Par le rabbin Rivon Krygier
Un disciple déprimé se rend auprès du vieux rabbin, la veille de Roch ha-chana et lui dit :
– J’ai bien réfléchi, j’ai pris une grave décision : j’ai décidé de mourir.
– Ce n’est pas une solution, lui dit le rabbin.
Le jeune homme s’en va et revient la veille de Kippour, en disant :
– Rabbi, tu avais raison. J’ai bien réfléchi, j’ai décidé de vivre !
– Ce n’est pas une solution, lui dit le rabbin.
– Mais tu m’as dit que mourir n’était pas une solution et maintenant tu dis que vivre n’est pas une solution. Alors c’est quoi la solution ?
– Parce que tu crois qu’il y a une solution ? lui dit le rabbin.
Je vais peut-être vous surprendre, mais il me semble que la question la plus fondamentale que chacune et chacun devrait se poser en ce moment solennel où nous sommes réunis à la synagogue est la suivante : Mais qu’est-ce que je fais ici ?
Bien sûr, c’est Roch ha-chana, c’est un grand rendez-vous traditionnel, communautaire. On revoit des amis, des connaissances qui nous sont chères. On va bien manger ce soir, retrouver certaines recettes qui vont faire frétiller nos papilles et réveiller nos souvenirs de famille et d’amitié. Mais la question que je nous pose va évidemment beaucoup plus loin. Roch ha-chana n’est pas un simple rassemblement festif, c’est une convocation : mikra kodèch. Ces jours sont qualifiés de Yamim noraïm, « jours redoutables » ou, dirons-nous, « jours sérieux » (pour être un peu moins dramatique et un peu moins achkénaze…), car il ne s’agit pas seulement de faire ripaille, mais de se questionner, de se remettre en question, pour qui seulement en est capable et disposé.
Roch ha-chana signifie le début de l’année, mais on doit l’entendre aussi comme le début d’un parcours qui va nous conduire graduellement à Kippour, puis à Souccot. On passe, de Roch ha chana, du temps du jugement, de l’examen de conscience, à Kippour, temps du pardon et de la réconciliation, pour en arriver à Souccot, temps des pleines retrouvailles dans la liesse et la tendresse. Du moins, c’est ce que l’on espère : avec Dieu – s’entend -, mais aussi entre nous, avec les autres humains, nos proches et nos lointains. C’est une trajectoire initiatique, un vrai pèlerinage pour qui veut bien prendre tout cela au sérieux.
Or c’est là précisément le sens de ma question : pourquoi prendrions-nous cela au sérieux ? Certains d’entre nous ont des problèmes métaphysiques avec Dieu, sur Son existence, ou des récriminations sur Son absence, que sais-je. Soit. Et pourtant, comme l’a fortement bien observé Émile Durkheim (un des pères de la sociologie, athée et non moins digne descendant d’une lignée de rabbins), croyants ou non, il y a, en nous, quelque chose de transcendant qui se rattache à notre identité, notre lointain passé, via la lignée de nos ancêtres dont nous sommes les représentants vivants ; nous sentons l’appel remontant du fond des âges comme un devoir de loyauté et de transmission « de ce bien précieux qui subsistera à jamais », comme on le dit dans le Emet, après le Chemâ.
