenu quotidiennement à jour par Hélène, vient d’être entièrement rénové. N’hésitez pas à vous connecter et à faire connaitre ces vecteurs d’information aujourd’hui décisifs !
Ils doivent également, ces accomplissements comme ces projets, à l’engagement des salariés d’Adath Shalom, Isabelle, Stéphane, Moché, Marie, à l’engagement de Gabriela, la directrice de notre Talmud-Torah.
Ils doivent enfin, et je veux le rappeler ce soir avec une force qui est hommage et reconnaissance vive à celui, opiniâtre, efficace et discret d’une cohorte de bénévoles toujours trop réduite et dont il est important de veiller à n’épuiser, à force de sollicitations, ni la vigueur, ni l’enthousiasme : les membres du Conseil d’Administration bien sûr, mais encore, Pierre, Dominique, Georges, Eric, Anne, Goty, François… et quelques autres.
Sans elles, sans eux, Il n’y aurait, ni ces offices de Fêtes, ni nos Chabbat partagés, ni aucun des moments que nous aimons vivre ensemble. Il faut s’en souvenir et le faisant, penser aussi à les rejoindre.
Je le dis chaque année, il n’y a pas de petits engagements. Seulement des engagements précieux. Des engagements uniques. Des engagements indispensables. Votre engagement, dont nous avons besoin et sur lequel, en confiance, nous comptons plus que jamais.
Récemment, dans une librairie, un petit volume a attiré mon attention, tant par son titre, passablement pompeux, Au pied du Sinaï, que par son auteur, très inattendu, Georges Clémenceau, celui-là même que Swann, pour revenir à Proust, qualifie de « très grand bonhomme ». On y découvre un talent de conteur que l’on n’imaginait pas chez le Tigre, une forme de tendresse et de bienveillance qui n’exclut pas les Juifs, en même temps que la persistance incontestable, chez ce Dreyfusard pourtant, de lieux communs et de préjugés qui sont ceux de leur époque.
A l’occasion d’un voyage à Carlsbad, l’une des villes d’eau de la Bohême occidentale où au début du XXe siècle, les Rebbe de grandes cours hassidiques avaient l’habitude de séjourner, il décrit les hommes en prière dans un oratoire de fortune. Il se retrouve alors « seul immobile au milieu d’une foule agitée des remous d’un champ de blé sous la bourrasque. »
« Un champ de blé sous la bourrasque » : j’avoue que la métaphore m’a touchée. Il me semble qu’elle dit ce que, comme Peuple, nous portons depuis toujours, ce que comme Peuple, comme Communauté, nous devons surtout nous attacher à continuer de porter encore : une Parole de vie sans cesse malmenée mais têtue et féconde, nourrie d’une identité forte qui sait parler pour l’universel, un héritage en devenir et en actes.
Mes amis, je souhaite pour 5783, que notre Communauté soit toujours « champ de blé sous la bourrasque », d’où que viennent les vents… en priant tout de même qu’ils ne soient pas trop violents.
Puisse cette nouvelle année, être moins cruelle à toutes celles et tous ceux qui partout se battent pour leur liberté et leur dignité. Aux femmes d’Iran dont la révolte admirable secoue un fondamentalisme criminel, aux Ukrainiennes et aux Ukrainiens qui nous administrent une formidable leçon de courage et de résistance, galvanisés par un surprenant Mardochée.
Puisse cette nouvelle année être douce et sereine, pour chacune et chacun d’entre vous, pour vos familles, pour notre Communauté, pour Israël, pour notre Peuple tout entier, pour toutes celles et tous ceux qui, partout parmi les Nations, aspirent en vérité à la fraternité et à la paix.
Et puissiez-vous tous, mes amis, être inscrits dans le Livre de la Vie.
Chana Tova ou G’mar Hatima Tova !
Aline Benain