Les convertis sont également concernés par cet appel car, porteurs de valeurs qui leur viennent de leurs parents ou de leurs propres entrailles, ils ont décidé de lier leur destin à Israël, en se rattachant à notre racine, à Abraham et Sarah, les premiers « convertis ». Cette valeur ajoutée – la substantifique moelle du judaïsme – c’est la responsabilité. C’est le cœur de notre religion, de toute vraie religion. Je cite Durkheim (avec l’une ou l’autre brève explication de mon cru) :
« si nous n’avions pas (en nous) la notion des impératifs moraux et religieux, notre vie psychique serait nivelée, tous nos états de conscience seraient sur le même plan (et tout sentiment de dualité s’évanouirait. Sans doute, pour rendre cette dualité intelligible, il n’est nullement nécessaire d’imaginer, sous le nom) [RK : Même si nous avons du mal avec la notion d’âme, (prise comme) une substance mystérieuse et irreprésentable qui s’opposerait au corps, il reste vrai que notre nature est double ; il y a vraiment en nous une parcelle de divinité parce qu’il y a en nous une parcelle de ces grands idéaux qui sont l’âme de la collectivité1. » [Ce que dans le judaïsme, on appelle le « Kelal Israël ou Knesset Israël »]. Ou encore (je cite toujours Durkheim) : « Les croyants sentent que la vraie fonction de la religion n’est pas de nous faire penser, d’enrichir notre connaissance, (pour cela, on a les sciences, etc.) mais de nous faire agir, de nous aider à vivre. Le fidèle qui a communié avec son Dieu (RK : avec son âme) n’est pas tant un individu qui voit des vérités nouvelles que l’incroyant ignore ; c’est un homme qui peut davantage. Il sent en lui plus de force, soit pour supporter les difficultés de l’existence, soit pour les vaincre. Il est comme élevé au-dessus des misères humaines parce qu’il est élevé au-dessus de sa condition d’homme2. »
Savoir traverser les épreuves de l’existence, avec courage et dignité, avec responsabilité, c’est le « graal » qui nous est demandé d’atteindre, autant que possible, ce à quoi nous sommes convoqués dès aujourd’hui:
חֲ֭זַק וְיַאֲמֵ֣ץ לִבֶּ֑ךָ וְ֝קַוֵּ֗ה אֶל־יְיָֽ
Fortifie-toi et que ton coeur s’affermisses! Place ton espoir en l’Eternel, dit le verset du Psaume 27 que nous lisons quotidiennement en cette période. C’est pour nous hisser à ce haut objectif que, demain matin, nous entendrons les sons stridents du chofar, comme un appel qui traverse toute l’histoire pour parvenir à notre génération, à nos cœurs.
Vous savez peut-être que la Torah ne dit presque rien sur la fête de Roch ha-chana : tout tient en un mot : terouâ (sonnerie)… On pourrait traduire « Alarme » ou « Alerte ». Quelle est alors la référence biblique la plus consistante pour rendre compte de cet éveil ? Je cite le midrach :
אמר רבי אבהו: למה תוקעין בשופר של איל? – אמר הקדוש ברוך הוא: תקעו לפני בשופר של איל, כדי שאזכור לכם עקידת יצחק בן אברהם, ומעלה אני עליכם כאילו עקדתם עצמכם לפני
Rabbi Abahou enseigne : Pourquoi sonne-t-on (de préférence) avec une corne de bélier ? Le Saint béni soit-Il a dit : Sonnez avec une corne de bélier afin que vous évoquiez en Moi la ligature d’Isaac fils d’Abraham, et Je vous le compterai alors comme si vous vous étiez ligaturés vous-mêmes devant Moi (TB, Roch ha-chana 16a).
Là, je risque encore d’en étonner certains. C’est contraire à l’enseignement de la Michna dit que « l’on sonne du chofar avec une simple corne de bouquetin (ou chèvre de montagne) יעל פשוט3. »
C’est pour sa signification supplémentaire que la corne de bélier a été ultérieurement adoptée (R. Abahou est du 3esiècle). Les Sages (du Talmud) ont réfléchi à tout cela et estimé que Roch ha-chana était un peu, avant l’heure, comme… disons … la « Aïd el-kebir » (littéralement, la grande fête, appelée de manière plus populaire fête du mouton (Aïd el Adha = fête du sacrifice) !
Car il s’agit bien, pour les deux traditions, juive et musulmane, de rappeler l’épisode de la ligature. Certes, vous savez que, pour la plupart des commentateurs du Coran (mais pas tous), c’est Ismaël et non Isaac qui aurait été ligaturé, puis racheté par le sacrifice d’un bélier en substitution. Mais laissons ces querelles de côté qui empoisonnent encore notre monde en ce qu’elles entretiennent la rivalité des civilisations. Nous n’en avons pas fini avec la dénégation islamiste et ses dérives meurtrières…
Ce qui m’intéresse ici – et que la plupart des juifs ignorent – est que Roch ha-chana n’est pas tant le rappel de la création de l’homme (comme on le dit le plus souvent) que celui de sa consécration. En effet, chaque fête juive se distingue par une lecture de la Tora caractérisant la célébration. Or ce n’est pas le récit de la Création du monde que nous lisons à Roch ha-chana, mais celui de la ligature d’Isaac au mont Moria. Autrement dit, comme le christianisme avec son Golgotha (la crucifixion), et l’Islam avec son Aïd el Ahda (fête du sacrifice), les juifs ont, avec Roch ha-chana, une célébration sacrificielle qui exalte la foi, en son point culminant.
Mais quelle foi ? Non pas en un dogme, la croyance en une définition doctrinale, pas même la foi en Dieu ou en un prophète. Mais alors quoi ? La foi en ce que Dieu réclame de nous, comme je le disais tout à l’heure : «חֲ֭זַק וְיַאֲמֵ֣ץ לִבֶּ֑ךָ : Savoir traverser les épreuves de l’existence, avec courage et responsabilité » comme l’on fait Abraham (Isaac), sans oublier Sarah (elle n’est pas sans lien à cet épisode, mais c’est une autre histoire).
Bien sûr, comme moi, vous êtes certainement embarrassés à l’idée que Dieu ait pu laisser entendre à Abraham qu’il devait sacrifier son fils et qu’Abraham y ait été disposé, ou encore mas à l’aise avec le fait qu’Isaac ait pu, religieusement, se laisser ligoter pour se donner en sacrifice. Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, dont le fait bien connu et rassurant que le sacrifice humain n’a pas eu lieu. Comme vous le savez, il a été commué en celui du bélier. Nous avons de bonnes raisons de penser – même si ce n’est pas le lieu ici de le démontrer – que jusqu’au bout, Abraham comme Isaac ont espéré qu’une issue heureuse inattendue survienne, ce qui s’est effectivement passé.
Au demeurant, le moment qui nous intéresse ici, qui reste d’une sempiternelle actualité, est celui où Abraham et Isaac cheminent vers ce lieu improbable et redoutable. On imagine aisément les pensées confuses qui bousculent leur esprit, l’anxiété qui inévitablement les assaille. Ils doivent se dire : Mais que diable faisons-nous ici ? Que va-t-il advenir de nous ? Isaac se dit : je suis si jeune, et je dois mourir pour prouver ma foi ? Abraham se dit : je suis si vieux, et je dois voir mourir l’enfant que j’ai tant attendu ? Si j’égorge mon fils, comment pourrais-je encore me regarder dans un miroir ? Et si Dieu ne veut pas de tout cela, pourquoi alors m’entraîne-t-Il sur ce sentier escarpé qui semble confiner à l’absurde ?
En fait, ce qui est demandé, tant à Abraham qu’à Isaac, est de fournir ni plus ni moins un effort surhumain : ils doivent accorder leur confiance à un Dieu qui, en apparence du moins, semble vouloir leur perte. Quel paradoxe, quelle tension insoutenable ! Mais quand on y réfléchit, cette situation est celle qui, d’une manière ou d’une autre, décrit notre situation existentielle, celle de tout un chacun. Les êtres humains sont mortels ; nous marchons inexorablement vers la mort. Certes. Mais le laps de temps qui est accordé à chacun, le temps de notre vie plus ou moins long, nous sommes appelés à nous dépasser, à nous efforcer à être du côté des généreux, des bienveillants, des constructifs, pour qu’au bout du compte, la vie triomphe de la mort. Dans la liturgie des fêtes, nous n’allons cesser de lire et d’entendre que les registres des vivants et des morts sont grand ouverts devant Dieu, et nous prions pour que nous et les nôtres soyons inscrits et consignés du bon côté. Mais « être du bon côté », c’est à nous, d’abord, qu’il revient d’en décider, ici et maintenant. Ce n’est pas une foi aveugle qui est requise mais un engagement :
(יט)
הַעִידֹתִי בָכֶם הַיּוֹם אֶת הַשָּׁמַיִם וְאֶת הָאָרֶץ הַחַיִּים וְהַמָּוֶת נָתַתִּי לְפָנֶיךָ הַבְּרָכָה וְהַקְּלָלָה וּבָחַרְתָּ בַּחַיִּים לְמַעַן תִּחְ אַתָּה וְזַרְעֶךָ
J’appelle aujourd’hui à témoin face à vous les cieux et la terre : J’ai placé devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance (Deutéronome 30,19).
Certes, un jour ou l’autre, on finit par tirer sa révérence. Mais en attendant, il nous faut ne pas mourir. Et décider de ne pas mourir, c’est mûrir. Dire non à la mort, c’est dire non au morbide, au mortifère. Apprendre à écouter, savoir gérer les conflits sans humilier, sans injurier, sans violenter, toutes ces plaies qui rongent les relations sur les lieux de travail, dans les cercles d’amis ou des communautés, jusqu’à l’intérieur des familles et des couples, et qui brisent les relations fraternelles. Surmonter tout cela, c’est le vrai défi, l’agenda immédiat de Roch ha-chana, celui des résolutions que nous avons à prendre en ces sérieux jours.
Mais au-delà de notre sphère immédiate, personnelle, il s’en passe des choses. Le monde dans lequel nous vivons, en ce premier jour de 5783, joue cyniquement avec la mort. Pendant que la planète brûle et se consume, que le réchauffement climatique provoque désormais des cataclysmes sans précédent, au lieu de sonner l’alarme, comme l’on sonne du chofar, en sorte que se produise une mobilisation générale de tous les États pour unir leurs efforts et combattre ensemble le terrible fléau qui conduit droit au désastre, voilà que le dictateur russe que d’aucuns qualifiaient avec un aveuglement ahurissant de « démocrate autoritaire » mobilise en masse ses troupes pour poursuivre sa guerre brutale et inique. Nous payons aujourd’hui la complaisance avec Poutine ou encore avec la Chine, complaisance ou real politics de tous les gouvernements d’Europe, de gauche comme de droite. Sous couvert cynique de combattre le néo-nazisme et l’Occident décadent, Poutine se rêve en nouveau Tsar, désire instaurer un nouvel ordre mondial où triomphera la grande Russie, n’hésitant pas à brandir la menace nucléaire, afin que le monde occidental s’incline, se racrapote devant ses désidératas.
Si l’on cède au chantage, si on le laisse mener sa guerre coloniale, partout dans le monde, la force tyrannique imposera sa loi. Or la tentation, « l’illusion de Munich » reste grande, de vouloir transiger, vendre son âme, pour « avoir la paix ». Difficile ne pas penser à la scène ou Charlie Chaplin, dans Le dictateur, montre le tyran en train de jouer avec le globe terrestre jusqu’à ce que la baudruche lui éclate à la figure. … Alors, pendant que Poutine mobilise ses nouvelles troupes, une petite blague juive pour détendre l’atmosphère :
En plein dix-neuvième siècle, l’armée russe s’apprête à mener la charge contre l’armée napoléonienne. Le capitaine interpelle ses troupes avant la bataille. Soldat Boris, un pas en avant !
– Oui, chef.
– Pourquoi es tu prêt à donner ta vie, Boris ?
– Pour la gloire de la grande et sainte Russie, capitaine ! Bravo, Boris.
Soldat Dimitri, un pas en avant !
– Oui, chef ! Pourquoi es-tu prêt à donner ta vie, Dimitri ?
– Pour que la grande Russie étende son empire, capitaine ! Bravo, Dimitri.
Soldat Moïchè, un pas en avant. Pourquoi es-tu prêt à donner ta vie ?
– En effet, capitaine, pourquoi ?
Quand on songe que, partout dans le monde, tant des gens pourtant démocrates sont tentés par un nouvel ordre autoritaire et ultra-nationaliste. Que la vue de certains est courte et la mémoire oublieuse ! Les ultra-nationalistes d’entre les divers pays se soutiennent et se congratulent, à chaque victoire électorale locale. Quelle mascarade ! Demain, c’est au nom de cet ultra-nationalisme que pour être les premiers, ils se battront âprement les uns contre les autres. La nouvelle idéologie, c’est tous pour un, et chacun pour soi ! Le nombrilisme, ça finit toujours par vous retomber au coin du nez. La question n’est pas qui d’entre la gauche ou la droite a raison, la démocratie est là pour permettre que l’on en débatte incessamment. Le vrai choix est entre l’État de droit ou le droit (absolu) de l’État, ou le droit du plus fort. Les démocraties libérales ont leurs qualités et leurs défauts ; elles sont loin d’être angéliques. Mais elles garantissent des libertés fondamentales qui, partout ailleurs, sont bafouées. Or nos démocraties sont probablement davantage menacées par leur propre affaissement que par les ambitions mégalomanes et paranoïaques des régimes totalitaires ou des religions fondamentalistes qui veulent les mettre au pas. Il en va de même pour chacun de nous, individuellement. Nous sommes notre meilleur ennemi ou ami, au choix.
Pour moi, le message de Roch ha-chana, ce pourquoi vous et moi sommes là, ce pourquoi nous devons nous laisser secouer par les sons graves et saisissants du chofar, c’est de refuser toute lâcheté, toute étroitesse d’esprit et de cœur, pour aller rechercher en nous-mêmes les ressources afin de marcher résolument vers le Moria. Comme le dit le verset des Psaumes devenu chant populaire :
(ג) נַפְשִׁ֥י יְשׁוֹבֵ֑ב יַֽנְחֵ֥נִי בְמַעְגְּלֵי־צֶ֝֗דֶק לְמַ֣עַן שְׁמֽוֹ
(ד) גַּ֤ם כִּֽי־אֵלֵ֨ךְ בְּגֵ֢יא צַלְמָ֡וֶת לֹא־אִ֮ירָ֤א רָ֗ע כִּי־אַתָּ֥ה עִמָּדִ֑י שִׁבְטְךָ֥ וּ֝מִשְׁעַנְתֶּ֗ךָ הֵ֣מָּה יְנַֽחֲמֻֽנִי
Dieu oriente Mon âme (accueille sa techouva, son renouement), en m’emmenant sur les sentiers de la justice, pour célébrer Son nom. Quand bien même je marcherais dans la sombre vallée de la mort, Je ne craindrai aucun mal, car tu es avec Moi : Ton bâton et Ton appui sont ce que me réconforte (Ps 23,3-4).
Un apologue talmudique met dans la bouche du roi Ezéchias (Hizkiyahou), à qui le prophète Isaïe annonçait sa mort imminente, la parole suivante :
« Sache qu’une tradition qui me vient de la maison de mon grand-père dit ceci : Même si la pointe du glaive est sur le point d’atteindre ta poitrine, jamais ne renonce à te fier à ton Dieu ! »4.
Le chofar nous interdit de mourir, d’être déjà mort dans nos cœurs, tant que nous sommes vivants ! Abraham et Isaac ont su vaincre leur peur, car ils ont eu confiance en leurs valeurs.
Dans la prière de Moussaf, demain, nous dirons avec gravité « En ce jour, pour l’ensemble des nations et de leurs ressortissants, il est fixé qui est susceptible de mourir par les armes et qui peut espérer voir la paix, qui risque de connaître la faim et qui pourrait bénéficier de la satiété ; en ce jour toutes les actes de toutes les créatures sont remémorés devant Dieu, pour la vie ou pour la mort. »
On sait que ce thème de qui vivra et qui mourra a inspiré la saisissante prière du Ou-netané tokef et, par suite, lointaine le Who by fire de Léonard Cohen:
And who by fire, who by water,
qui par le feu, qui par l’eau
Who in the sunshine, who in the night time,
Qui en plein soleil, qui au temps de la nuit
Who by high ordeal, who by common trial,
Qui par une lourde épreuve, qui par le verdict d’un tribunal
Who in your merry merry month of may,
Qui en l’heureux mois de mai
Who by very slow decay,
Qui après un lente déchéance
And who shall I say is calling?
Mais qui donc nous appelle ?
Demain, le chofar va retentir. Mais qui donc nous appelle ? Dieu ? Nos ancêtres ? Notre conscience ? Chacune et chacun y répondra. Et chacune et chacun décidera, en âme et conscience, ce qu’il est juste de faire et ce pourquoi il est urgent de se mobiliser. Quand Abraham a été appelé pour partir au Moria, il a tout de suite et simplement dit : Hineni, me voici ! Il n’a pas eu peur de la mort. Et il a sanglé son âne – ou son âme – comme vous le préférez. Hineni.
Chana tova ou-metouka
Rivon Krygier
Notes:
1 É. Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse, Puf, 1960, p. 375 à 378.
2 Durkheim, p. 595.
3 M, Roch ha-chana 3:3.
4 TB, Berakhot 10a.